Sommaire
L’essentiel
- Les douaniers de la brigade de Bordeaux Bassens constatent une explosion des saisies liées aux stupéfiants en 2025, surtout de cocaïne, avec une multiplication par plus de cinq des prises sur la juridiction de Bordeaux entre 2024 et 2025.
- Le travail au péage de Virsac (Gironde) repose sur l’observation, l’intuition et l’interrogation des conducteurs pour déceler des indices ouvrant sur des contrôles approfondis et des saisies.
- L’augmentation massive du trafic s’explique notamment par la multiplication par 6,5 de la production de cocaïne en Colombie ces dix dernières années ; les organisations criminelles adaptent leurs méthodes en fractionnant les routes et en organisant des stockages intermédiaires.
C’est le moral dopé que les douaniers de la brigade de Bordeaux Bassens partent effectuer un contrôle, un jeudi, sur le péage de Virsac, sur l’autoroute A10. En juillet dernier, ils avaient mis la main sur 212 kg de cocaïne au péage de Saint-Selve, sur l’A62. « D’habitude, on est sur des saisies de 2 kg voire 20 kg ou 30 kg, commente le chef, en charge d’une équipe de 36 agents. C’était du jamais vu à la brigade ! »
En 2025, l’activité liée aux stupéfiants a explosé, en particulier sur la cocaïne qui, pour la première fois en 2024, a généré en France un chiffre d’affaires supérieur à celui du trafic de cannabis. La tendance régionale est exponentielle, avec notamment de grosses prises dans le Pays basque (1,4 tonne de cocaïne saisie à Hendaye, en septembre).
« Les douanes en ont déjà saisi près de deux tonnes depuis le début de l’année, contre 360 kg l’an dernier, et 37 kg l’année d’avant », soulignait le procureur de la République de Bordeaux lors d’une audience solennelle, à propos des saisies de cocaïne relevant de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS).
« Il faut faire parler » pour détecter le mensonge
« Bonjour, vous venez d’où ? vous allez où ? », lance un agent à une automobiliste de retour d’Andorre, invitée à avancer son véhicule pour une fouille du coffre. Trois agents se tiennent prêts au cas où l’opposition au contrôle surviendrait, ce qui est rare. « On parle et on doit détecter le mensonge, décrypte le chef de la brigade. Dès lors que ce n’est pas sincère, cela va nous intéresser. Notre travail est basé sur l’intuition et pour ça, il faut les faire parler. » La jeune femme, souriante et volubile, explique qu’elle et son amie ont acheté du tabac, de l’alcool et du parfum ; elle est en règle et repart après quelques minutes.
Le péage de Virsac est l’un des points les plus « rentables » pour les saisies. En début d’après-midi, les douaniers s’y déploient méthodiquement pour arrêter véhicules légers et poids lourds. « Vendredi dernier, à Virsac, on a saisi 401 kg de cannabis sur un poids lourd danois », raconte le chef de la brigade. Ces découvertes récompensent des heures d’observation et de patience : « Elle a besoin de ça, relève-t-il, c’est important pour l’ambiance et la dynamique du service. »
Ce jour-là, la brigade cynophile accompagne les opérations, avec un chien spécialisé dans la détection du tabac et des espèces, et un autre sur les stupéfiants. Ils interviennent surtout pour les fouilles de soutes de bus touristiques. Le maître-chien dirige l’animal qui flaire les bagages et marque les points à approfondir.
D’intrigants frigos vides
« Le document de transport, je le trouve un peu basique, on pourrait facilement le faire à la maison, c’est pour cela que je le contrôle », explique un agent après avoir intercepté un poids lourd espagnol ; le camion transportant des brochures sera simplement rappelé à l’ordre. « On ne laisse pas partir un véhicule si on a un doute, dit le chef de la brigade des douanes de Bordeaux Bassens. On a le temps, on n’est pas police secours. »
Lors de leur grosse saisie cet été, l’absence de plaque sur le véhicule avait éveillé les soupçons. Les agents ont ensuite percé le plancher et utilisé un endoscope pour découvrir des pains de cocaïne. Mais les saisies, qui représentent environ deux tiers des interventions de la brigade, peuvent aussi naître d’un contrôle sur une aire de repos.
Les douaniers repèrent aussi des pratiques actuelles : dans de grandes affaires, des camions remontant du Maroc avec des frigos vides ont été impliqués. « C’est intrigant économiquement de faire déplacer un camion à vide, donc cela nous interroge », observe le chef de brigade. Un frigo affichant 13 °C au lieu des 5 °C habituels est également suspect.
Ce qui sort de l’ordinaire en matière de flux alerte. Ce jeudi, un poids lourd marocain arrêté à Virsac transporte des câbles pour des voitures et ses papiers sont en règle : le contrôle ne va pas plus loin. Des poids lourds finlandais, marocains ou espagnols sont passés au contrôle ce jour-là, mais « les plaques ne riment plus à rien », note une douanière. « Les organisations s’adaptent, confirme son supérieur. Elles vont fractionner les routes et organiser des stockages en Espagne mais aussi en France. »
Des cycles plus ou moins chanceux
Les flux circulent désormais dans tous les sens, et pas seulement du sud vers le nord. Les douaniers doivent s’adapter en permanence. L’hypothèse de déchargements par voie maritime en Espagne et au Portugal, puis d’un acheminement par poids lourds vers la France et le nord de l’Europe, est souvent retenue.
La pureté des produits saisis (jusqu’à 42–43 % pour certains, contre 10–15 % normalement) laisse penser à une arrivée directe d’Amérique du Sud ; les marchandises peuvent ensuite être coupées quatre à cinq fois avant leur revente.
Le procureur de la République de Bordeaux rappelle qu’en Colombie la production de cocaïne a été multipliée par 6,5 au cours des dix dernières années, atteignant 2 600 tonnes l’an passé contre 400 en 2014. « Il n’y a pas de mystère : cette marchandise doit être écoulée par tous moyens et force est de constater que malgré les réussites incontestables de nos services d’enquête, ils y parviennent », a-t-il souligné, annonçant un renforcement des moyens du parquet dans la lutte contre la criminalité organisée.
Les douaniers mesurent aussi l’importance du facteur chance. « C’est par cycles et en ce moment on trouve beaucoup mais cela peut redevenir plus calme », reconnaît le chef de la brigade de Bordeaux Bassens.
