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Depuis quinze ans, Damien Charabidzé a consacré sa carrière à l’entomologie médico-légale au sein de l’institut médico-légal, où il étudie les mouches, asticots et autres insectes qui se développent sur les cadavres. Cette spécialité permet notamment de dater un décès, d’analyser la toxicologie ou encore de déceler un déplacement de corps.
Son expertise s’appuie sur l’observation minutieuse de ces « petits peuple des cadavres », comme il les appelle, capables de livrer de précieuses indications sur les circonstances d’une mort. De cette expérience unique, il a tiré un ouvrage intitulé Le petit peuple des cadavres, publié en mai, où il relate, à travers différentes affaires criminelles, le rôle clé joué par ces insectes dans les enquêtes judiciaires.
Passionné d’insectes depuis son enfance, Damien Charabidzé a grandi avec un filet à papillons à la main et une collection parcourant scorpions, phasmes, chenilles et larves. Cependant, il souligne que si les insectes ont toujours été sa vocation, il ne s’était jamais imaginé travailler avec des insectes nécrophages, notamment les mouches, qui, malgré son engouement, restent peu attirantes.
Cette orientation professionnelle s’est imposée à lui de façon fortuite lors d’un stage à l’institut médico-légal de Lille, où il fut chargé de créer une collection de référence des espèces d’insectes présentes sur les corps en décomposition. « On y trouve essentiellement des mouches et des asticots, leurs larves, parmi une cinquantaine d’espèces différentes », explique-t-il, ajoutant que les coléoptères, comme les scarabées, apparaissent également parfois.
Le rôle des insectes dans la datation d’un décès
Damien Charabidzé raconte qu’un asticot ne se développe jamais sur une personne vivante. En évaluant précisément l’âge de ces larves, il est donc possible d’estimer le temps écoulé depuis la mort de la victime. Pourtant, cette estimation théorique est influencée par les conditions environnementales : un cadavre exposé en pleine nature sera colonisé bien plus rapidement qu’un corps découvert dans un lieu clos, où les mouches mettront davantage de temps à pénétrer.
Il se souvient parfaitement de sa première affaire : le corps d’une mère de famille, retrouvé huit jours après son décès, dont le visage était recouvert de confiture moisie, les enfants ayant tenté de la nourrir. Le corps paraissait étonnamment peu décomposé, presque comme si elle dormait, contrairement aux cadavres très altérés qui apparaissent davantage abstraits. Pour Damien Charabidzé, son étude porte principalement sur les insectes, plus que sur les corps eux-mêmes.
Analyse toxicologique et déplacement de corps
L’entomologie médico-légale permet aussi d’accéder à des analyses toxicologiques lorsque le sang est inexploitable à cause de la décomposition. En effet, certains insectes accumulent les substances toxiques, offrant ainsi une piste d’investigation complémentaire.
Lorsqu’il y a discordance entre les insectes présents sur un cadavre et leurs habitats habituels, l’entomologiste peut suspecter que le corps a été déplacé. Damien se souvient d’un cas où un homme fut retrouvé en forêt au printemps, mais le corps présentait peu d’attaques d’insectes, et ceux-ci n’étaient pas caractéristiques de ce genre de lieu. L’analyse a révélé que le corps avait été conservé ailleurs avant d’être abandonné, ce que l’enquête a confirmé.
Dans la majorité des cas, l’expertise d’un entomologiste est sollicitée soit en cas de suspicion de crime, soit lorsque le corps est découvert longtemps après la mort, notamment dans des situations où la victime vivait isolée socialement.
Une activité hors-norme au service de la justice
Sans être attiré par le glauque, Damien Charabidzé mène une vie familiale classique. Il a récemment réorienté ses travaux vers les pratiques funéraires, tout en reconnaissant que son métier, entouré de cadavres et d’insectes nécrophages, reste à la marge du commun. Ce qui marque le plus cet entomologiste, ce sont non seulement les scènes de crimes violentes, mais aussi les vies souvent tragiques des victimes : « Nous récupérons fréquemment des albums photos des lieux de découverte des corps, révélant la misère sociale et la solitude dans lesquelles certaines personnes vivent. »