Pourquoi les hommes aiment se montrer torse nu en public ?

par Olivier
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Pourquoi les hommes aiment se montrer torse nu en public ?
France

Juillet 2022. Minuit trente aux Fêtes de Bayonne. Après quelques bières et un « C’était Loli, c’était Lolo, c’était Lola » de plus, le tee‑shirt devient soudainement trop contraignant. L’auteur confesse avoir lui‑même déambulé torse nu lors de soirées — et n’est pas le seul. Que ce soit aux Fêtes de Bayonne, dans les festivals, en salle de sport ou simplement dans la rue, nombreux sont les hommes torse nu qui profitent de la moindre occasion pour enlever leur haut.

Le phénomène a pris de l’ampleur : des vidéos virales pointent du doigt ces groupes d’hommes baraqués qui se pavanent torse nu en soirée techno, et certains festivals ont même décidé d’imposer le port du tee‑shirt pour limiter les débordements. Partout, la même équation : alcool + ambiance festive = propension quasi‑pavlovienne à se dévêtir.

La chaleur, la virilité et l’effort

La première explication est pragmatique : il fait chaud et ne pas porter de tee‑shirt évite la sensation de tissu collant, rappelle Johanna Dagorn, sociologue du genre et de l’espace urbain. Mais la cause va plus loin que la seule température. Même sans chaleur ni musique, on croise des torses nus sous la pluie ou en hiver.

Dagorn souligne l’existence d’une culture viriliste associant l’homme torse nu à la force — particulièrement lorsqu’il est sweaty et musclé — mais ce n’est pas réservé aux corps normés : des hommes aux physiques variés se dévêtent sans subir de critique. Le torse nu en mouvement, ajoute‑t‑elle, sert aussi à rendre visible l’effort : un festivalier qui enchaîne les pompes, un grimpeur ou un coureur expose sa souffrance et valorise ainsi son engagement physique.

« L’insouciance, c’est le premier des privilèges »

Interrogés, certains hommes évoquent la liberté et le confort : « Ça donne un sentiment de liberté, on est plus à l’aise sans, c’est festif, un peu la plage partout », confie François, qui assume son torse découvert malgré les remarques. Pour lui, se mettre torse nu relève aussi d’une transgression bon marché : au pire on se fait gronder, et l’affaire s’arrête là.

Bérénice Hamidi, enseignante‑chercheuse spécialiste des représentations culturelles du genre, nuance : cette inconscience est presque attendrissante mais révèle un privilège. Ne pas percevoir les risques et pouvoir revendiquer une prétendue liberté est un privilège social — tous n’y ont pas accès.

Où sont les femmes dans tout ça ?

La différence de traitement entre hommes et femmes est nette. Johanna Dagorn rappelle que « le corps des hommes est beaucoup moins sujet à commentaire ». Au‑delà du cliché du mâle musclé, hommes de tous types de silhouettes peuvent se dévêtir sans être remis en cause. À l’inverse, une femme qui enlèverait le haut s’expose à des commentaires et à des risques physiques, son corps étant largement sexualisé.

Bérénice Hamidi insiste sur le double régime juridique et social : depuis les années 1990, le droit pénal est devenu plus tolérant vis‑à‑vis du torse nu masculin, mais socialement l’espace public continue d’accorder aux hommes un droit implicite à se montrer ainsi — privilège que les femmes n’ont pas.

Le boys club du torse nu

Parce que le torse nu est essentiellement toléré pour les hommes, il fonctionne parfois comme un marqueur d’appartenance. « Avec mes potes, on défile souvent torse nu dans les festivals, ça nous fait le même « uniforme » », confie Sylvain : un geste collectif qui resserre les liens et forge une identité de groupe.

La sociologue Romane Faure‑Mary voit là une dynamique de pouvoir : si ce signe distinctif existe, c’est parce qu’il exclut les femmes. Sous l’apparente innocence du geste se cache une façon de signifier « nous pouvons le faire, pas vous », d’occuper l’espace public en affichant un privilège que d’autres n’ont pas. Résultat : les hommes torse nu sont remarqués, mais rarement contestés, et affichent ainsi une assurance — parfois illusoire — quant à leur sécurité et leur impunité.

Alors, quand la musique monte et que l’ambiance devient lourde, la prochaine envie de faire tomber le haut rejoint des causes multiples : praticité, revendication, appartenance et privilège. Le choix individuel d’un homme torse nu s’inscrit ainsi dans des enjeux sociaux et genrés plus larges.

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