Sommaire
- Un rapport de trois ONG, dont Oxfam, dénonce les investissements de banques européennes dans des sociétés minières impliquées dans des violations des droits humains, de l’accaparement de terres ou des atteintes à l’environnement.
- Trois banques françaises arrivent en tête de ces financements dans l’Union européenne : BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale.
- « Les banques doivent être tenues responsables de l’ensemble de leur chaîne de valeur », soutient Alexandre Poidatz, responsable plaidoyer finance et climat chez Oxfam France.
Lithium, cuivre, cobalt, nickel… Les banques françaises injectent près de 4 milliards d’euros par an dans des minerais critiques, d’après un rapport publié mi-novembre par Oxfam, Fair Finance International et 11.11.11. Cela représente la moitié des financements européens, sans compter les banques britanniques.
Alors que la COP30 vient de se terminer au Brésil avec l’adoption d’une initiative volontaire pour sortir des énergies fossiles, les ONG déplorent que « les efforts déployés par l’Europe pour assurer son approvisionnement en matières premières essentielles à la transition écologique alimentent involontairement les violations des droits humains et les dommages environnementaux ».
Dans ce rapport, les ONG ont retracé les liens entre financeurs européens et quatre exploitations minières au République démocratique du Congo, au Mozambique, au Brésil et au Pérou, impliquées dans des violations des droits humains, de l’accaparement de terres ou des atteintes à l’environnement.
Sur la période 2016-2024, les banques de l’Union européenne ont accordé 64 milliards d’euros de prêts et d’aide à l’émission d’actions et d’obligations à des sociétés minières qui extraient des matières premières essentielles. Parmi celles-ci, trois banques françaises arrivent en tête : BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale. Pour Alexandre Poidatz, il est urgent que les banques soient tenues responsables de leurs financements et de la chaîne de valeur qu’elles alimentent.
Pourquoi avoir choisi de concentrer ce rapport sur l’extraction de minerais critiques ?
Parce que nous sommes dans un contexte de transition énergétique et écologique où les minerais critiques deviennent indispensables pour les batteries et le développement des énergies renouvelables comme le solaire. Par exemple, 70 % des minerais nécessaires aux énergies renouvelables — le lithium, le cobalt, le nickel — se trouvent dans les pays du Sud.
La filière doit s’interroger : comment importer dans l’Union européenne des matières nécessaires à la transition écologique ? Et comment le faire de façon soutenable pour que cela n’oublie pas les conséquences environnementales et les droits humains ? Il faut éviter un « colonialisme vert », c’est‑à‑dire qu’un petit nombre d’entreprises ou d’États façonne la transition énergétique pour servir ses intérêts tout en reproduisant des logiques d’extraction nuisibles aux populations et à l’environnement.
Les banques affirment avoir des politiques sectorielles (BNP Paribas évoque une politique d’autorégulation en 2013). Est‑ce suffisant ?
C’est positif que les banques mettent en place des politiques sectorielles, mais elles restent insuffisantes et doivent être renforcées. L’un des objectifs du rapport est d’alerter et d’inciter les établissements à agir. Dans leurs réponses, les banques disent souvent « on a des politiques », sans pour autant nier les pratiques néfastes des entreprises qu’elles financent. Il n’y a pas toujours d’engagement clair pour renforcer ces politiques ou pour mettre fin aux financements problématiques.
Une « finance responsable » verte est‑elle possible ?
C’est possible et souhaitable. Les banques doivent arrêter de financer des projets qui contribuent au réchauffement climatique ou qui entraînent des dommages environnementaux majeurs. Certaines pratiques néfastes doivent cesser immédiatement : développement de nouveaux projets fossiles ou financement d’entreprises qui ne respectent pas les droits humains fondamentaux dans le cadre des minerais critiques.
Les banques ont les moyens de financer la transition énergétique et des énergies soutenables. Chez certaines d’entre elles, des dynamiques existent pour réorienter les investissements. Mais il faut rester vigilant quant à la chaîne de valeur : financer des énergies renouvelables ne suffit pas si les minerais nécessaires ont été extraits dans des conditions violant les droits humains ou l’environnement. La finance responsable exige une attention à chaque maillon de la chaîne.
Trois banques françaises figurent parmi les principaux financeurs des énergies fossiles et des minerais critiques. Quelles conclusions en tirer ?
Ce sont clairement des mauvais élèves de la transition énergétique. Il existe un double discours : les banques s’affichent alignées sur l’objectif de l’accord de Paris et la neutralité carbone, mais leurs pratiques montrent qu’il reste une large marge de manœuvre pour agir.
C’est pourquoi Oxfam, Les Amis de la Terre et Notre affaire à tous ont assigné BNP Paribas en justice en 2022 pour non‑respect de son devoir de vigilance environnemental, au regard de ses financements aux fossiles. La loi sur le devoir de vigilance doit faire jurisprudence pour réguler des acteurs qui persistent dans des pratiques incompatibles avec une transition juste.
Par ailleurs, l’affaiblissement récent des obligations en matière de devoir de vigilance au niveau européen est préoccupant. Le fait que les banques ne soient pas suffisamment soumises à ces devoirs européens traduit une règle trop laxiste. Il faut les rendre responsables de l’ensemble de leur chaîne de valeur.
Les banques sont‑elles les seules fautives ?
L’exigence portée envers les banques est proportionnelle à leur pouvoir. Par leurs financements, elles contribuent à façonner le monde de demain. Il y a une urgence : les banques doivent dès aujourd’hui réorienter leurs financements vers la transition écologique, plutôt que de maintenir un modèle enraciné dans les énergies fossiles.
