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Le nouveau film du réalisateur Aaron Sorkin, Being the Ricardos, a suscité la controverse dès son annonce. En particulier, les choix de casting ont déplu à certains fans, notamment la décision de confier le rôle de Lucille Ball à Nicole Kidman. Cependant, avec l’enthousiasme suscité par la performance de Kidman lors des Oscars, il apparaît clairement que le réalisateur n’avait pas tort.
Pour rendre l’histoire plus captivante, Sorkin a pris plusieurs libertés artistiques, allant jusqu’à étirer la vérité dans divers aspects. En effet, la réalité ne se prête pas toujours bien à une adaptation cinématographique : la vie réelle est souvent plus lente, et pour créer un film dynamique, il faut parfois ajouter, supprimer, embellir, voire mentir.
Or, la vie de Lucille Ball était déjà riche en drames personnels et professionnels. Pionnière à plusieurs égards, elle fut la première actrice enceinte à ne pas cacher sa grossesse dans une série télévisée, ainsi que la première à incarner un mariage interracial à l’écran – deux faits très controversés à l’époque. Pourtant, plusieurs différences majeures existent entre le film et la véritable histoire du couple formé par Lucille Ball et Desi Arnaz.
Une semaine d’événements condensée au cinéma

Le film se concentre sur une semaine intense de la vie du couple en 1952. Durant cette période, trois événements majeurs surviennent : la grossesse de Lucille et son choix inédit de la montrer à l’écran, l’accusation de communisme à son encontre et la découverte de l’infidélité de Desi. Pourtant, ces faits, bien qu’existants dans la réalité, ne se sont pas déroulés en même temps comme le suggère le scénario.
- La grossesse de Lucille Ball eut lieu plus tard en 1952, et leur fils Desi Jr ne naquit qu’en janvier 1953.
- L’audition sur ses liens présumés avec le Parti communiste eut lieu plus tard dans l’année.
- La révélation de l’affaire extra-conjugale de Desi, médiatisée par le magazine Confidential, date en réalité de 1955, alors que Lucille était déjà consciente de ces indiscrétions.
Contrairement au choc dépeint dans le film, Lucille avait donc depuis longtemps connaissance des infidélités de son mari, qui ne prenait même pas vraiment la peine de les cacher.
Les accusations communistes : une affaire récurrente

Les années 1950 furent marquées par la « peur rouge » aux États-Unis, caractérisée par des enquêtes sur d’éventuelles affiliations communistes. Parmi les célébrités visées, on comptait Walt Disney, Gary Cooper mais aussi Lucille Ball.
Dans Being the Ricardos, l’accusation contre Lucille est révélée publiquement par le journaliste Walter Winchell – un événement qui surprend beaucoup la protagoniste dans le film. En réalité, elle subissait ces accusations depuis un certain temps avant la déclaration publique, ayant déjà été auditionnée par le House Un-American Activities Committee (HUAC) à deux reprises.
Bien que le film suggère une relation ténue et récente entre Ball et le Parti communiste, il s’avère que l’actrice s’était inscrite comme électrice communiste dès 1936, ce qu’elle attribuera plus tard à sa volonté de satisfaire son grand-père.
J. Edgar Hoover, alors directeur du FBI, appréciait le couple et finit par blanchir Lucille Ball après la deuxième audience. Contrairement à ce que le film laisse entendre, il n’existe aucune preuve que Hoover ait directement contacté la production de la série.
Lucille Ball aussi au cœur de rumeurs

Le mariage tumultueux entre Lucille et Desi fut principalement affecté par les infidélités répétées de ce dernier. En milieu des années 1940, Lucille avait même demandé le divorce, démarche abandonnée peu après.
Le film évoque quelques-unes des infidélités de Desi, mais omet les rumeurs qui touchaient Lucille elle-même, notamment sa relation intermittente avec Henry Fonda, qu’elle aurait entretenue même après son mariage. Fonda qualifia plus tard Lucille de « grand amour de sa vie ».
Par ailleurs, des liens amicaux et sentimentaux couraient sur elle avec d’autres grandes figures, comme Robert Mitchum, William Holden ou Orson Welles, souvent pour combler les absences répétées de son mari.
Les liens d’Arnaz avec Cuba et le communisme mal interprétés

Le film prétend que les parents d’Arnaz ont fui Cuba après que les Bolcheviks leur ont confisqué leurs propriétés. Pourtant, historiquement, les Bolcheviks étaient une faction communiste russe, sans puissance à Cuba.
Le véritable contexte cubaine date de la révolution de 1933 contre le régime de Gerardo Machado, bien avant la révolution communiste de 1959. La famille Arnaz, aisée et influente, perdit ses biens lors de cette révolution.
Desi et sa mère s’exilèrent à Miami, tandis que son père fut emprisonné. Les confusions dans le film reposent sans doute sur une assimilation du terme « communiste » à tout mouvement révolutionnaire, ce qui dénature l’histoire cubaine réelle du couple Arnaz.
L’écran et la grossesse : qui a eu l’idée ?

Dans le film, c’est Desi Arnaz qui impose l’idée que Lucy Ricardo soit enceinte dans la série, une proposition qui provoque la stupeur chez les scénaristes et producteurs, inquiets du tabou entourant la sexualité dans les séries familiales de l’époque.
Toutefois, selon l’autobiographie de Lucille Ball, cette initiative ne venait pas de Desi qui avait d’abord suggéré d’annuler la série. C’est le producteur Jess Oppenheimer qui trouva la solution audacieuse : continuer la série en intégrant la grossesse à l’écran.
Cette nuance met en lumière le rôle de pionnière de Lucille Ball sur ce sujet socialement sensible, éclipsé dans le film par une vision plus commerciale portée par le personnage de Desi.
