
Si l’expérience de cette espèce auto-consciente, l’homme, devait finalement mener l’humanité à son extinction, il serait peut-être utile de laisser une trace — un avertissement pour toute vie future consciente qui émergerait sur Terre. Ou un gigantesque panneau planétaire destiné aux extraterrestres indiquant : « Attention : zone dangereuse et toxique » ? Pourquoi pas un extrait de Mozart, une sculpture de Michel-Ange, ou au moins une photo de Keanu Reeves ?
Gardons les pieds sur terre : il n’est pas absurde de penser que les humains finiront par disparaître. Comme le rappelle l’histoire des extinctions massives, la Terre a connu cinq événements majeurs de disparition d’espèces depuis 440 millions d’années, allant de l’extinction ordovicien-silurienne dévastant la vie marine, à la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années, qui a ouvert la voie à l’essor des mammifères. L’extinction est un processus naturel dans l’évolution de la planète, mais elle se complique désormais de menaces causées par l’homme, telles que le changement climatique, les risques nucléaires ou encore le retour à un tribalism excessif.
Dans ce contexte, l’idée de créer une sorte d’enregistreur — une « boîte noire » — pour consigner notre trajectoire vers l’effondrement paraît sensée. Déjà en 1977, le disque d’or à bord des sondes Voyager, comme le rappelle la NASA, partait à la découverte de l’espace, offrant un aperçu de l’humanité sous forme d’images, de sons, de musiques et de salutations multilingues. Un message clair aux civilisations extraterrestres : nous avons existé.
Sur Terre, c’est en Tasmanie que l’on a choisi d’installer cette gigantesque « boîte noire » en acier alimentée par panneaux solaires, conçue pour documenter notre déclin.
Un enregistrement permanent et détaillé de la chute de l’humanité

Le site officiel du projet « Earth’s Black Box » délivre un message sans détour qu’il convient de citer :
« À moins que nous ne transformions radicalement notre mode de vie, le changement climatique et d’autres périls d’origine humaine mèneront notre civilisation à sa chute. Earth’s Black Box enregistrera chaque étape de ce chemin vers la catastrophe. Des centaines de jeux de données, mesures et interactions portant sur la santé de notre planète seront collectés en continu et conservés en toute sécurité pour les générations futures. Cet appareil vise à fournir un récit impartial des événements menant à la disparition de la planète, à assurer la responsabilité pour les générations à venir et à inspirer des actions urgentes. La fin de l’histoire dépend entièrement de nous. Une chose est sûre, vos actions, inactions et interactions sont désormais enregistrées. »
En descendant la page, on trouve en temps réel des données collectées autour du globe, portant sur les températures océaniques et terrestres, le dioxyde de carbone atmosphérique, les modifications dans l’usage des sols, la consommation énergétique, la croissance démographique et bien plus encore.
Cette structure en acier de 10 mètres de long, dotée de batteries de secours, est conçue pour stocker un demi-siècle d’informations. À l’image du disque d’or de la NASA, seule une civilisation assez avancée, humaine ou non, pourrait décoder ces données. Celle-ci pourrait alors constater que nos habitudes ont été aussi désastreuses que l’absence de sagesse qui les a accompagnées, et peut-être tirer des enseignements pour éviter les mêmes erreurs.
Œuvre d’art ou avertissement crucial ?

Earth’s Black Box est un projet collaboratif et à but non lucratif porté par l’Université de Tasmanie, la société de communication Clemenger BBDO et le collectif artistique Glue Society. Plusieurs sites ont été étudiés, comme Malte, le Qatar ou la Norvège — pays abritant la célèbre « voute mondiale des semences » de Svalbard — avant que la Tasmanie ne soit choisie, notamment pour sa stabilité géopolitique et géologique.
La construction de la boîte noire devait débuter en 2022, mais elle a commencé à enregistrer des données dès la conférence COP26 de 2021 à Glasgow. Quant aux décisions concrètes issues de cette conférence pour freiner le réchauffement climatique, leurs limites renforcent l’utilité de ce dispositif pour consigner l’échec de nos engagements.
Certains critiquent le projet comme une simple installation artistique sans réel impact pour inciter à l’action, à l’image de l’horloge du climat qui compte à rebours le temps restant pour atteindre la neutralité carbone. Pourtant, la boîte noire, avec sa coque en acier de 7,6 cm d’épaisseur, « indestructible », et son contenu numérique conséquent, pourrait représenter moins un activisme qu’un constat d’échec accepté. La poser sur les plaines tasmaniennes ne changera peut-être rien, mais ignorer sa présence serait tout aussi vain — tout comme le déni du changement climatique.
