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Insolite

Jakob et Wilhelm Grimm étaient des linguistes allemands du XIXe siècle qui, presque par hasard, sont devenus les figures les plus associées aux contes populaires. Ils ont entrepris de collecter les récits oraux racontés par leurs voisins, amis et connaissances, consignant ainsi une vaste tradition orale qui aurait autrement pu se perdre. Leur approche philologique et leur curiosité pour les variantes régionales ont permis de préserver des versions parfois très différentes d’un même conte. Ces recueils témoignent autant de l’histoire des langues que de la psychologie et des mœurs populaires.
Sur plusieurs décennies et à travers sept éditions, leur ouvrage connu sous le titre anglais Children’s and Household Tales est devenu la compilation de référence pour les contes européens. On y retrouve des récits célèbres tels que Cendrillon, Blanche‑Neige, Hansel et Gretel, La Belle au bois dormant et Raiponce, parmi littéralement des centaines d’autres. Chaque édition reflète des choix éditoriaux différents, notamment des remaniements stylistiques et des suppressions ou atténuations de certains passages. Ces révisions ont contribué à façonner l’image aujourd’hui familière des Frères Grimm auprès du grand public.
Les premières versions recueillies n’étaient pas toujours destinées à de jeunes oreilles et conservent parfois des éléments d’une grande noirceur. Si, au fil du temps, de nombreux contes ont été adoucis pour convenir à la lecture familiale, plusieurs variantes originales restent empreintes de violence, de cruauté ou d’ironie cruelle. Cela explique pourquoi l’œuvre des Frères Grimm fascine encore : elle oscille entre charme populaire et récits aux accents très sombres. Pour le lecteur moderne, ces différences entre versions anciennes et éditions ultérieures offrent un terrain d’étude riche et surprenant.
- Collecte orale : les Grimm ont privilégié les témoignages directs et les variantes locales.
- Éditions successives : chaque nouvelle édition réfléchit des choix culturels et moraux de l’époque.
- Tonalités contrastées : les contes mêlent éléments merveilleux et aspects souvent violents ou ambigus.
Ces éléments posent les bases d’une exploration des contes les plus troublants et insolites des Frères Grimm, dont certaines versions originales déconcerteraient le lecteur contemporain — voici, dans la suite, quelques exemples marquants.
Crédit image : Elisabeth Jerichau‑Baumann / Wikimedia Commons
La Fille aux oies — une tête de cheval décapitée
Jessie Willcox Smith/Wikimedia Commons
Poursuivons notre voyage dans l’insolite des Frères Grimm avec « La Fille aux oies ». L’intrigue s’ouvre sur une jeune princesse naïve envoyée épouser un prince lointain, accompagnée uniquement de son cheval parlant, Falada, et d’une suivante qui en a assez d’être femme de chambre. Très vite, la perfidie remplace la confiance et la situation bascule.
En chemin, la suivante contraint la princesse à échanger vêtements et identité, et la véritable héritière ne peut que se laisser dépouiller de son rang. Arrivées au palais, la fausse épouse épouse le prince, tandis que l’authentique princesse est reléguée à garder les oies du roi, sous la surveillance d’un jeune gardien de troupeau au comportement étrange. Le contraste entre l’innocence de la princesse et la duplicité de la suivante alimente la tension du conte.
Craignant d’être démasquée par le lien entre la princesse et son cheval parlant, la suivante orchestre un acte extrême : Falada est décapité. La princesse, attachée à son compagnon, persuade le boucher d’en clouer la tête à la grille pour pouvoir encore la regarder. Le geste, choquant et grotesque, confère au récit une tonalité macabre propre aux récits populaires de l’époque.
La tête tranchée conserve la parole et offre des réconforts quotidiens à la princesse, ajoutant une étrangeté presque ritualisée à la scène. Le roi, intrigué par les comportements de la jeune fille, la suit en secret et découvre des manifestations étonnantes : elle semble commander au vent et confier ses peines à un poêle. Ces révélations précipitent la chute de la fausse épouse.
- Tête de cheval décapitée qui parle
- Magie et confidences inhabituelles
- Punition brutale infligée à la usurpatrice
Le châtiment infligé à la suivante est aussi implacable que le stratagème l’était : elle est enfermée dans un tonneau clouté et roulée jusqu’à la mort, une fin violente et sans nuance qui illustre la sévérité morale des contes. Ce passage révèle combien les Frères Grimm mêlaient réalisme brutal et merveilleux pour questionner la justice et la vérité, tout en marquant durablement l’imaginaire populaire.
« L’Arbre au genévrier » : un festival d’atrocités
Otto Ubbelohde / Wikimedia Commons
Poursuivant notre exploration des récits les plus insolites des Frères Grimm, ce conte accumule les horreurs avec une logique de cauchemar. Voici les éléments saillants, racontés de façon concise pour mieux saisir l’étrangeté de l’intrigue.
- Une femme fait une offrande de sang à un genévrier pour obtenir un enfant ; elle meurt d’émotion à la naissance et est inhumée sous l’arbre.
- Le père se remarie. La belle-mère, conforme au stéréotype cruel des contes, hait le garçon et le tue en lui claquant sur la tête le couvercle d’un coffre contenant une pomme.
- Pour dissimuler son crime, la belle-mère persuade sa fille que la tête coupée repose sur le corps du garçon, de sorte qu’elle la fasse rouler en la touchant.
- La cruauté atteint son paroxysme : la belle-mère cuisine le garçon en ragoût et oblige le père, ignorant tout, à en manger.
- La fille récupère en secret les os de son frère et les enterre sous le genévrier.
- Le garçon renaît sous la forme d’un oiseau spectral qui sort de l’arbre, chante en traversant la ville et révèle son assassinat.
- Par ses chants, il réclame et obtient des présents — une chaîne en or pour le père, des chaussures rouges pour sa sœur — puis, pour finir, un meule énorme qu’il laisse tomber sur la tête de la belle-mère.
Ce conte illustre la tonalité sombre et souvent dérangeante des Frères Grimm : une combinaison d’éléments surnaturels, de vengeance et de détours moraux qui rend l’histoire à la fois fascinante et profondément troublante.
Insolite : Le Volatile de Fitcher, un conte cauchemardesque

