Quand une superstar du cinéma égyptien accepte d’incarner le général Sissi dans un biopic commandité par les plus hautes autorités du pays, elle se jette dans la gueule du loup. C’est le point de départ de Les Aigles de la République, signé Tarik Saleh Les Aigles de la République, découvert au dernier Festival de Cannes. Fares Fares, déjà familier des univers du réalisateur, y incarne George Fahmy, une vedette adulée qui va se brûler les ailes aux feux du pouvoir.
« C’est un processus lent que la corruption d’un artiste », explique Tarik Saleh. George Fahmy se laisse engloutir peu à peu par l’ambition, la faiblesse, puis la peur. Il paie cher le succès qu’il a tant désiré. Séducteur impénitent, il complique encore son sort en nouant une liaison secrète avec l’épouse d’un militaire influent — rôle tenu par Zineb Trinki, révélée dans la série Le Bureau des légendes — tandis que ce militaire fait de son côté la cour à une comédienne incarnée par Lyna Khoudri, qu’il conduira à la chute.
Hollywood sur Nil
Tarik Saleh affirme n’avoir aucune volonté de mettre en danger les artistes pour le seul succès : « J’ai voulu célébrer le cinéma égyptien dans toute sa flamboyance ». Dans son film, les artistes jouent avec leur vie s’ils refusent de se plier à la volonté politique, tiraillés entre des responsables aux stratégies contradictoires. L’idée du film lui est venue après avoir vu une série télévisée largement hagiographique sur le général Sissi — une image idéalisée qui l’a amusé et inquiété à la fois.
Ce tableau cru mais réjouissant se double d’une déclaration d’amour au septième art. Saleh décrit une industrie qu’il chérit malgré sa violence : « Ce n’était pas tellement plus dur que Hollywood autrefois. Les acteurs sous contrat étaient aussi asservis par les studios qui les contrôlaient. Bien qu’ils n’aient pas risqué leur vie de façon aussi évidente, certains y ont laissé leur peau. »
Presque sans compromis
Le cinéaste, dans la cinquantaine, se flatte de se refuser aux compromis… du moins presque. « Le Tarik réalisateur se dispute avec le Tarik scénariste dans un combat schizophrène et l’auteur obéit parfois au cinéaste », confie-t-il avec humour. « Le problème, c’est que quand on commence à faire des compromis, on ne sait pas où s’arrêter. »
Cette pente fatale saisit le héros et alimente des scènes à la fois savoureuses et glaçantes, parmi lesquelles une séquence de discours aussi drôle qu’angoissante qui restera en mémoire. Fares Fares parvient à insuffler suffisamment d’humanité à George Fahmy pour susciter l’empathie du public.
Pour Tarik Saleh, l’arrivée du général Sissi au pouvoir a révélé l’intérêt des autorités pour le cinéma et la télévision comme instruments de contrôle : « Quand le général Sissi est arrivé au pouvoir, il s’est dit que le cinéma et la télévision constituaient de merveilleux moyens pour contrôler la population. » Malgré ce constat, il se montre optimiste : « J’ai confiance en la jeunesse qui va finir par en avoir marre de ces vieux types qui s’accrochent au pouvoir. Je crois aussi que l’avenir du cinéma est en Europe où les artistes sont plus libres de s’exprimer. »
Pour en savoir plus sur le réalisateur : Tarik Saleh. Pour rappel d’un précédent film lié au Caire : Le Caire confidentiel.
