Les lois les plus bizarres de l’Angleterre élisabéthaine

par Zoé
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Les lois les plus bizarres de l'Angleterre élisabéthaine
Royaume-Uni
Statuts de 1585, montrant le titre 'At the Parliament'

L’Angleterre élisabéthaine, époque marquée par le règne de la reine Elizabeth au XVIe siècle, est à l’origine de nombreux héritages fondamentaux pour les États-Unis. Parmi ses contributions majeures, on compte l’Église anglicane (et par extension l’Église épiscopale), l’œuvre inestimable de William Shakespeare, la langue anglaise moderne, ainsi que la première colonie anglaise en Amérique, Roanoke, fondée en 1585.

Cependant, les lois de cette période étaient loin d’incarner la liberté et la justice universelles. Les premiers colons américains, souvent en fuite face à des persécutions religieuses, connaissent bien ce code juridique implacable, qu’ils cherchent à fuir. Les lois instaurées sous les Tudors se révèlent à la fois étranges, parfois comiques, ingérantes et arbitraires.

Malgré leur aspect insolite, ces lois répondaient à des besoins spécifiques et reflétaient les normes sociales et politiques de leur temps. Voici un aperçu des lois les plus insolites mises en place durant l’ère élisabéthaine.

Script enluminé du Psaume 50 (miserere / verset du cou)

En Angleterre, la tradition ecclésiastique avait mis en place des tribunaux séparés, où les membres du clergé accusés pouvaient bénéficier du Benefit of Clergy. Ce privilège leur permettait d’être jugés devant des cours ecclésiastiques, réputées plus indulgentes. Pour « prouver » leur statut, ils devaient réciter un verset manuscrit du Psaume 50 (51), appelé miserere, issu de la Bible latine.

Cependant, cette règle comportait une faille évidente : tout homme sachant lire le latin ou ayant mémorisé ce verset pouvait prétendre à ce bénéfice. À l’époque élisabéthaine, cette lacune fut codifiée, étendant le privilège à tous les hommes alphabétisés. Ainsi, ce système se transforma en une sorte de commutation de peine capitale, permettant d’échapper à la mort après condamnation.

Selon la pratique de cette période, le Benefit of Clergy ne supprimait pas le casier judiciaire du condamné. Le Statut des délits excluant les clercs de 1575 imposait même que les prévenus puissent être emprisonnés à la place. De plus, pour marquer à jamais leur crime, leur pouce était estampé de la lettre initiale de leur infraction.

Cette marque servait aussi à éviter les abus : un condamné ne pouvait invoquer ce privilège qu’une seule fois. Malgré son aspect inégal, favorisant les instruits et riches, la loi apportait une forme de clémence, reflétant une image d’un État plus miséricordieux. Néanmoins, afin de punir sévèrement les criminels les plus graves — tels que les incendiaires ou les cambrioleurs —, la loi de 1575 excluait expressément ces derniers du bénéfice du clergé.

Elizabeth I in all her royal finery

À l’époque élisabéthaine, l’expansion du commerce international avec l’Asie et l’Amérique a multiplié l’accès aux produits de luxe. Cependant, la reine Élisabeth Ière regrettait vivement la propagation de ces luxes dans la société anglaise, qu’elle considérait comme un danger pour l’ordre social. Pour encadrer cette diffusion, elle renforça les anciennes lois somptuaires par un nouveau décret en 1574.

Cette loi imposait des restrictions strictes sur les vêtements luxueux, limitant leur port à la noblesse et aux courtisans. Ainsi, des articles tels que robes, jupes, éperons, épées, chapeaux, ou manteaux ne pouvaient contenir d’éléments comme l’argent, l’or, les perles, le satin, la soie ou le damas, sauf si leur porteur était un noble. De manière surprenante, le texte instaurait également un plafond de dépenses pour les courtisans : les femmes ne pouvaient dépenser plus de 100 livres sterling en robes tandis que les hommes disposaient d’une allocation de 40 livres pour manteaux et vestes, le tout étant rigoureusement consigné dans un registre appelé le « subsidy book ».

Les contrevenants risquaient des amendes, la perte de leur emploi, voire la prison. Par exemple, en 1565, Richard Walewyn fut emprisonné pour avoir porté des chaussettes grises jugées inappropriées. Un avocat fut radié pour avoir exhibé une épée trop richement décorée devant le conseil privé. Les acteurs étaient eux aussi concernés, car les rôles de nobles ou de rois exigeaient des costumes somptueux, ce qui pouvait les exposer à des sanctions. Pour pallier ce problème, Élisabeth leur accorda une exemption lors des représentations, preuve que ces lois suscitaient plus de difficultés qu’elles n’en réglaient.

