Molière Ex Machina : l’ultime pièce de Molière réinventée par l’IA

par Olivier
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Molière Ex Machina : l'ultime pièce de Molière réinventée par l'IA
France

Portrait de Christophe Séfrin

L’essentiel

  • L’intelligence artificielle s’apprête à donner une suite à l’œuvre de Molière avec le projet Molière Ex Machina.
  • Mené par Sorbonne Université, le Théâtre Molière Sorbonne et le trio d’artistes Obvious, le projet consiste à créer une pièce telle qu’aurait pu l’écrire Molière, en croisant les connaissances sur son œuvre et les possibilités de l’IA.
  • Pièce, décors, costumes et musique sont en préparation, avec, en ligne de mire, une première représentation en 2026 à l’Opéra royal du Château de Versailles.

Impossible de se lancer à la légère

Le 17 février 1673, Molière s’éteint brutalement à 51 ans après une représentation du Malade imaginaire. Et si le dramaturge avait vécu un an de plus, qu’aurait‑il écrit ? C’est la question que se sont posée les équipes de Sorbonne Université, qui ont invité le collectif d’artistes Obvious et une intelligence artificielle à imaginer l’ultime pièce du dramaturge : le projet Molière Ex Machina.

« On savait que ça allait susciter des réactions », reconnaît la direction du projet. Tester ChatGPT pour écrire une pièce à la façon de Molière a bien sûr été tenté, mais les premiers résultats n’étaient pas jugés satisfaisants. Il a donc fallu mettre en place un processus sérieux, scientifique et créatif, en réunissant une dizaine d’experts (scientifiques, costumiers, artisans…) afin que l’IA contribue non seulement au texte, mais aussi à l’imaginaire des décors, des costumes et de la musique.

Une œuvre fidèle et crédible

Parmi les participants figure Mickaël Bouffard, directeur et metteur en scène du Théâtre Molière Sorbonne, une « école‑atelier » fondée en 2017 pour faire revivre les techniques de déclamation et de jeu du XVIIe siècle. Pour restituer l’esprit dramatique de Molière, il faut mobiliser des connaissances pointues sur son processus créatif.

« Le principal défi, c’est de produire une œuvre originale qui soit à la fois fidèle à l’esprit de Molière et crédible d’un point de vue dramaturgique, tout en étant le fruit d’une collaboration étroite entre humains et intelligence artificielle », explique Hugo Caselles‑Dupré, cofondateur du collectif Obvious. Avec son équipe, il entraîne l’IA à partir d’une vaste base de connaissances sur Molière : prompts, correctifs et allers‑retours avec les artisans du projet visent à faire naître une pièce cohérente, sans que l’homme n’écrive manuellement chaque ligne.

Une pièce sur la crédulité humaine

Le thème retenu pour cette nouvelle création est l’astrologie. Molière l’avait déjà attaquée dans Dom Juan et Les Amants magnifiques, qualifiant les astrologues de « diseurs d’horoscopes ». Selon les coordinateurs du projet, la crédulité humaine aurait sans doute continué d’intéresser le dramaturge.

L’intelligence artificielle a déjà proposé le titre et le personnage principal : L’Astrologue ou les Faux Présages, mettant en scène un charlatan nommé Pseudoramus. À neuf mois de la première représentation programmée en mai 2026 à l’Opéra royal du Château de Versailles, le processus créatif progresse, appuyé par des experts en théâtre classique, littérature et histoire pour inscrire l’œuvre dans une filiation culturelle rigoureuse.

« L’IA est bluffante, mais pas intelligente »

Aux premières lectures générées par l’IA, le constat est nuancé : « Comme le formule le philosophe Daniel Andler, l’IA est bluffante mais pas intelligente. Avec ce projet, notre objectif est de faire une œuvre profonde. On va voir ce que ça donne sur la longueur, l’épaisseur, l’intensité, le rythme… et si la pièce tient la route », explique la direction du projet.

Du côté du Théâtre Molière Sorbonne, on note que « ce n’est pas égal à Molière, ni mieux que Molière, mais on arrive parfois, presque du premier coup, à quelque chose qui sonne comme Molière ». L’IA proposerait aussi des idées inattendues, parfois plus proches de l’esprit du XVIIe siècle que ce que pourraient imaginer des créateurs du XXIe siècle. Reste à veiller à la cohérence : éviter, par exemple, d’introduire des références astronomiques anachroniques.

En creux, le projet laisse entrevoir un usage restauratoire de l’IA pour compléter des œuvres inachevées — textes ou costumes — que Molière a pu laisser inachevés, bien que ces cas soient rares.

Une expérience pionnière

Sur scène, L’Astrologue ou les Faux Présages réunira onze acteurs et quatre musiciens. Certains rôles ont déjà été attribués à des étudiants du Théâtre Molière Sorbonne, tandis que la possibilité d’inviter des artistes extérieurs, voire une grande personnalité du théâtre, est à l’étude. La formulation attributionnelle de la pièce pose aussi question : on ne pourra pas la présenter comme « par Molière », ni simplement « d’après Molière », ce qui impose une formulation originale pour l’affiche.

Au‑delà de la création, le projet est perçu comme une expérience unique et pionnière, un travail humain rigoureux qui pourrait poser des jalons sur les limites à ne pas dépasser avec l’IA et sur la « boîte noire » du processus créatif. « Et l’on cherche aussi le plaisir du spectateur », concluent les créateurs : la grande question demeure — est‑ce que ce sera une bonne pièce ? C’est le mystère de la suite.

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