Séquestration en Loire-Atlantique : Analyse d’une emprise psychologique

par Olivier
0 commentaire
A+A-
Reset
Séquestration en Loire-Atlantique : Analyse d'une emprise psychologique
France

Une femme de 45 ans a été séquestrée pendant cinq ans dans un garage par un couple, dans une maison située près de Guérande, en Loire-Atlantique. La victime a réussi le 14 octobre à se signaler auprès de voisins, profitant d’un moment où l’homme regardait la télévision.

Elle a été forcée de vivre dans des conditions indignes et privée d’accès à ses comptes par ce couple. Les deux mis en examen sont poursuivis notamment pour « séquestration avec torture ou actes de barbarie » ainsi que pour « abus frauduleux » de « l’état de sujétion psychologique ou physique d’une personne » et pour avoir profité de la « faiblesse d’une personne vulnérable ».

Pour mieux comprendre le phénomène d’emprise à l’œuvre dans ce type d’affaires, Grégory Michel, professeur de psychopathologie et de psychocriminologie à l’université de Bordeaux et auteur d’Enquêtes psychologiques, plongée au cœur de la psyché, détaille les mécanismes et les conséquences de l’emprise.

Comment définir l’emprise, forme extrême de domination ?

« C’est un processus relationnel par lequel une personne va chercher à exercer une influence qui va être généralement progressive et continue. L’objectif est d’altérer la liberté de la victime : sa liberté sociale, économique, comportementale et même sa liberté psychique. La victime perd sa liberté de penser et de réfléchir, donc sa volonté aussi est altérée. C’est en cela que c’est particulièrement grave. »

Au fil du temps, la relation devient entièrement asymétrique et bascule vers la dépendance. « La personne à l’origine de l’emprise peut devenir complètement idéalisée. Et alors la victime est totalement l’instrument de l’autre, et même une sorte d’objet dans les formes extrêmes de l’emprise. Les besoins de la victime deviennent niés, non seulement par l’auteur mais aussi par la victime elle‑même. Il y a forcément une recherche de bénéfices (économique, sexuel, etc.) dans une relation d’emprise. L’auteur ne se préoccupe pas des conséquences de ses actes. »

Quels signes peuvent alerter l’entourage ?

La relation d’emprise débute souvent par une phase de séduction — parfois comparable au « love bombing » — qui fait tomber les défenses et crée une fusion apparente. La relation évolue ensuite vers une appropriation progressive : la victime finit par ne plus penser qu’à l’autre et entre dans une logique de dépendance émotionnelle et sociale.

« Elle va progressivement modifier ses comportements, se couper de ses amis, abandonner des activités, s’isoler socialement. Sur le plan de la pensée, elle va complètement se soumettre ; elle sera d’autant plus soumise que l’autre va agir en la dénigrant, en la disqualifiant et ainsi le rendre plus fragile qu’elle ne l’était auparavant. »

Les proches peuvent remarquer une dévalorisation accrue, une estime de soi attaquée, ainsi que des comportements de contrôle de la part de l’auteur, parfois accompagnés de menaces physiques ou psychologiques : autant de signaux forts d’une relation d’emprise.

Qui est plus susceptible de tomber sous emprise ?

Les personnes porteuses d’une blessure narcissique sont particulièrement vulnérables : leur estime d’elles‑mêmes dépend souvent de l’attention reçue, ce qui installe déjà une asymétrie relationnelle. « Ce sont souvent des personnes qui ont vécu des histoires difficiles, avec un développement de vie chaotique. »

Mais des périodes de fragilité transitoires peuvent exposer n’importe qui : adolescence, séparation compliquée, licenciement… L’estime de soi fragilisée est d’abord regonflée par l’auteur de l’emprise pour mieux être affaiblie ensuite, selon une stratégie alternant chaleur et froideur. « On est dans quelque chose d’extrêmement pervers. »

La puissance de l’emprise sans entraves physiques permanentes

Dans l’affaire de Loire‑Atlantique, il n’est pas fait état d’entraves physiques constantes, ce qui illustre la force de l’emprise psychologique : la victime est dévitalisée, doute d’elle‑même, et se trouve sous la dépendance d’une personne au point qu’on peut parler de terreur psychologique. « L’endoctrinement qu’elle a subi a entamé sa volonté, son estime de soi et elle est physiquement affaiblie par des maltraitances. Elle n’est plus en condition de choisir, elle ne fait que subir et on exerce contre elle un contrôle coercitif. »

L’emprise psychologique induit des troubles anxieux, des états de stress post‑traumatique et des dépressions. Réapprendre à avoir une vision de soi positive et trouver la force de s’en sortir est extrêmement difficile.

Comment l’élan vital peut‑il revenir ?

Lorsque le contrôle coercitif est levé, un sursaut peut être possible, mais la sortie reste compliquée : peur d’être seule, difficultés économiques, empreinte des maltraitances. Plus l’emprise est installée depuis longtemps, plus elle laisse une marque profonde — on parle alors de multitraumatismes. La prise en charge est souvent longue et douloureuse, même en l’absence de violences physiques apparentes.

Suggestions d'Articles

Laisser un Commentaire