Cette loi élisabéthaine visait avant tout à préserver la hiérarchie sociale et empêcher les nouveaux riches d’afficher un statut dépassant leur rang véritable, une idée que résume bien la métaphore anglais « too big for their britches ». Bien que la noblesse ait parfois été ciblée, son application réelle fut sans doute limitée parmi les classes populaires.

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Détail du costume élisabéthain

Une loi édictée en 1562, que Richard Walewyn enfreignit notamment en portant ce que l’on appelait une « paire outrageusement grande de chausses », réglementait strictement la quantité de tissu utilisée pour les vêtements tels que les chausses et les cols à froufrous appelés « rouflaquettes ». Elle imposait aux fabricants de ne pas dépasser 1,75 yard (environ 1,60 mètre) de tissu par chausses. Quiconque portait des chausses excédant cette limite s’exposait à une amende et à l’emprisonnement.

Par ailleurs, la loi interdisait également les rouflaquettes doubles au niveau des manches ou du col, ainsi que le port d’épées d’une certaine longueur et tranchant, dans un souci de protéger la sécurité de la reine. En effet, le texte indique que certains hommes commençaient à arborer des armes non pour se défendre, mais pour blesser et tuer.

La mode de l’époque, marquée par un « maintien monstrueux et outrancier des chausses », probablement lié au rembourrage des mollets pour leur donner une forme plus avantageuse, offrait à la couronne une source juteuse de revenus grâce aux amendes infligées. Ces sanctions étaient parmi les plus lourdes jamais enregistrées à l’époque.

Selon Margaret Wood, chercheuse à la Bibliothèque du Congrès, ces lois somptuaires visaient principalement à renflouer les caisses royales, les amendes étant directement versées au Trésor de Sa Majesté. Tout fonctionnaire surpris à enfreindre ces règles s’exposait à une amende de 200 marks, soit près de 67 000 dollars actuels, une somme colossale pour l’époque.

Les tailleurs et fabricants de chausses, de leur côté, risquaient une amende de 40 livres sterling (environ 20 000 dollars aujourd’hui) ainsi que la perte de leur emploi. Ces mesures dissuasives soulignaient à quel point la cour prenait au sérieux le respect de ces lois vestimentaires strictes.

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Elizabeth I à cheval, 1558

La reine Élisabeth Ier remarqua un lien étrange entre le fait que les classes populaires se surhabillaient et la mauvaise condition des chevaux en Angleterre. En 1562, un édit imposa le respect des lois somptuaires promulguées par elle et ses prédécesseurs, notamment sur l’apparence vestimentaire. Mais, de manière surprenante, le texte dévie rapidement vers l’élevage équin, exhortant les autorités à appliquer les statuts et sanctions liés à l’exportation et à la reproduction des chevaux du royaume.

Le passage le plus insolite de cette loi réside dans ses derniers paragraphes : Élisabeth préconisa la mise en place de commissions régionales chargées d’exclure certaines personnes de l’élevage équin en raison de la négligence envers leurs chevaux. De façon humoristique, il est spécifié que ceux qui négligeaient leurs montures à cause des dépenses excessives de leurs épouses en vêtements ne seraient pas autorisés à participer à la reproduction des chevaux. Ces commissions devaient rester actives jusqu’à ce que la reine juge que le royaume possédait un nombre suffisant de chevaux.

Si les préoccupations liées à l’élevage et à la qualité des chevaux se justifient par la nécessité militaire, l’association avec les lois sur le vêtement paraît arbitraire. De surcroît, l’absence de sanctions clairement définies soulève des doutes quant à la faisabilité pratique de l’application de cette loi, qui semblait surtout s’adresser à la garde rapprochée de la reine, son conseil ou d’autres dignitaires.

George Wishart donnant une bourse à un mendiant

La Guerre des Roses en 1485 et l’adoption de la Réforme par les Tudors ont accentué la pauvreté dans l’Angleterre de la Renaissance. Selon l’historien Neil Rushton, la dissolution des monastères et la suppression de l’Église catholique ont anéanti les institutions caritatives traditionnelles, transférant la responsabilité de l’aide sociale à l’État.

Parallèlement, la population anglaise a doublé en passant de deux à quatre millions d’habitants entre 1485 et 1600. Malgré cette croissance démographique, les nobles ont expulsé des fermiers pour mettre en place des enclosures, provoquant une migration massive des pauvres ruraux vers les villes. Ces derniers, privés de ressources et confrontés à la précarité, se retrouvaient contraints de recourir à la mendicité ou à la délinquance, comme le décrivait Thomas More dans son ouvrage Utopia en 1516.

