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L’essentiel
L’association Sine qua non organise des courses en groupe à Paris et dans toute la France pour permettre aux femmes de courir librement. Selon une étude, « 92 % des femmes se sentent en insécurité lorsqu’elles courent ». Les témoignages recueillis montrent que les femmes sont souvent confrontées à diverses formes de harcèlement et d’agressions pendant leur jogging, ce qui les pousse à adopter des stratégies de protection. Le problème des agressions envers les joggeuses est multifactoriel. « L’isolement, la tenue, la fatigue… », énumère une participante.
Campus de la Sorbonne nouvelle, Paris 12e. Un tee-shirt violet se distingue devant le bâtiment, puis deux, puis trois. Cette couleur est celle choisie par l’association Sine qua non, un groupe de runneuses qui arpente les rues de la capitale pour lutter contre le sexisme. « On veut prouver que les femmes peuvent courir quand elles veulent, où elles veulent, habillées comme elles veulent », martèle Lucile, co-organisatrice de l’événement. Une initiative qui part d’un constat simple : la majorité des femmes sont exposées à des comportements sexistes lorsqu’elles font leur jogging.
Selon une étude publiée par Adidas en mars 2023, 92 % des femmes se sentent en insécurité lorsqu’elles courent. La moitié (51 %) craint d’être agressée physiquement pendant leur activité physique. Enfin, 38 % ont déjà été victimes de harcèlement verbal ou physique. Parmi ces dernières, près de la moitié (46 %) a décidé d’arrêter la course à pied. Des données alarmantes qui poussent de nombreuses adeptes à courir en groupe pour se sentir rassurées.
Premier kilomètre : Anne
La nuit est tombée. Le petit groupe de joggeuses s’élance rue Saint-Mandé. Anne semble mener la danse. À 29 ans, cette habituée de la course à pied privilégie les joggings en groupe ou avec son conjoint, car elle ne se sent pas en sécurité pour courir seule, surtout les soirs d’hiver. « Je partage systématiquement ma localisation à un proche lorsque je cours seule, je cherche des endroits éclairés comme des stades, sinon je cours en salle sur un tapis ou brièvement sur ma pause déjeuner », détaille-t-elle.
Pas plus tard que vendredi dernier, la Parisienne a enfilé ses baskets en solo et a été victime d’une agression. « Un homme a commencé à courir après moi, ce n’est pas la première fois que ça arrive », raconte celle qui a fini par semer son agresseur.
Deuxième kilomètre : Fynn
Parmi le groupe de joggeuses, il y a Fynn, un joggeur. Il entend le témoignage de sa coéquipière, un discours aux antipodes de sa réalité. « Il m’arrive de courir seul à deux heures du matin si ça me chante, confie l’étudiant d’origine allemande. Je ne me pose jamais la question de l’ensoleillement ou de la compagnie. » Pour lui, le « Sine qua non squad » est une opportunité de rencontrer de nouvelles personnes tout en soutenant une cause qui lui tient à cœur. « Ce n’est pas normal qu’une femme ne puisse pas pratiquer son activité sportive simplement parce qu’il fait nuit ou qu’elle est seule. »
Troisième kilomètre : Lucile
Lucile a concocté le parcours. « Nous passons par des grands axes éclairés mais aussi par des ruelles plus étroites, le but de Sine qua non, c’est que les femmes se réapproprient l’espace », explique-t-elle. Celle qui participe aux rassemblements depuis deux ans a décidé de soutenir la cause de manière plus formelle en intégrant l’organisation. « Les joggeuses que je rencontre ici adorent faire du sport mais elles n’osent pas, elles ne courent pas car ça craint et qu’on leur dit que ça craint », regrette-t-elle. « Pourquoi ce serait dangereux de courir pour une femme et non pour un homme ? Pourquoi c’est à moi de faire attention et pas aux hommes de changer leur comportement ? »
Quatrième kilomètre : Insaf
Insaf, 44 ans, a déjà participé à ces rassemblements féministes, mais « même en groupe nous ne sommes jamais en sécurité », constate-t-elle. Elle se souvient d’un incident où, alors qu’elle courait avec d’autres, une de ses coéquipières a été approchée par un homme. Consciente des dangers, Insaf souhaite continuer à faire du sport librement. « On voit beaucoup de faits divers concernant des joggeuses, mais j’ai besoin de vivre pour moi, de ne pas toujours avoir ces informations en tête. »
Les médias locaux rapportent de terrifiants récits d’agressions de joggeuses, comme celle d’une femme de 44 ans agressée dans le Gard par un homme qui a été placé en détention pour tentative d’assassinat.
Cinquième kilomètre : Charlotte
À côté de Charlotte, qui aborde le dernier kilomètre, elle peine un peu, n’étant pas une habituée de la course à pied mais préférant le volleyball. Elle remarque que les tenues, souvent près du corps, sont utilisées comme prétexte par des prédateurs. Courir en groupe lui permet de se réapproprier sa tenue. En tant que professeure de SES, elle réfléchit également aux raisons du taux élevé d’agression chez les joggeuses. « Je pense que plusieurs facteurs entrent en jeu : l’isolement, la tenue, la fatigue de la potentielle victime, et donc sa vulnérabilité… »
Une enquête de L’Équipe publiée en décembre 2024 analyse que le plaisir de l’agresseur réside dans le fait même que la femme court, rendant cette activité d’autant plus risquée pour elles.
Une trentaine de minutes plus tard, le groupe de joggeuses s’arrête place de la Nation. L’heure est aux étirements. « On nous regarde mais on s’en fiche ! », crie Lucile devant un groupe d’hommes curieux. Pour le groupe, l’objectif est atteint, chacun repart avec sa dose de sport et de nouvelles rencontres.