Près de dix ans après la tragédie survenue à Puisseguin, la justice a une nouvelle fois choisi de ne pas organiser de procès, suscitant l’indignation des victimes. Le 23 octobre 2015, un semi-remorque s’était déporté sur la voie opposée pour percuter de plein fouet un autocar transportant des retraités en excursion près de ce village de Gironde, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Bordeaux. Ce choc avait engendré un incendie meurtrier, piégeant les passagers dans un nuage de flammes et de fumées toxiques. Quarante et une personnes avaient péri, brûlées ou asphyxiées, tandis que huit survivaient à l’accident, considéré comme le plus meurtrier en France depuis celui de Beaune en 1982. Le chauffeur du poids lourd et son jeune fils de trois ans avaient également trouvé la mort.
Une modification non homologuée pointée du doigt
En 2021, une première instruction judiciaire avait estimé que, malgré certaines fautes, aucune n’était directement responsable de l’accident, attribué principalement à un excès de vitesse du chauffeur du camion. La procédure s’était alors soldée par un non-lieu général, sans aucune mise en examen. Toutefois, la cour d’appel de Bordeaux avait ordonné en mars 2023 la réouverture de l’enquête, saisie par les familles des victimes.
En novembre 2023, la société de transport qui affrétait le camion ainsi qu’un garage responsable d’une modification non conforme — notamment l’ajout d’un réservoir de carburant additionnel — avaient été mis en examen, tout comme leurs représentants légaux. Le 17 avril, le parquet général avait requis leur renvoi devant le tribunal correctionnel, prononçant par ailleurs un non-lieu en faveur de Daimler, fabricant de l’autocar Mercedes impliqué dans l’accident.
Cette dernière décision a fortement déçu le collectif des victimes, qui espérait voir mis en cause le constructeur allemand, notamment pour les matériaux inflammables et les gaz toxiques potentiellement responsables de la gravité du sinistre. Malgré cette déception, les familles attendaient un procès, mais la chambre de l’instruction a confirmé le non-lieu général ce jeudi.
Un sentiment d’injustice et d’abandon
Guillaume Buisson, vice-président du collectif des victimes, a exprimé sa colère : « C’est une incompréhension totale. Personne ne la voyait venir, cette décision. C’est inacceptable, c’est une honte. Aujourd’hui, on a le droit de tuer dans les normes et on ne peut rien y faire ». Il dénonce une impunité totale face à des faits concrets qui ont coûté la vie à des dizaines de personnes. « On nous dit que c’est la faute à pas de chance… Ce n’est pas possible. Et il a fallu dix ans pour nous dire cela ? C’est inconcevable », a-t-il martelé avec amertume.
Un pourvoi en cassation est « très fortement envisagé », annonce Me Pierre-Marie Pigeanne, avocat du collectif. Quelques membres du collectif ont quitté la salle d’audience en larmes à l’annonce de cette décision. Selon l’avocat, le refus de tenir un procès constitue une « permission de circuler librement pour des autocars qui sont de véritables torches », rappelant d’autres drames similaires.
Il explique : « Si une étincelle survient dans un autocar, elle déclenche un incendie extrêmement rapide, accompagné de fumées toxiques et paralysantes. On ne comprend pas pourquoi il n’y a pas de normes plus strictes, et lorsque cela n’existe pas, on s’attend à une réaction juridique ». Le combat du collectif s’inscrit dans une inertie de cinquante ans. Par ailleurs, des assureurs ayant indemnisé les victimes ont engagé une procédure civile à l’encontre de Daimler.