En réponse à cette augmentation des vagabonds, Henri VIII promulgua en 1531 la Vagabonds Act, criminalisant la mendicité « oisive » chez des personnes capables de travailler. Seules les personnes âgées, malades ou infirmes pouvaient être considérées comme « mendiants méritants », recevant une forme de secours primitif via les dons aux églises. Les pauvres robustes refusant le travail étaient soumis à des châtiments corporels sévères : attachés nus à l’arrière d’un char, ils étaient fouettés jusqu’au sang. En 1547, une loi d’Édouard VI transforma la peine pour mendicité en esclavage.

Sous le règne d’Élisabeth Ière, le Parlement rétablit en 1572 la loi de 1531 — sans la peine d’esclavage — à travers la Vagabonds Act, une des nombreuses lois dites « Poor Laws » de l’époque élisabéthaine. Cette législation autorisait les pauvres méritants à obtenir une licence de mendier délivrée par les juges de paix, permettant ainsi au gouvernement de maintenir l’ordre social tout en aidant les nécessiteux. Pour les pauvres robustes, la punition fut toutefois durcie : on leur perçait l’oreille à l’aide d’une tige de fer rougie au feu, marquant leur délit de manière visible.

Théâtre élisabéthain avec des comédiens sur scène

La loi sur les vagabonds de 1572 ne visait pas uniquement les pauvres errants, mais également une classe itinérante bien plus large. En Angleterre à la Renaissance, une population composée d’escrocs, de colporteurs, de troupes de théâtre ambulantes, de jongleurs et de ménestrels animait les routes et les villes. Souvent perçus comme des artisans de basse extraction, ces individus étaient assimilés à des fraudeurs participant à des « sciences absurdes » et à des « jeux ou pièces rusées et illégales ».

Parmi eux figuraient aussi les « hommes sans maître » — c’est-à-dire ceux qui ne servaient aucun noble d’un rang élevé — tels que les escrimeurs ou les entraîneurs d’ours, populaires dans les divertissements de l’époque. Un troisième groupe comprenait même les étudiants d’Oxford et Cambridge surpris à mendier sans la licence appropriée délivrée par leurs universités.

Les sanctions pour ces contrevenants étaient sévères : elles incluaient la brûlure du cartilage auriculaire, punition infamante destinée aux mendiants robustes. Cependant, ceux qui exerçaient légalement un métier itinérant pouvaient obtenir une licence délivrée par deux juges de paix, valable généralement pour un an. Les personnes quittant prématurément leur comté assigné étaient punies de manière plus stricte. En cas de récidive, l’infraction devenait passible de la peine capitale, sans possibilité d’absolution ecclésiastique.

Heureusement pour les condamnés, les juges de paix devaient offrir un délai de grâce de 40 jours après la première sanction. Passé ce délai, toute récidive entraînait l’exécution et la confiscation des biens au profit de l’État, témoignant de la rigueur avec laquelle les autorités élisabéthaines pouvaient contrôler cette population itinérante.

Evêque de Salisbury vêtu à moitié en Anglican et à moitié en Puritain

En raison d’un climat religieux instable, la reine Élisabeth Ier chercha à imposer une conformité publique envers l’Église d’Angleterre, contrôlée par l’État. Selon l’historien Peter Marshall, la reine modifia peu les rites anciens romains, à l’exception de l’interdiction de la messe en latin. Cette réforme suscita la colère des puritains et des catholiques, qui résistèrent activement aux nouvelles obligations. Les catholiques espéraient une réconciliation avec Rome, tandis que les puritains voulaient éliminer toute trace catholique, qualifiée par l’écrivain élisabéthain John Field d’« abus papistes ».

Pour résoudre ces conflits, le « Settlement élisabéthain » imposa l’anglicanisme universel, assorti d’une série de lois dont l’Acte d’Uniformité de 1559. Cette loi obligeait chacun à assister à l’église au moins une fois par semaine, sous peine d’une amende de 12 deniers par infraction.

Fait astucieux, l’Acte ne désignait pas explicitement une église en particulier, mais exigeait que toutes les églises d’Angleterre utilisent le Livre de la prière commune. Ce dernier avait été conçu pour une Église d’État anglaise affichant une apparence catholique, rejetée par les puritains, tout en restant indépendante, donc inacceptable pour les catholiques. Ainsi, fréquenter une église échappant à la juridiction directe de la reine devenait illégal, consacrant de facto la suprématie de l’Église d’Angleterre.