Dans la veine la plus sombre des Frères Grimm, Le Volatile de Fitcher reprend le schéma de « Barbe-Bleue » pour le pousser vers un registre encore plus dérangeant. Le récit mêle tromperie, sacrifice et réanimation dans une atmosphère où la magie côtoie l’horreur domestique.
Voici les étapes clés qui rendent ce conte si singulier :
- Un sorcier se fait passer pour un mendiant, séduit puis enlève successivement trois sœurs pour en faire ses épouses.
- À chacune, il confie un anneau de clés et un œuf, lui interdisant l’accès à une pièce du château. La première cède à la curiosité : elle découvre les restes mutilés des précédentes épouses, tache l’œuf de sang et est punie par la mort.
- La deuxième sœur subit le même sort, répéter la transgression entraînant la même issue funeste.
- La troisième fait preuve de prudence. Elle évite l’erreur qui avait trahi ses sœurs, parvient à reconstituer leurs corps et, étrangement, à les ramener à la vie.
- Pour s’échapper, elle trompe le sorcier : se dissimulant sous du miel et des plumes, elle se fait passer pour un oiseau. Finalement, elle met le feu au sorcier et à ses comparses magiciens.
Ce conte illustre la manière dont les Frères Grimm exploitent des motifs familiaux et initiatiques pour produire des récits d’une violence étrange, où la ruse et la résilience féminines renversent des forces maléfiques. Le mélange d’éléments macabres et de transformations grotesques le place parmi leurs récits les plus insolites.
« Les trois feuilles de serpent » : trahison, mort et résurrection

