Rien ne symbolise mieux l’essor de la culture alternative au début des années 1990 que Lollapalooza. Le festival de musique, créé en 1991 comme tournée d’adieu pour Jane’s Addiction, a rassemblé certaines des plus grandes formations de l’époque. Cette tournée de 20 villes aux États-Unis et au Canada mettait à l’affiche Nine Inch Nails, le Henry Rollins Band, le groupe metal de rappeur Ice-T, Body Count, ainsi que plusieurs autres artistes et attractions.
Lollapalooza est devenu instantanément une légende et est revenu l’année suivante sous une forme élargie, avec une deuxième scène. Dans les années suivantes, le festival a joué un rôle important dans le croisement entre rock et hip-hop, avec des artistes comme Snoop Dogg ou Ice Cube partageant l’affiche avec des groupes d’alternative rock, une rencontre jusque-là inédite pour le public. Cependant, dès 1998, la tournée itinérante a commencé à peiner, menant à une pause prolongée jusqu’en 2003. À cette époque, Lollapalooza peinait à maintenir son identité face à l’évolution des goûts et rencontrait des difficultés financières, fatales pour tout événement d’une telle ampleur.
Un paysage musical changeant et la fatigue ont fait perdre son attrait à Lollapalooza
Aux débuts de Lollapalooza, l’événement était perçu comme le fer de lance musical des années 1990. Pourtant, la vision initiale de Perry Farrell, frontman de Jane’s Addiction et créateur du festival, fut aussi source d’instabilité. Le rock alternatif début 90, notamment le grunge, contrastait fortement avec le hair metal des années 1980. Avec ce glissement, Farrell fut mal à l’aise face à certains têtes d’affiche, comme le groupe de thrash metal macho Metallica, qui se produisit en 1996. À une époque où les prix des billets augmentaient, certains y voyaient la fin de la scène alternative. En 1997, les organisateurs tentèrent d’orienter Lollapalooza davantage vers l’électro, ce qui déplut à une partie des spectateurs fidèles.
Parallèlement, les groupes semblaient se lasser du rythme et de la répétitivité de la tournée et commençaient à faire des excès. Tom Beaujour, co-auteur de « Lollapalooza : The Uncensored Story of Alternative Rock’s Wildest Festival, » relate une anecdote qui illustre cette fatigue. En 1994, le groupe punk féminin L7, en collaboration avec Nick Cave and the Bad Seeds, entreprit de réaliser des voitures en papier mâché et des perruques pour rejouer l’assassinat de Kennedy à Dallas – une manifestation de lassitude et de mauvais jugement due à la fatigue de huit semaines passées en tournée.
Pressions financières et difficultés à attirer des têtes d’affiche
Si aujourd’hui les festivals musicaux semblent être une source majeure de revenus dans un paysage dominé par le streaming et la disparition des ventes physiques, les coûts d’organisation restent élevés et peuvent être très risqués sans un financement adéquat. C’était déjà le cas dans les années 1990, où Lollapalooza s’est rapidement retrouvé en difficultés financières, malgré son statut d’institution alternative emblématique en peu d’années.
Après des critiques reçues en 1996 et 1997, le festival eut du mal à convaincre des artistes de premier plan à assurer la tête d’affiche de l’édition 1998. Rolling Stone annonça alors que Lollapalooza, jadis perçu comme une franchise inébranlable, ne pouvait réunir suffisamment de groupes de premier ordre pour assurer sa tournée, ce qui mena à son annulation. Des groupes renommés comme Green Day, Garbage, Foo Fighters, Marilyn Manson, Radiohead et même le groupe fondateur Jane’s Addiction refusèrent de participer.
Le festival ne revint qu’en 2003, avant de s’installer durablement à Chicago dès 2005 en format fixe et non itinérant, attirant aujourd’hui environ 200 000 visiteurs annuels, avec des déclinaisons dans le monde entier.