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«On n’a pas toujours besoin de l’IA pour avoir une réponse.» Cette phrase, lâchée par le PDG d’Orange, Jérôme Henique, lors d’une table ronde consacrée à l’intelligence artificielle comme révolution économique, visait à nuancer un débat désormais sensible : le coût environnemental des technologies d’IA. «Pour chaque requête de nos salariés, on affiche, dans notre entreprise, son coût carbone», a-t-il précisé, soulignant la prise de conscience croissante autour de l’impact écologique intelligence artificielle.
Pour ces premières assises nationales de l’IA organisées par le groupe Ouest‑France à Caen, près de 600 décideurs, chercheurs, experts et élus étaient réunis pour échanger sur les apports des algorithmes dans les domaines médicaux, financiers et des services publics. Très vite, les débats ont porté sur le coût écologique et l’impact environnemental actuel et futur des data centers, indispensables au fonctionnement des systèmes d’IA.
Encore de nombreuses zones d’ombre
Présente pour porter la voix de l’exécutif, la chercheuse spécialiste de l’IA Anne Bouverot a reconnu que l’utilisation de l’intelligence artificielle comportait encore de nombreuses inconnues. «C’est un domaine dans lequel personne n’a encore toutes les réponses», a‑t‑elle admis, tout en présentant l’IA comme une «révolution économique» susceptible d’améliorer la productivité.
Ses propos étaient moins alarmistes que lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle tenu à Paris en février, où avait été annoncée la création d’une coalition pour une IA durable et l’objectif de «réconcilier la transition numérique avec la transition écologique».
«On n’a pas de quoi être fiers»
Le mathématicien Cédric Villani, multiprimé et ancien député, a, lui, fustigé certains usages de l’IA. «Aujourd’hui, on n’a pas de quoi être fiers du chemin qu’on est en train de prendre avec l’IA, par rapport à l’environnement. En termes d’écologie, c’est encore pire que ce qu’on pouvait craindre en 2018», a‑t‑il déclaré, renvoyant au rapport sur l’intelligence artificielle qu’il avait remis en 2018 (rapport).
Dans sa ligne de mire : la consommation énergétique des data centers et les risques de conflits d’usage autour d’une énergie limitée. «C’est une nouvelle calamiteuse pour l’environnement et l’écologie en général», a‑t‑il répété, avertissant que l’énergie deviendra un enjeu de répartition entre usages concurrents.
Vers une «explosion» de la consommation
À quelques jours de la publication du dernier rapport du think tank le Shift Project, la question écologique a logiquement dominé les échanges. Alexandre Theve, directeur R & D du Shift Project et coauteur du rapport, a alerté sur les tendances actuelles : «Les tendances actuelles d’usage nous mènent vraiment vers une explosion en matière de consommation d’énergie. Ce qui nous éloigne de nos ambitions et objectifs climatiques.» Le rapport complet est accessible (PDF).
Dans un monde de ressources limitées, la filière devra arbitrer entre usages concurrents de l’énergie, rejoignant l’inquiétude exprimée par plusieurs intervenants quant aux conflits d’usage à venir.
Une consommation électrique doublée en cinq ans
Selon le rapport du Shift Project publié le 1er octobre, la consommation électrique des data centers pourrait atteindre entre 1 250 et 1 500 TWh en 2030, contre 530 TWh en 2023 — soit plus du double. Cette hausse exponentielle est en grande partie attribuée à la prolifération des programmes d’intelligence artificielle.
Si, aujourd’hui, la consommation des data centers représente environ 15 % de la consommation électrique mondiale liée au numérique, elle pourrait atteindre 35 % à 55 % d’ici cinq ans. En France, on recense déjà plus de 300 data centers qui expliqueraient 50 % des 4,4 % que représente le numérique dans l’empreinte carbone nationale, soit l’équivalent des émissions totales du secteur des poids lourds.
