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Depuis quatre jours, Agathe, une joggeuse de 28 ans, demeure introuvable. Elle était partie courir jeudi dernier aux alentours de Vivonne, dans la Vienne, à environ vingt kilomètres au sud de Poitiers, sans jamais revenir. Le parquet de Poitiers a ouvert une information judiciaire contre X, visant notamment un enlèvement et une séquestration. Les enquêteurs explorent diverses hypothèses : accident, disparition volontaire ou acte criminel. Toutefois, avec le temps, la piste d’une interférence extérieure prend de plus en plus d’importance.
Cette affaire ravive des souvenirs douloureux : entre 2005 et 2017, onze joggeuses ont été assassinées en France, souvent dans des zones isolées. Le motif peut être lié à un vol, comme en juin 2005 où Nelly Crémel, 49 ans, fut tuée et dépouillée de ses biens personnels. Mais la majorité des cas concernent des agressions à caractère sexuel. Parmi ces victimes, Martine Jung, retrouvée morte en 2007 dans le Bas-Rhin, Marie-Christine Hodeau, étranglée après avoir subi des abus en 2009 dans l’Essonne, ou encore Catherine Gardère, battue et violée en 2014 en Charente-Maritime.
Des violences récurrentes sur les coureuses
Ces faits tragiques ont profondément marqué l’opinion publique dans un pays où environ 12 millions de personnes pratiquent la course à pied, dont 4 millions de femmes régulières. Le psychologue et expert judiciaire Mickaël Morlet-Rivelli souligne qu’il existe une forte empathie envers ces victimes, notamment car beaucoup peuvent s’identifier à elles du fait d’un environnement et d’une activité commune.
Si les assassinats restent heureusement rares, les agressions sont, en revanche, fréquentes. Une étude récente menée par l’Union Sport & Cycle, révélée par France Info, indique que 15 % des femmes coureuses se sentent « vulnérables ». Ce taux grimpe à 27 % chez les 18-24 ans. Plus de la moitié ont déjà fait face à des comportements déplacés : regards insistants, remarques sexistes, ou bien des formes plus graves comme le harcèlement. Ainsi, 17 % affirment avoir été suivies, 7 % ont subi des gestes inappropriés et 3 % ont été menacées ou agressées.
Un phénomène mondial et un terrain propice aux agressions
Ce problème n’est pas limité à la France. Un sondage Adidas réalisé en mars 2023 dans neuf pays révèle que 92 % des femmes ne se sentent pas en sécurité lorsqu’elles courent. Parmi elles, 51 % craignent une agression physique, et 38 % ont déjà été victimes de harcèlement verbal ou physique.
Selon Mickaël Morlet-Rivelli, plusieurs facteurs expliquent cette vulnérabilité : être une femme, courir seule dans des zones rurales où la population est peu nombreuse et les possibilités d’aide limitées, crée des conditions favorables à l’agresseur. « Une femme qui fait son jogging dans un milieu rural est une proie plus facile », car cette situation facilite le passage à l’acte.
Profil des agresseurs et stratégies d’évitement
L’expert précise qu’il n’existe pas de profil type pour les auteurs d’agressions sexuelles envers les joggeuses. Ces actes sont souvent opportunistes, résultants d’une conjugaison de facteurs spécifiques dans un lieu et un temps donnés, et pas d’un profil psychologique homogène.
Face à cette insécurité accrue, les femmes adoptent des stratégies pour limiter les risques. Ainsi, 57 % modifient leurs parcours, 53 % évitent de courir tard le soir, 52 % préviennent un proche de leur sortie, 35 % utilisent des applications de géolocalisation, et 30 % varient régulièrement leurs itinéraires. Courir en groupe gagne aussi en popularité, notamment en ville où l’offre associative est plus dense, alors que c’est plus complexe en milieu rural.