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« C’est un miracle ! » Me Arnaud Miel ne mâche pas ses mots pour évoquer la tenue de ce procès, trente‑et‑un ans après le meurtre Nadège Desnoix. L’avocat soissonnais représente la mère de l’adolescente de 17 ans dont le corps avait été retrouvé en mai 1994 à Château‑Thierry (Aisne). Selon lui, l’instruction « piétinait » faute d’éléments probants, mis à part des traces d’ADN inconnues relevées sur des objets de la scène de crime. La découverte, en novembre 2021, de l’interpellation d’un suspect a donc surpris et choqué les proches, longtemps privés de réponses.
L’accusé, Pascal Lafolie, aujourd’hui âgé de 58 ans, est jugé devant la cour d’assises de l’Aisne à Laon. La justice le soupçonne d’avoir tué Nadège Desnoix le 24 mai 1994, sur un petit chemin proche du lycée Jules‑Verne où elle était élève de première. Ce jour‑là, un promeneur découvre le corps, partiellement enfoui sous des feuillages. Sur les lieux, les enquêteurs retrouvent un cartable en cuir noir, une ceinture en cuir, une montre, une cordelette d’environ 80 cm et une rose fraîchement cueillie. La victime portait la chevelure relevée en queue‑de‑cheval maintenue par un chouchou bleu marine à pois blancs.
Plusieurs pistes suivies
L’autopsie révèle huit coups de couteau portés au cou et à la poitrine, la lame évaluée à environ 6 cm. Il n’a pas été possible de conclure à une agression sexuelle. Les enquêteurs interrogent amis et proches d’une lycéenne décrite comme sans histoire. Comme beaucoup de jeunes, elle séchait parfois les cours pour se rendre au café « Chez Colette », à proximité duquel elle a été vue vivante pour la dernière fois vers 12h45. L’après‑midi, elle ne retourne pas en classe et le soir son père, inquiet, la cherche dans Château‑Thierry avant d’alerter les gendarmes.
Plusieurs pistes sont exploitées : un exhibitionniste repéré l’année précédente (deux hommes entendus puis blanchis), un trio racketteur ciblant des lycéens, le petit ami de la victime — retenu cependant par un service militaire à l’est de la France au moment des faits — puis même le couple de tueurs en série Michel Fourniret et Monique Olivier, qui reconnaît être passé à proximité mais nie toute implication.
Un suspect au profil inquiétant
Le dossier rebondit fin 2021 : de l’ADN retrouvé sur le chouchou de la victime est ensuite identifié comme appartenant à Pascal Lafolie. En consultant leurs fichiers, les policiers constatent que cet homme a déjà été condamné pour des faits similaires. Entre 1992 et 1996, il vivait à Jouarre, à une trentaine de kilomètres de Château‑Thierry. Il a été condamné à cinq ans de prison pour une agression sexuelle sur une adolescente de 14 ans, commise en menaçant la victime avec un couteau, la retenant avec des cordelettes et la contraignant à des actes sexuels. En 2002, il a été condamné à douze ans de réclusion pour le viol d’une jeune femme de 21 ans.
En août 2021, une dispute avec sa compagne conduit à une garde à vue et au prélèvement de son ADN, quelques jours avant de nouvelles expertises menées sur les vêtements de Nadège Desnoix. Le 30 novembre, il est interpellé sur son lieu de travail à Vezin‑le‑Coquet (Ille‑et‑Vilaine) et placé en garde à vue. Il reconnaît alors les faits : « Je ne pensais pas que ça finirait en meurtre pour une fellation. J’ai des regrets. C’est un peu vague parce que ça fait des années et j’ai du mal à me rappeler mais je vois l’endroit où cela s’est passé, je le vois très bien. »
Un frère dangereux mis hors de cause
En mai suivant, il revient sur ses déclarations et clame son innocence. Il affirme au juge d’instruction avoir conduit son frère Franck à Château‑Thierry le jour des faits ; selon lui, ils auraient alors croisé Nadège et Franck aurait tenté de l’agresser sexuellement. Pascal assure avoir voulu l’en empêcher mais avoir été assommé par son frère, perdant connaissance et oubliant l’épisode jusqu’à en faire un cauchemar en détention.
Franck, présenté par son entourage comme un homme dangereux — accusé d’abus sur des enfants et, selon une ex‑compagne, d’un viol sur sa propre fille — est décédé en juillet 2021. Son corps exhumé et soumis à des prélèvements ADN ne retrouve toutefois pas son profil sur la scène de crime. Les investigations montrent aussi que les deux frères n’étaient pas proches à l’époque. L’hypothèse d’une implication de Franck est donc écartée.
Les témoignages des ex‑compagnes dressent, quant à eux, le portrait d’un Pascal violent, plusieurs d’entre elles affirmant avoir été violées. L’exploitation de son ordinateur révèle des contenus pédopornographiques, dont deux vidéos filmées à l’insu de la fille d’une ex‑compagne pendant sa douche, enregistrées grâce à une caméra dissimulée dans un panier à linge.
« Le doute devra bénéficier à l’accusé »
La question de savoir si Pascal Lafolie a tenté de violer Nadège Desnoix reste au cœur du procès. La famille de la victime « a des doutes sur ce qu’il s’est passé exactement », indique Me Arnaud Miel. L’avocate de l’accusé, Me Justine Devred, précise que son client « reconnaît avoir été sur place mais pas l’avoir tuée » et se dit prêt à participer aux débats qui doivent revenir sur trente ans d’enquête et sur les faits de 1994. « On va parler de faits qui ont eu lieu il y a trente‑et‑un ans. S’il y a un doute, il devra bénéficier à l’accusé », conclut‑elle.
