Le jeune groupe pop dano-norvégien Aqua dominait la scène musicale. Leur single très accrocheur « Barbie Girl » avait percé le marché américain et grimpait rapidement les classements, porté par un clip excentrique et cartoon largement diffusé sur MTV. Nous étions en octobre 1997, et la chanson d’Aqua s’apprêtait à devenir un tube mondial. « D’une manière presque magique, nous sommes arrivés au bon moment », confiait René Dif, le chanteur masculin du groupe, en 2022. « La lune, le soleil, tout devait s’arrêter à cette seconde-là. C’est ce qui s’est passé pour nous. Nous sommes passés de zéro à héros très rapidement. »

Cependant, Mattel est intervenu, détruisant apparemment la carrière du groupe, qui rejoint ainsi la longue liste des fameux one-hit wonders confrontés à de tels tournants décisifs. Le fabricant de jouets, propriétaire de la marque Barbie, n’a pas apprécié les paroles de la chanson, estimant qu’elles présentaient leur poupée emblématique comme une bimbo et les femmes en général comme des objets sexuels. « Nous avons exprimé notre extrême insatisfaction concernant la chanson et estimons qu’il y a une forte violation de notre marque déposée », déclarait alors un porte-parole de Mattel. Une poursuite judiciaire a été engagée contre la maison de disques d’Aqua, MCA, éclipsant rapidement le groupe. Leur second album, bien qu’ayant rencontré du succès en Europe, n’atteint jamais la renommée du premier avec le méga tube « Barbie Girl ».
Mattel poursuit la maison de disques d’Aqua
L’origine du tube « Barbie Girl » remonte à une exposition d’art à Copenhague où Søren Rasted, claviériste et guitariste du groupe, avait vu une sculpture composée de poupées Barbie. « Cela m’a fait penser à la phrase “Life in plastic, it’s fantastic” », se rappelait-il. « Je trouvais que c’était un super refrain. Puis j’ai écrit “Come on, Barbie, let’s go party.” » Les autres membres — René Dif, la chanteuse Lene Nystrøm et le claviériste Claus Norreen — ont complété les paroles, et la chanson s’est rapidement construite. À l’automne 1997, alors que « Barbie Girl » continuait son ascension dans les charts, Mattel et MCA étaient en discussion au sujet du morceau. Les notes de l’album précisaient que la chanson était une satire sociale et n’était pas approuvée par Mattel. Mais cela ne suffisait pas au fabricant de jouets qui a déposé une plainte fédérale en septembre de la même année.

Pour le groupe, « Barbie Girl » était simplement une chanson amusante sur l’acceptation de soi et le refus de la chirurgie plastique, bien qu’ils reconnaissent plus tard qu’elle contenait beaucoup de sous-entendus sexuels. Avec des phrases telles que « You can brush my hair, undress me everywhere / Imagination, life is your creation » et « I’m a blonde bimbo girl in a fantasy world / Dress me up, make it tight, I’m your dolly », Mattel estimait qu’il y avait matière à injonction judiciaire.
Aqua se sépare puis se reforme
Dans les années 1990, les ventes de Mattel étaient florissantes grâce au succès des poupées Barbie Totally Hair. L’entreprise disposait donc de moyens pour prolonger sa bataille judiciaire contre MCA Records concernant « Barbie Girl ». MCA a d’ailleurs riposté en intentant une contre-poursuite pour diffamation. Finalement, en 2002, une cour d’appel fédérale a rejeté les deux affaires, conseillant aux deux parties de faire preuve de modération. Mais à ce moment-là, Aqua s’était déjà séparé un an auparavant, ou du moins mis en pause indéfiniment. Le groupe s’est reformé en 2008.

L’année suivante, dans un retournement de situation inédit, Mattel a licencié « Barbie Girl » pour l’une de ses campagnes publicitaires. Aujourd’hui, Aqua, sans Claus Norreen, parti en 2016, continue de tourner dans le monde entier et intègre systématiquement « Barbie Girl » à ses concerts. Bien que considéré comme un one-hit wonder aux États-Unis, le groupe a connu d’autres succès en Europe et en Asie, un détail qu’ils soulignent volontiers lors de leurs interviews.