Dans la veine insolite des Frères Grimm, ce conte mêle une énigmatique promesse funéraire à des éléments surnaturels qui retournent le destin des protagonistes. L’histoire commence par l’ascension d’un jeune soldat pauvre, remarqué par le roi et récompensé par la main de la princesse. Mais le mariage comporte une condition sinistre : si l’un des deux venait à mourir, l’autre doit être enfermé vivant dans la crypte auprès du corps du conjoint.
Peu de temps après, la princesse meurt et le nouveau prince se retrouve emmuré dans un mausolée, condamné à attendre la mort par la faim. Alors qu’il se résigne, une scène étrange se déroule : un serpent blanc s’introduit dans la tombe. Craignant pour le cadavre, le prince tranche le serpent en trois morceaux. Une seconde créature apparaît bientôt et applique trois feuilles aux blessures du serpent, le restaurant miraculeusement à la vie — un geste qui inspire au prince une idée salvatrice.
- Le prince utilise les mêmes feuilles pour ramener la princesse à la vie.
- Libérés, ils entreprennent un voyage en mer où la princesse tombe amoureuse du capitaine.
- La princesse et le capitaine conspirent pour assassiner le prince pendant la traversée.
- Le prince avait cependant remis les feuilles à son serviteur le plus fidèle, qui le ranime après le meurtre.
- Le prince, de retour parmi les vivants, fait alors rapport : la princesse et son amant sont exécutés pour leur crime.
Ce récit illustre une série de thèmes chers aux récits populaires : le pacte funèbre, l’intervention du merveilleux et la rétribution. Les rebondissements rappellent combien les Frères Grimm exploitaient les peurs et l’étonnement pour tisser des histoires où la frontière entre la vie et la mort se trouve brusquement franchie.
En poursuivant la lecture, on retrouve d’autres contes où l’insolite sert à sonder les failles morales et la fragilité des liens humains.
Le « Fils ingrat » : un conte des Frères Grimm profondément dérangeant

Poursuivant la rubrique « Insolite », ce court conte des Frères Grimm condense en quelques lignes une dose d’ironie cruelle et de fantaisie macabre. Si certains récits des Frères Grimm s’étendent en épisodes successifs de violences — meurtres, cannibalisme et autres horreurs —, ici l’étrangeté tient dans une seule péripétie claire et rapide.
Le scénario est simple et glaçant : un homme et sa femme mangent un poulet rôti. Le fils, voyant son père arriver, cache la volaille pour ne pas la partager et n’offre au vieil homme qu’une boisson. Le père repart sans avoir goûté à la viande. Lorsque le fils revient chercher son dîner, le poulet s’est transformé en une énorme grenouille qui saute sur son visage et y reste pour toujours.
- La transformation grotesque sert de châtiment immédiat à l’avarice.
- Personne ne peut retirer la grenouille : quiconque tente de l’enlever risque de se retrouver à son tour avec la grenouille sur le visage.
- Le condamné doit nourrir la grenouille chaque jour, sous peine de la voir commencer à lui dévorer le visage.
La fable se clôt sur une morale brutale et presque absurde : si votre père vous demande du poulet, donnez-lui du poulet — sinon, vous aurez une « grenouille faciale » pour toujours. Ce bref épisode illustre bien l’inclination des Frères Grimm pour des punitions symboliques et une morale expéditive, où l’insolite côtoie l’effroi.
Pour lire le texte intégral du conte tel qu’il est recueilli dans certaines éditions, voir : https://www.pitt.edu/~dash/grimm145.html.
« La fille sans mains » est en réalité plus sombre qu’elle n’y paraît

