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Pour certains, la musique populaire des années 80 est remplie de frivolité frisant l’absurde. Si des tubes comme Wake Me Up Before You Go-Go de Wham ou Rock Me Amadeus de Falco ne cherchaient pas à sonder les grands questionnements de l’existence, cette décennie a aussi vu des artistes creuser des thèmes émotionnellement complexes. Des noms comme U2, Prince, Bruce Springsteen, Sinead O’Connor et Tears For Fears ont su faire bouger les foules tout en abordant des enjeux existentiels. Ils ont même effleuré la question intemporelle — quel est le sens de la vie ? — à leur manière.

U2 – I Still Haven’t Found What I’m Looking For
En 1987, l’album The Joshua Tree sort et grimpe rapidement au sommet des charts. Cet opus emblématique explorait l’Amérique sous ses angles historiques et spirituels, et propulsa U2 au rang du groupe le plus en vue au monde. Bono, chanteur et principal auteur, a qualifié le single I Still Haven’t Found What I’m Looking For de « un chant gospel au esprit tourmenté ».
Avec la guitare claire et expansive de The Edge et les voix et les paroles de Bono, la chanson transmet un sentiment de tourment et de soif de sens, renforcé par le refrain répété « I still haven’t found what I’m looking for ». Une dimension spirituelle traverse le texte, avec des vers comme « I believe in the Kingdom Come / When all the colors will bleed into one / Bleed into one / But yes, I’m still running ». Bono a déclaré à Rolling Stone que la chanson est « un hymne au doute plus qu’à la foi », une impression partagée par beaucoup. Son succès initial et sa résonance près de quarante ans plus tard expliquent pourquoi elle est souvent comparée à un hymne moderne.
Prince – Let’s Go Crazy
En 1984, Prince était inarrêtable avec l’album Purple Rain et le film éponyme. L’ouvrage mettait en valeur son mélange génial de rock, funk, soul et pop et démontrait que Prince était un musicien réellement unique. Il mêlait aussi des thèmes sexuels et spirituels : le premier morceau, « Let’s Go Crazy », s’intéresse à cet aspect. Il s’ouvre sur une sortie quasi‑sérieuse, comme un sermon sur fond d’orgue tourbillonnant, puis invite à « devenir fou », c’est‑à‑dire rechercher le bonheur et l’épanouissement face à un monde cruel.
Les paroles peuvent sembler cryptiques, comme « And if de-elevator tries to bring you down / Go crazy (Punch a higher floor) ». Prince expliquera toutefois que la chanson parle de Dieu et du diable. « L’ascenseur était Satan dans cette chanson », déclara‑t‑il dans une interview MTV en 1997. « Et ‘Let’s Go Crazy’, c’était Dieu pour moi, il s’agissait de rester heureux, rester concentré et pouvoir vaincre l’ascenseur. » Prince a ensuite modifié certaines formulations, jugeant que la religion était, à l’époque, taboue dans la musique pop. La chanson unit le spiritualité et le groove funk, et demeure une pièce irréfutablement dansante qui aborde l’existence comme peu d’autres titres savent le faire.
Bruce Springsteen – The River
En 1980, Bruce Springsteen, dont les textes évoquent souvent la lutte pour une vie meilleure, explore le thème de la perte des rêves de jeunesse face à la dure réalité dans « The River », extrait de l’album éponyme. C’est un voyage sombre mais réaliste sur la relation d’un jeune couple ouvrier. Une rivière que le couple fréquente devient la métaphore centrale : au début, elle symbolise les possibilités de l’existence, avant de devenir un réceptacle de rêves qui s’éteignent. Le refrain pose la question : « Un rêve est‑il un mensonge s’il ne se réalise pas ? Ou est‑ce quelque chose de pire ? »
L’inspiration provient aussi d’une expérience personnelle de la famille de Springsteen au début de leur relation. Si « The River » peint un tableau désolé, il offre aussi une lueur d’espoir : la rivière peut être sèche, mais le couple continue d’y aller ensemble et peut‑être retrouver les rêves perdus. Le double album a consolidé la réputation de Springsteen en tant qu’artiste mûr, et la chanson titre a trouvé une résonance universelle auprès d’un vaste public.
Sinead O’Connor – Just Like U Said It Would B
Tout au long de sa vie, la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor a exploré la spiritualité dans sa musique et dans son parcours personnel. Son premier album de 1987, The Lion and the Cobra, porte cette dimension sacrée et des références au Psautier. Dans les années 1990, elle fut ordonnée prêtre dans l’Église catholique apostolique orthodoxe irlandaise indépendante, puis s’est tournée vers d’autres spiritualités et, en 2018, elle s’est convertie à l’islam peu avant son décès en 2023.
Âgée d’environ 20 ans lors de la sortie de l’album, O’Connor y mêle fortement des éléments spirituels, notamment des allusions au psaume 91. Le psaume commence par « Celui qui demeure sous l’ombre du Très-Haut repose à l’ombre du Tout-Puissant ». Le titre et l’inclusion d’Enya qui lit le psaume en gaélique sur Never Get Old soulignent cette dimension. « Just Like U Said It Would B » est l’expression la plus directe de l’influence du psaume. Des vers tels que « When I’ve walked in the garden / When I’m walking off stage / When everything’s quiet / Will you stay ? » évoquent la quête de réconfort dans un monde chaotique. O’Connor rappelle dans Rememberings, son mémoire publié en 2021, avoir reçu une leçon d’un ministre sur l’art et les résultats de la prière du Psaume 91, source du titre de l’album.
Tears For Fears – Mad World
Comme la vision quelque peu sombre de Springsteen dans The River, « Mad World » de Tears for Fears, tiré de leur premier album The Hurting (1983), aborde les aspects les plus sombres de la vie moderne. Écrite par Roland Orzabal et interprétée par Curt Smith, la chanson est racontée du point de vue d’une personne qui observe le monde par la fenêtre et ressent un sentiment d’aliénation. Le démarrage, « All around me are familiar faces / Worn-out places, worn-out faces / Bright and early for their daily races / Going nowhere, going nowhere », plante une atmosphère d’angoisse existentielle. Les traumatismes d’enfance d’Orzabal imprègnent les paroles, donnant à la chanson une gravité émotionnelle. Toutefois, même si la ligne la plus sombre — « The dreams in which I’m dying / Are the best I’ve ever had » — paraît pessimiste, elle recèle une énergie positive et renvoie au travail du psychanalyste Arthur Janov, fondateur de la thérapie primale dans les années 1960. Le groupe tire son nom, et plus tard son hit « Shout », de ses influences. Sans proposer de réponses simples au dilemme de la vie contemporaine, « Mad World » offre un sentiment de consolation en rappelant que l’on n’est pas seul.
Méthodologie

Une décennie de musique offre un vivier considérable pour sélectionner cinq morceaux qui explorent les différentes facettes du sens de la vie, un sujet à la fois vaste et personnel. C’est une question que l’humanité se pose depuis des siècles. Plusieurs critères ont été retenus pour constituer cette sélection de chansons des années 80 qui, selon nous, saisissent le sens de l’existence.
Bien que ces titres ne soient pas tous des phénomènes commerciaux lors de leur sortie (à l’exception de U2 et de Prince), ils étaient tous connus et issus d’albums à succès. Leurs thèmes étaient déjà au cœur des discussions dans les années 80. Toutes les chansons retenues continuent d’interpeller le public, leurs paroles et leur sens étant analysés de nombreuses façons sur Internet et au‑delà.
