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La nouvelle saison de « Une ambition intime », diffusée ce dimanche sur M6, remet en lumière une forme de médiatisation politique basée sur l’émotion. Derrière ces portraits feutrés et confidences, la question se pose : ces émissions servent-elles réellement le débat public ?
Depuis 2016, Karine Le Marchand prête son micro à des responsables politiques dans un cadre chaleureux, loin des joutes traditionnelles. L’objectif affiché est d’humaniser la fonction politique, en dévoilant un aspect plus intime de leur parcours. Cette saison accueille notamment Gérald Darmanin, Sandrine Rousseau, Fabien Roussel et Jordan Bardella, avec pour ambition, selon l’animatrice, de montrer « qui ils sont vraiment ». Toutefois, cette personnalisation croissante soulève des interrogations : entre storytelling et communication, que reste-t-il de la politique dans ces récits personnels ?
Un format confortable, pensé pour lisser l’image
Les professionnelles de la communication politique considèrent ces formats comme de réels outils stratégiques. Amélie Salmon, conseillère en communication politique, explique que ce type d’émission « permet de donner à voir une image choisie, différente de celle des débats traditionnels, souvent plus politique, technique, voire plus agressive ». Cette approche tend à minimiser la contradiction, une caractéristique assumée par Karine Le Marchand, qui privilégie des journalistes « du même bord que la personne filmée » afin de garantir un environnement confortable. Ce choix a d’ailleurs posé problème pour le portrait de Jordan Bardella, certains réalisateurs refusant d’être crédités.
Dans ce cadre sécurisé, les politiques peuvent dérouler leur récit sans être challengés. Au-delà de la diffusion télévisée, ces émissions sont pensées pour leur valorisation sur les réseaux sociaux. Anne Boistard, collaboratrice parlementaire, remarque que les prises de parole actuelles ciblent surtout « 10-15 secondes, une punchline destinée aux jeunes internautes ». Ces extraits calibrés pour TikTok ou Instagram visent ainsi un public plus jeune, souvent éloigné du débat démocratique mais déjà exposé et parfois séduit par une posture ou une image de « politique cool ». Le risque est que la forme prenne le pas sur le fond.
Humanisation ou effacement du débat ?
Mettre en lumière l’humain derrière la fonction politique n’est pas anodin. Sandrine Rousseau et Gérald Darmanin ont tous deux exprimé le désir de « montrer un autre visage », moins caricatural que leur image médiatique habituelle. Le ministre souhaite apparaître plus souriant et accessible.
Cependant, cette exposition émotionnelle comporte des risques. Anne Boistard prévient : « Lorsque Marine Le Pen est montrée entourée de ses chats, on oublie ce que représente son projet politique ». Amélie Salmon ajoute que la présidente du Rassemblement national s’efforce de dédiaboliser son parti, et que « Une ambition intime correspond parfaitement à cette stratégie de communication ». Pour la collaboratrice parlementaire, « tendre la main à l’extrême droite dans ce type de format est problématique, car il est dangereux de lui offrir un espace d’humanisation sans contradiction ».
Un format qui séduit ?
Si ces émissions plaisent aux élus, qu’en est-il du public ? Amélie Salmon affirme : « Ce n’est pas une émission politique, c’est un show ». La dernière diffusion, en 2021, avait rassemblé 2,17 millions de téléspectateurs, soit 10,2 % de part de marché tous publics confondus. Pour la conseillère, ces formats relèvent davantage du divertissement que de l’information. « Les téléspectateurs ne sont pas dupes, ils savent que tout est préparé ». Par ailleurs, ces interviews de confort n’ont pas forcément d’impact électoral : « Cela vise à rendre les politiques plus sympathiques, mais Une ambition intime ne fait pas voter des abstentionnistes ».
Ces émissions contrastent avec les interviews politiques classiques : elles misent sur l’instantanéité, l’interruption et un exercice de style souvent périlleux, plutôt que sur des sujets d’actualité de fond. Cette tendance s’étend également aux formats encore plus personnalisés comme ceux de YouTubers ou influenceurs, qui créent un media parallèle sans aucune contradiction possible, aggravant le problème selon Amélie Salmon.
Repenser les formats politiques ?
À l’approche des élections municipales, Amélie Salmon suggère une réflexion : « Pourquoi ne pas donner la parole aux maires des petites communes ? » Ceux-ci incarnent une politique du quotidien, plus incarnée, accessible et connectée aux besoins réels des citoyens. Anne Boistard partage cette vision, rappelant qu’il faut privilégier la pédagogie sur les enjeux politiques et non « la culture du vide » en adaptant les figures politiques aux codes des réseaux sociaux.
Humaniser, oui, mais sans masquer les idées. Dans un contexte où la politique s’adapte aux formats du divertissement, l’enjeu primordial réside dans la réinjection des idées et propositions au cœur des discours politiques.
