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On peut dire sans exagérer que 1975 fut une année musicale exceptionnelle : des albums sortis cette année‑là continuent d’habiter la culture populaire un demi‑siècle plus tard. Parmi eux figurent « Blood on the Tracks » de Bob Dylan, « Young Americans » de David Bowie, « Born to Run » de Bruce Springsteen, « Horses » de Patti Smith, « One of These Nights » des Eagles, « Captain Fantastic and the Brown Dirt Cowboy » d’Elton John, « Dreamboat Annie » de Heart, « Toys in the Attic » d’Aerosmith, « A Night at the Opera » de Queen, « Tonight’s the Night » de Neil Young, « Wish You Were Here » de Pink Floyd et « Physical Graffiti » de Led Zeppelin, dont la pochette regorge de références culturelles.
Avec une telle profusion de chefs‑d’œuvre, de nombreux albums et singles méritants sont passés sous le radar. Voici cinq chansons rock de 1975 sous‑estimées — des pépites qui ont gagné, avec le temps, une place méritée dans l’histoire du rock.
The Dictators — « The Next Big Thing »
En 1975, The Dictators publient leur premier album, The Dictators Go Girl Crazy!. Si le débat sur l’inventeur du punk reste ouvert, cet album est largement crédité d’avoir préparé le terrain pour l’explosion punk de la fin des années 1970. Le single principal, « The Next Big Thing », est une proclamation audacieuse de Handsome Dick Manitoba, coiffé d’une afro : il annonce une formation prête à devenir « la prochaine grande chose ». Contrairement à la virtuosité instrumentale en vogue à l’époque (pensez à Steely Dan ou Jeff Beck), le titre oppose un garage rock bricolé, fier et direct, mais d’une puissance sonore évidente.
Dans une ère d’influenceurs et de célébrités télévisuelles, les paroles restent parlantes : Manitoba y affirme que la célébrité est son seul but — « Je ne serai pas heureux tant qu’on ne me connaîtra pas partout / Avec ma tête sur la couverture du TV Guide. » On y trouve aussi un second degré ironique lorsqu’il se vante : « I knocked ’em dead in Dallas / They didn’t know we were Jews. »
Le morceau est devenu un classique culte sous‑estimé. Manitoba apprécie l’énergie et les idées de la chanson, mais regrette la qualité sonore : « … sonic‑wise — pure sound‑wise, execution‑wise, singing? I just think the record sounds terrible », a‑t‑il confié dans une interview.
Alan Hull — « Squire »
Au début des années 1970, le groupe britanno‑folk de Newcastle Lindisfarne atteint la première place au Royaume‑Uni avec l’album Fog on the Tyne ; en 1972, Lindisfarne et les glam‑rockers Slade sont même au coude‑à‑coude comme artistes britanniques les plus vendus de l’année. Les tentatives d’imposer le groupe aux États‑Unis échouent toutefois et, après une tournée américaine mitigée en première partie d’actes comme The Kinks et Taj Mahal, le groupe se sépare.
Alan Hull poursuit en solo et signe la bande‑son d’une pièce télévisée britannique ambitieuse, Squire (1974), dont il est la vedette et le producteur. Le morceau titre, ajouté à des chansons issues d’un album solo en attente, paraît finalement en 1975 sur l’album Squire. Bien que l’album et la chanson aient eu peu d’impact commercial, « Squire » montre Hull à son meilleur : oscillant entre l’influence des Kinks, le travail solo de John Lennon et quelques effluves d’ELO, ce rock mid‑tempo mêle une touche de prog à une impulsion résolument énergique. La guitare solo sinueuse est signée Albert Lee, qui jouera ensuite plusieurs années aux côtés d’Eric Clapton — un guitariste que certains de ses pairs regardent avec une certaine réserve.
Hull est décédé à 50 ans en 1995. « Squire », bien qu’elle ne soit pas la préférée des fans de Lindisfarne, reste un joyau sous‑estimé qui mérite d’être redécouvert.