Parmi les contes les plus insolites des Frères Grimm, ce récit ne met pas longtemps à révéler sa cruauté. Le titre suffit presque à annoncer l’horreur : un père, dupé par le diable, promet sa fille en échange d’un pacte, mais le démon ne peut la réclamer tant que ses mains restent « propres », au sens propre comme au sens figuré.
Le procédé employé pour tenter de la soumettre est méthodiquement macabre : on lui ordonne d’arrêter de se laver les mains, mais ses larmes viennent sans cesse les purifier. Face à cet échec, le seul « remède » choisi est pire encore — le père doit lui trancher les mains. Là encore, la logique du conte trouve une ironie sinistre : les pleurs de la jeune fille gardent même ses moignons immaculés, rendant vaines les volontés du démon.
Le destin de l’héroïne bascule alors vers un long exil et une série d’épreuves qui mêlent protection céleste et intrigues humaines :
- Incapable de la protéger, le père la laisse partir ; un ange veille sur elle.
- Un roi la découvre en train de manger des fruits dans son jardin ; il lui fait fabriquer des prothèses en argent.
- Ils se marient, mais pendant l’absence du roi, le diable forge des lettres exigeant l’exécution de la reine et de son enfant.
- Protégée par l’ange, la reine s’enfuit avec son bébé ; l’ange restaure finalement ses mains.
Après sept années de recherches infructueuses, le roi retrouve sa femme sans la reconnaître, désormais remaindonnée par ses mains retrouvées. Elle finit par lui montrer les prothèses en argent — preuve tangible de son identité — et, contre toute attente, la famille se reconstitue. Ce conte illustre à la fois la brutalité et les ressorts de rédemption récurrents dans l’œuvre des Frères Grimm.
Pour poursuivre l’exploration de ces récits insolites, la suite de l’article examine d’autres histoires où la noirceur côtoie l’étrange.
« Le fiancé voleur » : un conte des Frères Grimm mêlant manipulation et cannibalisme

Arthur Rackham/Wikimedia Commons
Dans la lignée des récits inquiétants des Frères Grimm, « The Robber Bridegroom » raconte l’histoire d’une jeune femme promise à un prétendant riche mais inquiétant. Méfiante, elle exige de connaître l’emplacement de sa demeure ; lui répond qu’il laissera une trace de cendres pour qu’elle le suive jusqu’à sa maison dans les bois. Cette proposition, loin d’être rassurante, l’incite à enquêter.
Parvenue à la maison isolée, elle découvre un lieu aussi sinistre que les rumeurs le laissaient entendre : un oiseau parlant lui révèle que la maison est liée à des meurtres, et une vieille femme, seule humaine présente, lui confie que son fiancé et sa bande sont des cannibales. Pour la sauver, l’ancienne cache la jeune fille dans un tonneau d’où elle peut assister, terrifiée, aux scènes qui suivent.
La bande ramène une autre jeune fille, qu’ils démembrent et préparent comme repas. Un doigt tranché tombe dans le tonneau où se cache l’héroïne, preuve matérielle du crime. Quand la bande s’endort, repue et ivre de chair humaine, la jeune femme s’échappe et, lors de son mariage, démasque son futur époux.
- Thèmes principaux : manipulation psychologique (ce que l’on qualifie aujourd’hui de gaslighting), trahison et prédation.
- Élément choc : le doigt coupé servi comme preuve irréfutable contre les assassins.
- Déroulé narratif : enquête, révélation, preuve matérielle et justice expéditive.
Le conte, disponible dans sa version complète ici : https://www.pitt.edu/~dash/grimm040.html, illustre la manière dont les récits populaires manipulent la peur et la mise à l’épreuve des héroïnes pour dénoncer des dangers sociaux masqués sous des promesses d’ascension sociale.
En reliant suspicion, ruse et preuves tangibles, ce récit des Frères Grimm incarne l’un des exemples les plus frappants de l’inhabituel et du macabre dans le corpus traditionnel, préparant le lecteur aux autres contes tout aussi troublants qui suivent.
« Comment quelques enfants jouèrent à la boucherie » : un double épisode d’horreur

