Sommaire
Le sauvetage et la découverte macabre
Le 17 août 2006, au large de la côte sud du Portugal, le sauvetage in extremis de deux Français paraît d’abord relever du miracle. La veille, Corinne Caspar, 48 ans, et Thierry Beille, 51 ans, avaient affronté une violente tempête : leur voilier — l’Intermezzo, un trimaran de 14 mètres — s’était retourné. Pendant près de dix heures, les deux naufragés ont dérivé dans un canot de sauvetage face à un vent de force 6, des creux de cinq mètres et une eau glaciale. C’est finalement un cargo espagnol qui les a repérés et hélitreuillés, des images diffusées sur la télévision portugaise montrant les deux rescapés enlacés et transportés à l’hôpital pour une légère hypothermie.
Interrogés à l’hôpital, ils déclarent alors qu’ils n’étaient pas deux mais trois à bord. Le propriétaire du trimaran, André Le Floc’h, retraité breton de 67 ans, manque à l’appel. Les recherches reprennent. Le lendemain, un plongeur découvre par le hublot le corps sans vie du skipper, attaché à une couchette. À l’extraction, les enquêteurs notent des hématomes au crâne et une ceinture lestée d’environ trente kilos de plomb fixée aux pieds du corps.
Ce naufrage au Portugal bascule ainsi d’un sauvetage spectaculaire vers une enquête criminelle.
La victime tuée avant le naufrage
Corinne Caspar affirme d’abord que Le Floc’h aurait tenté de la violer et qu’elle et Thierry l’auraient maîtrisé et ligoté en attendant de débarquer. Les enquêteurs restent sceptiques et procèdent à leur mise en examen le 18 août.
Deux jours plus tard, l’autopsie confirme les soupçons : les poumons de la victime ne contiennent pas d’eau, signe qu’il est mort avant la tempête — probablement étranglé — et ses liens semblent avoir été posés après la mort. De plus, le corps ne porte pas de traces laissant penser qu’il a tenté de se libérer. Le portrait livré par les accusés, qui présentaient le navigateur comme menaçant et instable, contrarie les témoignages recueillis : Le Floc’h est décrit comme un homme calme, sans antécédents, et qui préparait un tour du monde à bord de l’Intermezzo.
Une relation troublante
Les deux naufragés deviennent rapidement les principaux suspects. Ils se présentent comme frère et sœur, mais l’état civil ne le confirme pas immédiatement. C’est la mère de Corinne qui dévoile l’histoire : en 1997, Thierry serait réapparu, se présentant comme le fils qu’elle avait donné sous X en 1955. Des analyses ADN établissent finalement qu’ils sont bien demi-frère et demi-sœur.
La mère décrit Thierry comme quelqu’un de violent, manipulateur et oisif, qui aurait pris sa fille en otage émotionnellement. Les deux protagonistes vivent en marge, souvent en tête-à-tête, depuis plus d’une décennie, voyageant de l’Indonésie à l’Espagne, en passant par le sud de la France. Ils étaient arrivés au Portugal quelques jours avant le drame.
Un mobile jugé crapuleux
Au fil de l’enquête, les éléments conduisent les magistrats à retenir la préméditation. Corinne aurait rencontré André Le Floc’h cinq jours avant le naufrage et multiplié les visites sur l’Intermezzo. Plusieurs témoins confirment qu’elle a embarqué à trois reprises dans les jours précédant le drame. Présentant son frère au propriétaire, elle lui aurait proposé une courte croisière ; le conducteur du bateau-taxi qui les a menés au mouillage a été étonné par la quantité de bagages pour quelques jours en mer.
Pour l’accusation, le mobile est essentiellement crapuleux : le frère et la sœur auraient prévu de voler le trimaran puis de se débarrasser de son propriétaire. La tempête aurait contrarié leur plan et, incapables de manœuvrer l’Intermezzo, ils se seraient finalement échoués. Ce scénario inscrit l’affaire dans le registre du naufrage au Portugal devenu un fait divers marqué par la suspicion de meurtre prémédité.
Déni, procès et condamnation
Dans une lettre adressée aux médias à l’automne 2007, quelques semaines avant l’ouverture du procès, Corinne dénonce une mise en scène policière et rejette toutes les accusations : selon elle, il n’y a jamais eu d’intention criminelle et Le Floc’h l’aurait agressée sexuellement tout en les menaçant, elle et son frère. « Qu’auriez‑vous fait à notre place ? », écrit-elle pour justifier leur comportement.
Malgré un faisceau d’indices retenus par l’accusation, la version des deux prévenus ne convainc pas les jurés. Le 14 octobre 2007, ils sont condamnés à vingt‑quatre ans de réclusion — presque la peine maximale prévue — pour l’assassinat d’André Le Floc’h. À l’énoncé du verdict, ils clament leur innocence et contestent la thèse de l’étranglement, affirmant que la mort résulte de l’hypothermie à bord. Ils choisissent de ne pas interjeter appel.
