Société
Depuis des millénaires, l’homme navigue sur les mers et, parfois, se retrouve isolé en mer pour diverses raisons. Des épisodes historiques, comme la mutinerie sur le HMS Bounty, aux incidents modernes résultant de défaillances mécaniques ou de conditions météorologiques extrêmes, le destin des marins a souvent été marqué par l’abandon et l’attente d’un secours salvateur.
Au XXIe siècle, avec la rigueur des conventions internationales et des moyens de communication modernes, il semble improbable qu’un marin se retrouve isolé à bord pendant une longue période. Pourtant, l’histoire du marin syrien Mohammed Aisha illustre malheureusement combien la négligence et les problèmes administratifs peuvent plonger un équipage dans une situation désespérée.
En mai 2017, Mohammed Aisha embarque sur le MV Aman en Égypte. Quelques mois plus tard, alors que le navire entre dans le port d’Adabiya, il se trouve entravé par des formalités administratives périmées et des problèmes mécaniques. Les autorités égyptiennes refusent l’accostage tant que les irrégularités ne sont pas résolues, et la compagnie libanaise commanditaire peinait à couvrir les frais de carburant et de réparations. Les propriétaires basés à Bahreïn faisaient, eux aussi, face à de graves difficultés financières.
Face à cette impasse, un tribunal égyptien désigne Aisha, le plus haut gradé, en tant que « gardien » du navire, obligeant ainsi le marin à rester à bord tandis que le reste de l’équipage est autorisé à débarquer. Dans une série de décisions qui s’avéreront lourdes de conséquences, le capitaine persuade Aisha de signer un document lui conférant l’autorité sur le navire, décision que ce dernier regrettera amèrement par la suite.
Isolé et sans ressources, le navire se retrouve sans carburant, ce qui entraîne également l’arrêt des systèmes électriques et sanitaires. Peu à peu, les vivres se raréfient :
- Des livraisons sporadiques de nourriture, devenues de plus en plus rares.
- Des journées où il se contente de quelques morceaux de pain pour subsister.
- Un quotidien rythmée par l’errance dans les entrailles silencieuses du navire, à l’abri de la chaleur étouffante et dans le noir complet.
Ce naufrage humain trouve un écho douloureux dans les longs moments passés sur le pont à observer au loin le passage d’autres navires, parfois aperçus par son propre frère, lui aussi marin, mais toujours trop éloigné pour un véritable salut.
Déterminé à rompre cet enfermement, Aisha tente par divers moyens de quitter le navire. Plusieurs tentatives d’escales sur le sol égyptien se soldent par des détentions et interrogatoires, le contraignant à revenir sans cesse à son « prison flottante ». Même face à une tempête qui a détaché le navire de ses amarres, il a dû nager pour aller chercher des vivres et recharger un téléphone en bord de mer, pour finalement retourner à ce lieu devenu sa captivité.
Ce calvaire a pris fin en avril 2021, lorsque l’intervention d’un syndicat international de marins permit de convaincre un tribunal égyptien de substituer Aisha par un représentant du syndicat en tant que nouveau gardien du navire. Confronté à l’abandon et aux lourdes conséquences humaines – la perte d’un être cher et une dégradation tant physique que psychologique – le marin peut enfin regagner sa patrie syrienne.
L’histoire de Mohammed Aisha n’est malheureusement pas un cas isolé. Trop souvent, des marins issus de pays en développement se retrouvent abandonnés par des compagnies maritimes en difficulté, laissés sans salaire, sans ressources et à des milliers de kilomètres de leur foyer. Cette tragédie soulève de profondes interrogations sur la sécurité et la dignité des travailleurs de la mer dans un contexte mondial en pleine mutation.