Poursuivant notre exploration des Frères Grimm et de leurs contes les plus dérangeants, cette histoire se présente en réalité sous la forme de deux épisodes distincts, chacun plus glaçant que l’autre. Les deux récits partagent la même prémisse : des enfants jouent au boucher, l’un tenant le rôle du boucher, l’autre celui du porc, mais sans comprendre pleinement les conséquences de leur « jeu ». Dans les deux versions, le « porc » ne survivra pas à la partie.
Dans la première variante, l’enfant qui joue le boucher est soumis à une sorte de procès singulier. Le juge lui présente une pomme et une pièce, et demande de choisir. L’enfant rit et prend la pomme. Le juge en conclut que cet enfant n’a pas encore la capacité de raisonner comme un adulte et le déclare donc non coupable, le laissant partir sans châtiment.
La deuxième variante est encore plus tragique et rapide dans son escalade. Voici la chaîne d’événements :
- Un garçon, en jouant, tue son petit frère.
- La mère, qui était à l’étage en train de baigner le bébé, entend le drame et descend en courant.
- Folle de douleur, elle poignarde à son tour l’aîné.
- Le bébé, laissé dans la baignoire, se noie pendant ces événements.
- Ayant perdu tous ses enfants, la mère se donne la mort par pendaison.
- Le père rentre chez lui et découvre la scène — il meurt également par la suite.
Ce double récit, profondément sombre, illustre la brutalité et la folie présentes dans certains contes des Frères Grimm, où le « jeu » se transforme en catastrophe irréversible. Enchaînant ainsi avec le propos précédent, cette histoire montre à quel point l’innocence enfantine peut être pervertie en tragédie.
Honnêtement, que raconte « Herr Korbes » ?

Pour rester dans la veine « Insolite » des récits des Frères Grimm, ce conte ressemble d’abord à une plaisanterie absurde : un coq et une poule décident de partir en voyage et attellent quatre souris à leur chariot. Mais la situation dérape vite et, loin d’être une simple anecdote, l’histoire se transforme en une suite d’événements déroutants et violents.
Sur la route, les deux volatiles rencontrent un chat qui demande à se joindre à eux. Bientôt, d’autres compagnons s’ajoutent au convoi, tous entassés dans la minuscule voiture des souris :
- un chat,
- une meule,
- un œuf,
- un canard,
- une épingle et une aiguille.
À l’arrivée chez Herr Korbes, celui-ci est absent : chaque invité se cache dans un endroit différent — le canard dans le seau d’eau, le chat dans la cheminée, et ainsi de suite — en attendant son retour. Quand l’homme rentre, les objets et les animaux parlent et se liguent pour le tourmenter.
Les attaques sont concrètes et cruelles : on lui jette des cendres au visage, on lui colle les yeux, on le poignarde. Pris de panique, Herr Korbes s’enfuit de la maison, mais la meule lui tombe sur la tête et le tue. Le récit s’achève brusquement, sans morale explicite.
Pour tenter d’apporter une cohérence, Wilhelm Grimm ajouta à la troisième édition la remarque suivante : « Herr Korbes a dû être un homme très méchant. » Cette tentative d’explication n’efface cependant pas le caractère presque surréaliste et dérangeant du conte, qui évoque par instants l’univers des mises en scène extrêmes que l’on voit parfois au cinéma.
« Le Festin Étrange » : un véritable cauchemar

Poursuivant notre exploration des récits les plus insolites des Frères Grimm, voici une histoire qui frôle l’absurde et le sinistre à la fois. Intitulé « Le Festin Étrange », ce conte met en scène deux saucisses — une saucisse de sang et une saucisse de foie — et déroule des images qui semblent tout droit sorties d’un mauvais rêve.
Lorsque la saucisse de sang invite la saucisse de foie chez elle, celle-ci découvre, en montant l’escalier, une suite d’apparitions étranges et perturbantes. Chaque marche livre un tableau plus inquiétant que le précédent, parmi lesquels :
- une pelle et un balai qui se battent l’un contre l’autre,
- un singe présentant une importante blessure à la tête,
- et « d’autres choses du même genre » évoquées sans précision, renforçant l’atmosphère d’horreur indéfinissable.
La maîtresse de maison accueille pourtant sa visiteuse avec chaleur et minimise ces visions insolites. Mais lorsqu’elle s’éclipse pour vérifier quelque chose dans une autre pièce, une voix mystérieuse souffle à la saucisse de foie qu’elle se trouve dans « une maison de meurtre ». Prise de panique, la saucisse de foie prend la fuite.
Une fois éloignée, elle se retourne et découvre, à la fenêtre des combles, la saucisse de sang brandissant un énorme couteau et hurlant : « Si je t’avais attrapée, je t’aurais eue ! » Cauchemar garanti — à réserver aux amateurs d’étrangeté… ou à éviter absolument au moment du coucher des enfants.
«La fiancée du lièvre» : un conte loin d’être joyeux

