
Dennis le Malin a semé le trouble dans son quartier pendant des décennies. Son créateur, Hank Ketcham, souhaitait offrir aux lecteurs une manière de mieux comprendre le comportement parfois turbulent de leurs enfants. Sa propre progéniture, le jeune Dennis, était réputée pour son énergie débordante. Alors que le personnage de bande dessinée traversait succès après succès, avec notamment plusieurs films et séries télévisées populaires, le véritable Dennis n’a pas eu la même chance.
L’idée de ce personnage voit le jour en 1951, quand Alice, l’épouse de Ketcham, rapporte que leur fils de quatre ans avait saccagé sa chambre en y étalant des excréments. Furieuse, elle qualifie son fils de « menace », d’où le nom de la bande dessinée. Ce portrait d’un enfant espiègle, voire un peu méchant, allait rapidement séduire le public : en seulement cinq mois, la bande était publiée dans seize journaux, puis traduite dans plusieurs langues.
Dans les premières planches, Dennis provoque des bagarres, attache des têtes de cygnes et se moque des malheurs des autres, incarnant pleinement la figure du garnement. Bien que Ketcham ait adouci ce caractère au fil du temps, l’idée d’un enfant turbulent a perduré. Un fait surprenant est qu’une autre bande dessinée britannique portant le même nom est apparue à la même époque, mettant en scène un garçon légèrement plus âgé et moins turbulent. Cette dernière a été renommée plus tard Dennis the Menace and Gnasher pour éviter toute confusion.

Malgré la renommée grandissante, la vie familiale de Ketcham et Dennis était loin d’être un conte de fées. Alice, la mère, décède en 1959, alors que Dennis n’a que 12 ans. Ketcham déménage avec son fils et sa seconde épouse à Genève. Dennis peine à s’adapter à son école suisse, ce qui pousse son père à le renvoyer aux États-Unis, dans un internat du Connecticut. Ce n’est pas le premier établissement du genre pour Dennis, qui avait déjà été inscrit dans un pensionnat californien.
D’après des témoignages, Dennis se sentait souvent isolé et aspirait à davantage d’attention paternelle que son alter ego fictif. Il souffrait également d’un trouble d’apprentissage mal compris par son père. Après la mort de sa mère, ce dernier tarde à lui annoncer la nouvelle. Dennis confiera plus tard que connaître la vérité avant l’enterrement lui aurait permis de mieux gérer son chagrin.
La relation père-fils se complique encore après le divorce de Ketcham et sa seconde épouse. Bien que Dennis ait assisté au mariage de son père avec une troisième femme, il jouera peu de rôle dans cette nouvelle famille et n’aura aucun contact avec ses demi-frères et sœurs. Ketcham perd de vue son fils, qui vivrait quelque part sur la côte Est américaine.

De son côté, Dennis engage une carrière militaire en rejoignant les Marines et combat au Vietnam. Durant cette période, il affirme ne recevoir que des lettres de sa grand-mère et de sa tante, aucune de son père, bien que ce dernier conteste ce point de vue. Après son retour en 1970, il est traité pour stress post-traumatique avant de connaître une vie instable, marquée par plusieurs emplois précaires et un premier mariage qui se termine par un divorce douloureux le privant de contact avec sa fille. En 1991, il épouse une seconde fois et s’installe en Ohio, vivant désormais presque coupé de son père, avec qui il ne parle que lorsqu’il a besoin d’argent.
Ketcham a toujours affirmé ne jamais s’être inspiré de faits réels pour écrire sa bande dessinée. Pourtant, pour Dennis, la ressemblance entre lui et le personnage nuisible ne lui a jamais été agréable. Il aurait préféré que son père trouve une autre source d’inspiration. Néanmoins, il ne nourrissait pas de rancune envers le personnage ou son créateur. Lorsque Ketcham publie ses mémoires, il envoie un exemplaire à Dennis, dédicacé « Au VRAI Dennis, avec amour. Papa ». Ce livre est exposé dans la maison de Dennis, qui n’a malheureusement jamais réussi à rétablir une véritable proximité avec son père avant le décès de ce dernier en 2001.
Dennis le Malin aura provoqué bien des rires grâce à ses espiègleries, aidant nombre de parents à relativiser les pitreries de leurs enfants. Pourtant, comme souvent avec les héros de fiction inspirés de faits réels, la réalité derrière cette figure demeure chargée de douloureux non-dits.