Elvin Bishop — « Fooled Around and Fell in Love »
Elvin Bishop s’est fait un nom comme guitariste blues, cofondateur du Paul Butterfield Blues Band au début des années 1960. En solo, il adopte un son plus accessible sur l’album Struttin’ My Stuff (1975). Le premier single, « Travelin’ Shoes », obtient un succès modeste ; le second, « Fooled Around and Fell In Love », grimpe jusqu’à la 3e place du Billboard Hot 100 et y séjourne 17 semaines.
Le titre tient encore aujourd’hui : mélodie chantante, production lumineuse signée Bill Szymczyk et Allan Blazek, duo responsable de succès pour les Eagles, The Who ou Joe Walsh. Ironie du sort, cette chanson est devenue le titre emblématique de Bishop — alors que ce n’est pas lui qui chante le lead sur l’enregistrement. Bishop a confié à Alabama.com qu’il n’était pas satisfait de sa prestation vocale et qu’il a demandé à son chanteur d’accompagnement, Mickey Thomas (futur leader de Jefferson Starship/Starship), d’essayer : « He got in there and just killed it. »
Ce hit de 1975, sous‑estimé par certains, évoque instantanément l’atmosphère décontractée du milieu des années 70, et a été largement utilisé au cinéma, de Guardians of the Galaxy à Boogie Nights.
Nazareth — « Hair of the Dog »
Dans les années 1970, le groupe hard‑rock écossais Nazareth se fait connaître avec des reprises rockées comme « Love Hurts » (Everly Brothers) et « This Flight Tonight » (Joni Mitchell). Pourtant, c’est leur composition originale de 1975, « Hair of the Dog » (titre éponyme de l’album), qui constitue l’un de leurs succès les plus sous‑estimés.
La chanson démarre par un martèlement de cowbell, avant d’exploser grâce au riff incisif de Darrell Sweet et à la voix râpeuse de Dan McCafferty, semblant avoir avalé une bouteille de Jack Daniels avec des éclats de verre. Puis arrive le refrain percutant : « Now you’re messin’ with a son of a b*** ». Non, ce n’est pas leur plus grand succès commercial (ce serait « Love Hurts », qui atteindra la 8e place aux États‑Unis), mais « Hair of the Dog » a trouvé un écho durable auprès du public et demeure un incontournable des concerts de Nazareth.
À l’origine, ni le single ni l’album n’étaient censés porter ce titre : le groupe souhaitait appeler l’album Son of a B***. Mais la maison de disques a refusé. McCafferty se souvient dans une interview pour Classic Rock Revisited (via Ultimate Classic Rock) : « The record company went ape s***. They said, ‘You can’t say that.’ We said, ‘F*** off, John Wayne says that in his movies, and he is the neatest thing that you’ve got going.’ » Comme souvent, la compagnie a eu le dernier mot et « Hair of the Dog » a servi de compromis pour le titre.
The Ozark Mountain Daredevils — « Jackie Blue »
Pour les tubes doux et entêtants, peu d’exemples rivalisent avec « Jackie Blue », le hit de 1975 des Ozark Mountain Daredevils. À l’instar de « Witchy Woman » des Eagles, le morceau marie une ambiance soft‑rock lisse à une pointe de menace sous‑jacente, marquant un léger éloignement du country‑rock plus franc qui caractérisait leur précédent succès « If You Want to Get to Heaven ».
La chanson est due au batteur Larry Lee. « Il a dit qu’il l’avait écrite à propos d’un type qu’on connaissait », explique le bassiste Mike « Supe » Granda à Classic Rock, évoquant l’histoire un peu sordide derrière les paroles : chaque soir, ce type sortait en boîte avec un paquet d’argent et de la drogue, à la chasse aux femmes.
Après environ un an à jouer le titre sur scène, le groupe l’enregistre en studio. Le label A&M apprécie immédiatement le potentiel commercial — mais avec une condition : Jackie devait devenir une femme. Lee demande alors à l’auteur‑parolier du groupe, Steve Cash, de réécrire les paroles en changeant le genre de Jackie, puis réenregistre la voix. « Larry a posé ses voix, et ça nous a tous retournés », se souvient Granda.