Poursuivant la veine la plus insolite des Frères Grimm, «La fiancée du lièvre» ressemble à un cauchemar fiévreux déformant un livre de Beatrix Potter. Le récit commence de façon presque banale : une femme surprend un lièvre en train de dévorer ses choux et envoie sa fille pour le chasser.
La jeune fille rencontre l’animal à trois reprises. À chaque fois, le lièvre lui propose de s’asseoir sur sa queue et de le suivre jusqu’à sa petite cabane. Après deux refus, la curiosité l’emporte au troisième appel : elle monte sur la queue du lièvre, qui s’élance vers sa demeure et lui demande aussitôt de préparer du chou pour leur mariage.
- Le mariage se tient avec des invités… essentiellement des lièvres, et un corbeau qui joue le rôle de ministre.
- La jeune fille, terrifiée et accablée, n’arrive pas à cuisiner. Sous la pression des cris du lièvre — «Dépêche-toi, les invités ont faim !» — elle improvise un mannequin de paille habillé de ses vêtements et le place près du chaudron.
- Profitant du déguisement, elle s’enfuit. À son retour, le lièvre, voyant le chou encore cru, frappe la tête du mannequin, puis semble attristé. Fin brusque et inconfortable.
Ce conte dérange par son atmosphère étrange et sa conclusion sans apaisement, rappelant que les récits des Frères Grimm peuvent mêler folklore, absurdité et une forme de cruauté impassible.
La mort du petit poussin

Dans la rubrique « Insolite », un conte des Frères Grimm se distingue par son mélange d’absurde et de cruauté. Le titre, La mort du petit poussin, paraît presque euphémique : dans l’histoire, la poule semble connaître une sorte de « double mort ». La brièveté et la tonalité implacable rendent ce récit aussi dérangeant qu’inoubliable.
Tout commence quand une poule et un coq montent au Mont des Noix pour manger des fruits secs. La poule trouve une noix particulièrement savoureuse, mais elle s’étouffe en l’avalant. Le coq part alors chercher de l’eau pour la sauver, et se laisse entraîner dans une série d’occupations futiles ; la poule meurt avant son retour. Le texte intégral du conte est consultable ici : The Death of the Little Hen.
- Le coq organise des funérailles auxquelles tous les animaux de la forêt assistent.
- Le corbillard est une petite charrette tirée par six souris, conduite par le coq lui‑même.
- À tour de rôle, des animaux de plus en plus gros — renard, loup, ours, élan et lion — demandent à monter dans la minuscule charrette.
- Arrivés à un ruisseau, une paille parlante se porte volontaire pour servir de pont ; elle cède et les six souris se noient.
- Un charbon ardent tente ensuite de traverser, mais il s’éteint au contact de l’eau.
- Enfin, une pierre fait office de pont, mais le poids réuni de tous les animaux fait basculer la charrette : tous se noient, sauf le coq.
Après cet enchaînement funeste, le coq enterre la poule puis meurt de chagrin. La dernière ligne du conte conclut sans détour : « et puis tout le monde était mort. » Ce tableau macabre illustre bien le goût des Frères Grimm pour des fins abruptes, où l’humour noir et la morale se mêlent de façon saisissante. La section suivante continue d’explorer d’autres contes tout aussi troublants.

