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Pendant longtemps, Peter Madsen a été perçu au Danemark, son pays d’origine, comme un inventeur fantasque mais brillant, un génie autodidacte passionné par l’espace et les profondeurs marines. Il a conçu plusieurs fusées, dont l’une a atteint 8 000 mètres d’altitude, mais sa création la plus impressionnante reste le Nautilus, le plus grand sous-marin privé du monde : 18 mètres de long, 38 tonnes d’acier, capable de descendre jusqu’à 100 mètres de profondeur. « Tout le monde le connaissait ici, » se souvient Camille Bas-Wohlert, correspondante au Danemark. « Il avait une image assez sympathique de Géo Trouve-tout. » Cette image s’est brisée le 11 août 2017, lorsque le submersible s’est échoué, révélant de macabres secrets.
Ce jour-là, vers 6h45, les autorités reçoivent l’appel du compagnon de Kim Wall, une brillante journaliste suédoise de 30 ans. Kim Wall avait embarqué à bord du Nautilus la veille pour réaliser un portrait de son constructeur mais n’était pas rentrée et ne répondait pas au téléphone. Son compagnon craignait un accident, inquiétude partagée par les garde-côtes car le sous-marin avait disparu des radars. Vers 8h30, un hélicoptère militaire repère le Nautilus dans le détroit d’Orsund, entre le Danemark et la Suède. Peter Madsen est vu debout sur la tourelle, fait signe aux sauveteurs avant de retourner dans le sous-marin, puis ressort peu après doté d’un gilet de sauvetage. Peu après, le Nautilus sombre dans la mer Baltique.
Des versions contradictoires au fil de l’enquête
Repêché sain et sauf, Peter Madsen explique avoir subi une avarie. Lorsqu’on lui demande où se trouve Kim Wall, il affirme l’avoir déposée près de son entrepôt la veille au soir. Cette version est rapidement démentie par des vidéosurveillance. De plus, des traces de sang sont relevées sur sa combinaison, et surtout, une grande quantité de sang est découverte à bord du submersible une fois renfloué, trace indiscutable de la présence de la journaliste. Les experts concluent que Madsen a sciemment sabordé son sous-marin.
Face aux preuves, Madsen modifie plusieurs fois son récit : il soutient d’abord que Kim Wall est décédée accidentellement, victime d’un coup à la tête causé par une écoutille, ce qui l’aurait poussé à paniquer et à jeter le corps à la mer. Dix jours plus tard, un cycliste découvre par hasard le tronc décapité de la journaliste lesté d’un poids métallique. L’accusé reconnaît alors le démembrement tout en continuant d’affirmer que la mort est accidentelle. L’autopsie ne précise pas la cause exacte du décès mais révèle que Kim Wall a été brutalement violée et torturée : quatorze blessures au niveau des organes génitaux, causées par un objet tranchant alors qu’elle était encore en vie. « Chaque nouvel indice dépassait le précédent en ampleur, » relate Anne-Françoise Nivert. Ce drame ressemblait à un polar scandinave très populaire à cette époque.
La couverture médiatique et le traitement du drame
Le 7 octobre, aidés de chiens formés à repérer des cadavres sous l’eau, les enquêteurs découvrent deux indices majeurs : un contenant des vêtements de Kim Wall et des couteaux, l’autre ses jambes et sa tête. Les analyses confirment que la thèse de l’accident est impossible, aucune blessure crânienne n’étant identifiée. Madsen change encore de version, prétendant que la journaliste aurait succombé à une intoxication au monoxyde de carbone.
En Suède, chaque étape fait la une des journaux. Le parcours de Kim Wall, journaliste reconnue mondialement ayant collaboré avec le New York Times ou le Guardian, est largement retracé. Ses parents engagés dans la presse ont œuvré pour que son histoire soit racontée avec respect et ne soit pas seulement un fait divers sensationnaliste. Cependant, peu de médias internationaux ont abordé cette affaire sous l’angle des violences faites aux femmes, sans doute car elle précède de peu l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo. « On a surtout parlé de l’affaire pour son sensationnalisme et la perversité de Madsen, pas pour le calvaire de cette femme, » déplore Camille Bas-Wohlert.
Un mobile sordide et un procès sous haute tension
Progressivement, un mobile apparaît : Madsen voulait satisfaire un fantasme sexuel morbide. Dans son atelier, les enquêteurs trouvent un disque dur contenant des vidéos de femmes violées, décapitées, torturées – des images authentiques, pas des mises en scène. Madsen admet pratiquer le sado-masochisme mais nie la propriété de ce disque. Pourtant, la présence à bord du Nautilus de scie, tournevis et liens utilisés pour torturer sa victime fait pencher l’accusation vers la préméditation.
Le procès s’ouvre en mars 2018 à Copenhague, attirant des médias du monde entier. Anne-Françoise Nivert se souvient d’un Madsen « menteur pathologique », niant toute implication malgré les preuves accablantes. Il présente des excuses à la famille mais continue de défendre la thèse de l’accident sans montrer de réelle contrition. « Il a même expliqué avoir démembré la victime pour épargner à ses proches l’horreur de son corps, » raconte Camille Bas-Wohlert. Ces justifications n’ont pas convaincu la cour qui l’a condamné à la prison à vie, peine confirmée en appel. En 2020, dans un documentaire, Madsen admet finalement avoir tué Kim Wall, sans en dire davantage.
Une évasion et une contestation de la loi en prison
Peter Madsen n’a pas cessé de faire parler de lui. En octobre 2020, il parvient à s’évader de sa prison de haute sécurité. Sa cavale dure six minutes, mais son évasion révèle une préparation minutieuse : il s’est procuré un plan de la prison, fabriqué des armes factices pour menacer le personnel et a tenté de fuir en voiture, avant d’être rapidement rattrapé par la police. Pour cette tentative, il a écopé d’une peine supplémentaire d’un an et neuf mois.
Par ailleurs, Madsen a intenté un procès à l’État danois pour contester une loi interdisant aux détenus à perpétuité de communiquer avec des personnes qu’ils ne connaissaient pas avant leur incarcération. Il arguait que cette loi violait sa vie privée, notamment car il recevait beaucoup de courriers de ses admirateurs. Malgré son échec en justice, ces faits donnent un nouvel éclairage sur la personnalité trouble de cet homme, prêt à tout pour obtenir ce qu’il souhaite.

