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Le rock des années 80 a été plus riche et plus varié que jamais : le genre a fusionné avec le funk, la soul et la pop pour créer des sonorités nouvelles, tandis que l’évolution technologique a profondément transformé la production musicale. Les synthétiseurs numériques se sont généralisés et, avec l’avènement de MTV, les clips sont devenus essentiels pour transformer des morceaux en succès commerciaux. L’arrivée du disque compact a également changé la façon de consommer la musique, poussant de nombreux acheteurs à racheter les classiques des décennies précédentes et permettant aux formations historiques de conserver un public pour leurs tournées, même sans nouveau matériel.
Le rock puisait aussi dans son histoire pour se réinventer, comme le montre le renouveau du hard rock à la fin de la décennie, incarné notamment par l’arrivée de Guns N’ Roses, qui s’inspirait à la fois du passé et du glam des années 70. Si beaucoup de sons des années 80 paraissent aujourd’hui datés, un nombre surprenant de moments ont traversé le temps et continuent de couper le souffle. Voici cinq instants sismiques du rock des années 80 qui restent intemporels.
AC/DC — Back in Black
AC/DC fait partie de ces groupes indifférents aux modes : la formation s’est construite en marge des tendances, fidèle à son propre code, et a su durer plus de cinquante ans. Après une période tragique — la mort de son charismatique chanteur Bon Scott en février 1980, à 33 ans — le groupe semblait pourtant fragilisé.
AC/DC a pourtant fait preuve de résilience. Alors que les fans craignaient que l’aventure soit finie, le groupe sort en 1980 Back in Black, un retour marquant avec le nouveau chanteur Brian Johnson, originaire du Royaume‑Uni. Sous sa houlette, AC/DC connaît une renaissance étonnante : Back in Black est un album de fête, célébrant le sexe, l’alcool et le rock’n’roll, tout en rendant hommage à Bon Scott avec une joie de vivre percutante.
Malgré la tragédie qui l’a précédé, Back in Black s’impose comme un gigantesque succès — plus de 50 millions d’exemplaires vendus, 27 fois disque de platine aux États‑Unis — et figure officiellement comme le troisième album le plus vendu de tous les temps. Il reste un incontournable pour tout novice du rock des années 80 et demeure aussi intemporel que le groupe lui‑même.
Queen au Live Aid
Parmi les performances emblématiques, celle de Queen au Live Aid, le 13 juillet 1985 à Wembley devant 72 000 personnes, occupe une place à part. Vingt et une minutes au total, mais suffisamment de puissance pour captiver encore aujourd’hui.
Queen traversait une période délicate : Freddie Mercury faisait l’objet de rumeurs sur sa vie privée et le groupe avait essuyé des critiques pour une tournée en Afrique du Sud sous l’apartheid. Le concert caritatif offrait une opportunité de redresser l’image et de rappeler la force de leur musique et de leur présence scénique.
Connus pour leur théâtralité, Queen propose une prestation dépouillée : Mercury porte un simple gilet blanc et un brassard, et, hormis un court échange d’appel‑réponse avec le public, enchaîne sans détour les plus grands tubes du groupe. De Bohemian Rhapsody à We Will Rock You — moment où une marée de poings frappe l’air à l’unisson — puis We Are The Champions, le set est souvent cité comme l’un des meilleurs concerts de rock jamais donnés. Pour beaucoup, cette performance confirme que Mercury était l’ultime showman du rock : son utilisation théâtrale du pied de micro a été largement imitée et inspire encore des générations de musiciens.
Talking Heads — Stop Making Sense
Considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs films de concert jamais réalisés, Stop Making Sense sort en 1984 avec une idée simple : montrer le groupe new wave pionnier Talking Heads interprétant seize de ses plus grands titres lors des trois dernières dates de leur tournée éponyme. Réalisé par Jonathan Demme, le film commence par David Byrne seul sur scène, guitare acoustique, puis le groupe le rejoint progressivement.