Bien que la majorité de la population ait accepté l’anglicanisme, éliminant en grande partie la présence catholique, les puritains insatisfaits devinrent de plus en plus militants. L’Acte d’Uniformité et ses lois connexes ne firent que maîtriser temporairement les tensions, qui éclatèrent finalement lors de la guerre civile anglaise en 1642.

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Anne de Vasevour avec col haut

Dans l’Angleterre élisabéthaine, la décennie des années 1570 a connu une forte augmentation des naissances hors mariage, un phénomène rendu particulièrement scandaleux puisque les relations sexuelles prémaritales étaient illégales. Ainsi, tout enfant né en dehors des liens du mariage était considéré comme un bâtard, exposant ses parents à de sévères sanctions.

À l’origine, le mariage pouvait réparer ce péché, et une union rapide suffisait parfois à masquer une grossesse prémaritale. Cependant, sous l’influence puritaine de la Réforme, cette possibilité a drastiquement changé. Sous le règne d’Élisabeth Ire, le mariage ne purgeait plus la faute, explique Harris Friedberg, chercheur à Wesleyan. En effet, un enfant né peu de temps après un mariage servait de preuve pour accuser rétroactivement les parents de fornication.

La punition imposée aux parents d’un enfant illégitime était terrible : les deux devaient subir une flagellation jusqu’à ce que le sang coule. Bien que le mariage puisse atténuer la sanction, les coupables pouvaient aussi être exposés publiquement, défilant devant la foule avec un écriteau décrivant leur faute.

Ces lois ecclésiastiques s’appliquaient également à la noblesse anglaise, faiblement protégée par la Cour de la Haute Commission, la plus haute instance de l’Église d’Angleterre, qui n’a jamais innocenté un accusé, principalement des aristocrates infidèles. Les peines pour les nobles étaient moins dures mais restaient loin d’être clémentes.

Par exemple, lorsque Anne de Vavasour, dame d’honneur d’Élisabeth, donna naissance à un fils d’Edward de Vere, comte d’Oxford, tous deux furent emprisonnés dans la Tour de Londres. Malgré ces mesures strictes, rien ne put empêcher un jeune William Shakespeare, alors âgé de 18 ans, de devenir père d’un enfant illégitime.

Portrait de la succession Tudor avec Henri VIII sur le trône

Alors que les lois religieuses pesaient lourdement sur le peuple, la reine Élisabeth Ire s’assurait que ces règles ne la concernaient pas. Officiellement, Élisabeth n’eut jamais d’enfants et ne se maria jamais. Aucune preuve concluante ne confirme des relations intimes avec ses courtisans masculins, bien que certains historiens suggèrent que Robert Dudley, comte de Leicester, aurait été plus qu’un simple compagnon.

La question de la succession demeurait néanmoins cruciale. La reine étant la cible de complots, révoltes et invasions, sa mort soudaine aurait pu entraîner l’accession au trône de Marie d’Écosse, catholique. Mais sans mariage officiel, Élisabeth ne pouvait-elle pas légitimement avoir d’héritiers ?

La réponse reste floue. La Treasons Act de 1571 stipulait que quiconque soutenait qu’un autre que la « descendance naturelle » d’Élisabeth était héritier légitime risquait emprisonnement et confiscation de ses biens. Curieusement, certains historiens ont interprété ce texte comme autorisant les enfants illégitimes à hériter, du fait de l’absence du terme « légitime ».

Un point de vue qui paraît finalement dénué de sens. Parlement et couronne pouvaient en effet légitimer des bâtards, comme cela fut le cas pour Élisabeth elle-même et sa demi-sœur Marie. Cette manoeuvre contourne habilement des problèmes juridiques qui, pour tout autre, auraient abouti à une lourde punition. Cette loi illustre ainsi un double standard manifeste : la famille royale était au-dessus des lois qu’elle faisait appliquer aux autres. En Angleterre Tudor, une telle hypocrisie légale était monnaie courante.

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Portrait d'un homme portant une coiffe noire

Les amateurs du jeu médiéval Crusader Kings II se souviendront peut-être de la fameuse « loi sur les pantalons », interdisant leur port dans le royaume du joueur. Aussi absurde que cela puisse paraître, de telles législations existaient vraiment en Europe médiévale et à la Renaissance.

En Angleterre élisabéthaine, le Parlement promulgua en 1570 le Cap Act, une loi à l’opposé de celle sur les pantalons. Elle imposait aux roturiers âgés de plus de six ans de porter un bonnet en laine tricotée lors des jours fériés et du sabbat, tandis que la noblesse en était exemptée.

