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Des nouveau-nés, des prostituées, des sans-abri, des étudiantes… Le docteur Bernard Marc, médecin légiste depuis plus de trente ans, a rencontré toutes sortes de victimes, vivantes ou décédées. Dans son livre Médecin légiste, pour les morts et les vivants, publié le 12 juin, il partage leurs histoires, dévoile leurs derniers instants et révèle les secrets rassemblés au fil de sa carrière, à la fois en tant que soignant et enquêteur.
Il revient notamment sur des affaires marquantes telles que la mort des frères Kouachi, auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, et le cas de Maud Maréchal, dont l’histoire a inspiré le film La nuit du 12.
Pourquoi écrire ce livre et raconter ces histoires ?
Après avoir rédigé de nombreux ouvrages théoriques destinés aux professionnels de la médecine légale, le Dr Marc explique qu’avec le temps, il a trouvé la distance nécessaire pour porter la parole des victimes qu’il a rencontrées, qu’elles soient vivantes ou décédées. Son objectif est de retranscrire fidèlement ces fragments de vie, sans voyeurisme, tout en conservant la véracité du récit. En précisant ces détails, il contribue aussi à nourrir une réflexion sociologique de qualité.
Une expérience souvent associée aux morts, mais la majorité des victimes sont vivantes
Contrairement à l’idée reçue, 9 fois sur 10, les médecins légistes en unité médico-judiciaire interviennent auprès de victimes vivantes, parfois grièvement blessées. Ils effectuent des constatations post mortem mais voient surtout des patients en réanimation, intubés ou ventilés, présentant de multiples blessures. Leur mission, sous réquisition judiciaire, consiste à fournir des éléments de preuve essentiels pour la justice.
Au-delà de cet aspect technique, ils jouent également un rôle d’accompagnement et de soutien, notamment lorsqu’il s’agit de mineurs. Ces victimes sont orientées vers des structures de soins et des associations, tout en bénéficiant d’une écoute attentive durant les difficiles étapes de la procédure judiciaire, de l’expertise jusqu’au procès, voire à l’appel.
Se blinder face aux horreurs
Le travail du médecin légiste expose à des récits terribles : bébés tués, personnes torturées, blessures extrêmes. Le Dr Marc explique que son expérience lui a permis de développer une distance professionnelle indispensable pour ne pas compromettre la qualité de ses observations et rapports. Cependant, certaines situations particulièrement difficiles, notamment avec des victimes mineures, nécessitent parfois un temps de réflexion supplémentaire avant la rédaction complète d’un rapport.
Cette bonne distance est cruciale afin de fournir des réponses justes, qui contribuent au bon fonctionnement de la justice et portent la voix des victimes dans ce processus. La quête d’exactitude est toujours au cœur de leur engagement.
Une affaire marquante : le meurtre de Maud Maréchal
Parmi toutes les affaires traitées, celle de Maud Maréchal, une jeune femme tuée à Lagny-sur-Marne, retient particulièrement l’attention. Son histoire, qui a inspiré le film La nuit du 12, est particulièrement tragique. Le Dr Marc souligne que l’affaire n’est toujours pas close, révélant un désir profond de vérité et de réponses, mais aussi l’importance de ne pas réduire cette histoire à une simple source d’inspiration cinématographique.
La forte surreprésentation des femmes victimes de violences
Les analyses criminologiques confirment une surreprésentation des hommes parmi les auteurs, tandis que les femmes constituent une majorité écrasante des victimes. Cette disproportion devient criante dans les affaires les plus marquantes. Toutefois, il ne faut pas oublier que certains hommes subissent également des violences spécifiques. La fragilité — qu’elle soit l’âge, un handicap ou une vulnérabilité — devrait appeler à une protection renforcée, mais elle entraîne souvent une surexposition aux violences.
Face à la barbarie : l’exemple des frères Kouachi
Le Dr Marc est intervenu après la mort des frères Kouachi, auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo. Il témoigne avoir vu « de très près le visage de la barbarie ». Cette immersion dans ce que l’homme peut faire de pire correspond à la définition donnée par son maître, le professeur Durigon, selon qui la médecine légale expose à la confrontation avec la cruauté humaine. Ces histoires impliquent souvent des gens ordinaires, ce qui confère à la vision une dimension aussi réaliste que crue de la société.
L’apport fondamental de la technologie
La médecine légale est à la pointe des technologies depuis longtemps, ayant été la première discipline à utiliser la photographie puis la radiologie. Le Dr Marc a vu arriver l’ère des empreintes génétiques et a contribué à l’implantation de l’imagerie 3D il y a environ vingt ans, une révolution dans le domaine. Lors d’un décès par arme à feu, par exemple, cette technique permet d’obtenir un diagnostic précis des lésions et des preuves cruciales.
Les progrès dans les analyses toxicologiques permettent désormais de détecter aisément tout produit suspect. Ils facilitent aussi la reconstitution des scènes : la provenance d’un petit caillou ou d’un grain de sable peut indiquer si une victime a été déplacée. L’analyse ADN permet d’établir des caractéristiques morphologiques de l’auteur, telles que la calvitie ou la taille, afin d’orienter efficacement l’enquête.
Enfin, les avancées modernes dans les empreintes numériques, issues d’objets connectés ou de pacemakers, offrent la possibilité de déterminer de manière très précise l’heure d’un décès.
Médecin légiste, pour les morts et les vivants, Dr Bernard Marc, Mareuil éditions, 217 pages, 21 euros.