La formation s’agrandit au fil des morceaux, des trois membres initiaux aux cinq musiciens supplémentaires, créant peu à peu un immense mur sonore, ponctué de petites bizarreries scéniques — Byrne dansant avec une lampe sur pied ou portant son célèbre costume gris qui s’élargit mystiquement au fur et à mesure du spectacle.
Une fois visionné, l’atmosphère singulière de Stop Making Sense ne s’oublie pas. Comme l’indique le titre, il y a un fil narratif difficile à saisir, ce qui contribue à l’attrait durable du film. La ressortie en 2023 a d’ailleurs été accueillie avec enthousiasme par la critique.
Prince et Purple Rain
Plusieurs artistes ont connu des sommets dans les années 80, des Eurythmics à Frankie Goes To Hollywood en passant par le retour du hard rock. Mais aucun n’a été aussi omniprésent que le maestro de Minneapolis, Prince, qui atteint l’apogée de sa carrière en 1984 avec Purple Rain.
Multi‑instrumentiste d’un talent immense, doté d’un charisme et d’une présence scénique exceptionnels ainsi que de qualités de production, Prince gravit les échelons depuis son premier album For You (1978). Après Dirty Mind (1980), Controversy (1981) et 1999 (1983), rien ne prépare totalement à Purple Rain : film blockbuster semi‑fictionnel racontant l’ascension de Prince, et bande‑son d’accompagnement contenant certains des meilleurs titres de sa carrière.
Le film et l’album sont d’énormes succès commerciaux, l’album engendrant quatre singles à succès dont When Doves Cry, n°1 du Billboard Hot 100, tandis que le film et la bande‑son trônent en tête de leurs classements respectifs. La musique de Prince à cette période reste incontestablement l’une des plus influentes de la décennie, son mélange fluide de rock, funk, soul, R&B et pop annonçant la diversité stylistique des plus grands artistes commerciaux d’aujourd’hui.
Kate Bush — Running Up That Hill
Le single Running Up That Hill (A Deal With God) de Kate Bush s’est inscrit comme un classique d’art rock et a préparé le terrain à des générations d’artistes baroques à travers divers genres. L’auteur‑compositrice britannique s’était révélée dès 1978 avec Wuthering Heights, qu’elle avait écrite à 19 ans, annonçant un talent prodigieux et singulier.
Ce n’est toutefois qu’en 1985 que Bush perce véritablement aux États‑Unis : Running Up That Hill atteint la 30e place du Billboard Hot 100 et propulse l’album Hounds of Love vers des sommets dans les classements. Bien que le single n’ait pas atteint la place qu’il méritait aux États‑Unis, il a forgé un large culte international qui suit Kate Bush lors de chacune de ses parutions, pourtant espacées.
La stature classique de Running Up That Hill n’a fait que croître au fil des ans, comme en témoigne sa résurgence en 2022, lorsque la chanson a été mise en avant dans la série Stranger Things sur Netflix. Cette nouvelle exposition a généré un regain d’intérêt de la part d’un public souvent trop jeune pour avoir connu la sortie originale, faisant remonter le titre en tête des classements de plusieurs pays et ravivant l’intérêt pour son catalogue.
Pourquoi ces moments ont été choisis
Il n’existe pas de règle stricte pour définir ce qui tombe en désuétude. Les goûts évoluent, et ce qui peut faire lever les yeux à certains passionne un nouveau public découvrant le rock des années 80 pour la première fois. Pourtant, quelques critères aident à identifier une œuvre ou un moment culturel comme « intemporel ».
Les cinq moments présentés continuent d’attirer de nouveaux publics, malgré le fait qu’ils datent pour la plupart de plus de quarante ans. Alors que les modes ont énormément changé — le hip‑hop ayant depuis longtemps dépassé le rock comme premier genre musical mondial — ces instants conservent leur cool, leur reconnaissance critique et leur puissance commerciale. Les stars du rock ne sont pas immortelles, mais leur musique, dans certains cas, semble destinée à perdurer.