Cette législation illustre parfaitement les intérêts particuliers, en l’occurrence ceux des corporations de bonnetiers. Ces guildes, selon la loi, jouaient un rôle social important en employant les pauvres du pays, réduisant ainsi vagabondage et pauvreté. En récompense, la couronne força le peuple à acheter leurs produits.

La loi protégeait également les bonnetiers anglais de la concurrence étrangère. Comme l’explique le Victoria & Albert Museum, tous les bonnets devaient être « tricotés, feutrés et confectionnés en Angleterre » par les membres de la « corporation ou science des bonnetiers ». Cela conférait un monopole national à la guilde, bénéfique pour l’industrie lainière.

Par ailleurs, la couronne tirait un avantage financier de cette réglementation, car toute infraction était punie d’une amende de trois shillings et quatre pence par violation, selon le texte de loi.

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Peter le Grand de Russie coupant la barbe d'un boyard

Un ouvrage publié en 1904, At the Sign of the Barber’s Pole: Studies in Hirsute History de William Andrews, affirme qu’Henri VIII, le père d’Élisabeth Ire, aurait instauré vers 1535 une taxe sur la longueur de la barbe des hommes. Selon ce livre, Élisabeth Ire aurait poursuivi cette pratique en imposant une taxe de trois shillings et quatre pence pour toute barbe dépassant deux semaines de pousse.

Cependant, l’existence de cette loi demeure très incertaine. L’historien Alun Withey de l’université d’Exeter conteste son existence, et aucun document officiel anglais ne confirme cette mesure. Néanmoins, plusieurs sources évoquent des lois similaires sous les Tudors, ce qui ne rendrait pas improbable une telle réglementation sous le règne d’Élisabeth.

Il convient de souligner que des taxes sur les barbes ont réellement existé ailleurs, notamment en Russie. Pierre le Grand imposa une taxe sur la barbe au début du XVIIIe siècle afin d’encourager ses sujets à se raser durant la modernisation du pays. En revanche, aucun registre juridique anglais ne mentionne ce genre de taxe dans ce contexte.

La source principale de cette rumeur provient de l’Encyclopaedia Britannica de 1893, reprise presque intégralement par Andrews. Cette encyclopédie indique aussi que sous Édouard VI, demi-frère d’Élisabeth, les shérifs de Canterbury payaient une taxe pour porter la barbe. Elle cite le Burghmote Book of Canterbury et la revue Notes and Queries d’Oxford, mais les documents originaux restent introuvables.

En résumé, si cette loi sur la taxe des barbes a existé, elle n’a pas laissé de traces dans les archives, ce qui en ferait l’une des lois les plus étranges de la période élisabéthaine.

Dessin en noir et blanc de l'Armada espagnole en mer ouverte

Ces lois étranges et apparemment absurdes de l’époque élisabéthaine pourraient sembler le fruit d’une tyrannie, d’une paranoïa ou d’un désir de pouvoir, mais il faut les replacer dans le contexte tumultueux de leur époque. Le règne d’Élisabeth I, souvent qualifié de “Âge d’or élisabéthain”, s’est déroulé dans une période marquée par de fortes tensions sociales, économiques et religieuses.

La Réforme anglaise avait profondément transformé le paysage du pays, divisant la noblesse en factions catholiques, puritaines et anglicanes. Sur la scène internationale, Élisabeth faisait face aux ambitions espagnoles, françaises et écossaises concernant le trône anglais. Par ailleurs, elle devait composer avec l’hostilité d’une partie de sa propre noblesse, mécontente soit de sa foi protestante, soit de la nature même de son protestantisme.

En 1569, une révolte de seigneurs catholiques du Nord, connue sous le nom de la “Rising of the North”, visait à placer Marie d’Écosse, sa cousine, sur le trône. Plus tard, en 1586, le complot Babington, également mené au nom de Marie, et en 1588, la redoutable Armada espagnole menacèrent sérieusement sa couronne. Face à une telle instabilité, Élisabeth devait garantir un maximum de revenus et renforcer son autorité, quitte à définir arbitrairement de nouveaux “crimes”.

Cela se traduisit notamment par des lois somptuaires et des règles strictes sur la religion, la morale publique ou les déplacements, contribuant à limiter la montée en puissance du Parlement tout en consolidant le pouvoir royal et religieux. En pleine guerre à l’étranger, le maintien de l’ordre intérieur était crucial pour la souveraine. Elle ne pouvait prendre le risque que des troubles internes fragilisent l’autorité de la Couronne.

Ces lois insolites reflètent ainsi un équilibre fragile entre le pouvoir monarchique, la religion officielle et les tensions socio-politiques, façonnant une Angleterre où ordre et loyauté étaient primordiaux pour préserver la stabilité.

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