Les Leçons Tragiques de la Catastrophe de Challenger

par Zoé
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Les Leçons Tragiques de la Catastrophe de Challenger
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Lancement de la navette Challenger

Le 28 janvier 1986 au matin, la navette spatiale Challenger s’élançait depuis le Centre spatial Kennedy en Floride. À cette époque, le programme navette était à son apogée et la mission semblait bien partie. Pourtant, seulement 73 secondes après le décollage, l’engin fut enveloppé dans une boule de feu avant de se disloquer, ses débris retombant sur Terre.

Les sept astronautes à bord — Dick Scobee, Ellison Onizuka, Judith Resnik, Mike Smith, Greg Jarvis, Ron McNair et Christa McAuliffe — périrent dans cet accident dramatique. Le décès de Christa McAuliffe, première enseignante sélectionnée pour voyager dans l’espace, provoqua une émotion particulière. Sa mort fut suivie en direct par sa famille, ses élèves et des enfants à travers tout le pays, soulignant l’impact profond de cette tragédie.

Au-delà du choc initial, cette catastrophe révèle des dimensions scientifiques et humaines complexes, souvent méconnues. L’histoire du Challenger rappelle combien la conquête spatiale allie prouesse technologique et risques considérables, et invite à une réflexion approfondie sur les leçons tirées de ce drame.

NASA connaissait bien à l’avance les problèmes liés aux joints toriques

Fumée du propulseur de la navette Challenger

Le Challenger a été détruit à cause d’un joint torique défectueux sur l’un de ses propulseurs, laissant échapper des gaz brûlants. Ces joints en caoutchouc, un principal et un secondaire entre chaque segment du propulseur, n’étaient pas censés être brûlés par ces gaz lors du décollage, et pourtant c’est exactement ce qui s’est produit durant la phase de tests.

De manière consternante, selon le rapport de la commission Rogers, dès que l’on a découvert que ces joints toriques pouvaient être endommagés, les ingénieurs de la NASA et de Morton Thiokol, la société chargée de concevoir et construire les propulseurs, ont considéré la situation comme indésirable mais néanmoins acceptable.

Un autre test en 1977 a mis en lumière un problème inquiétant : l’allumage du moteur pouvait provoquer la déformation vers l’extérieur de la coque en acier du propulseur, ce qui diminuait la pression exercée sur les joints toriques. Or, l’effet attendu était l’inverse : une déformation vers l’intérieur qui aurait permis aux joints d’assurer une meilleure étanchéité.

Face à ces anomalies, les ingénieurs ont commencé à tirer la sonnette d’alarme. En octobre 1977, l’un d’eux qualifia le design actuel d’ »inacceptable », tandis qu’en janvier 1978, un autre affirmait qu’une refonte était nécessaire pour « éviter les fuites de gaz chaud et la défaillance catastrophique qui en résulterait. » Cependant, aucune modification n’a été apportée.

La NASA disposait de preuves tangibles après la deuxième mission de sa navette, lorsque Columbia vola en novembre 1981. À la récupération et à l’examen du propulseur droit, on constata que l’un des joints principaux avait été fortement érodé. Cette information, cependant, ne donna lieu à aucune mesure corrective. Plusieurs autres missions au cours des années 1980 ont révélé des dommages similaires sur les joints toriques, mais le design n’a jamais été revu.

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Glace sur la rampe de lancement du Challenger

En 1985, les ingénieurs de Morton Thiokol émettaient déjà une inquiétude majeure concernant les joints toriques, essentiels au bon fonctionnement de la navette. Ils avaient découvert que ces joints perdaient leur élasticité par temps froid, un problème de taille sachant que la NASA prévoyait des lancements hivernaux pour la flotte des navettes spatiales.

L’ingénieur Bob Ebeling tenta d’alerter ses collègues en rédigeant dès octobre 1985 un mémo intitulé « Aide ! ». Son objectif était d’attirer l’attention sur ce risque, mais ses appels ne furent pas suivis d’effet.

Le 27 janvier 1986, la NASA contacta Morton Thiokol pour savoir ce qu’ils pensaient d’un lancement prévu par une température de 18 degrés Fahrenheit (soit environ -7 degrés Celsius). Les ingénieurs furent consternés, car la limite basse de sécurité des joints toriques était officiellement de 40 degrés Fahrenheit (environ 4 degrés Celsius). Lors d’une réunion d’équipe, ils s’accordèrent unanimement à dire qu’un lancement dans de telles conditions serait fatal pour l’équipage.

Lors d’une téléconférence avec la NASA, ils exposèrent leurs craintes et recommandèrent que le Challenger ne décolle pas si la température était inférieure à 53 degrés Fahrenheit (environ 12 degrés Celsius). Cependant, un responsable de la NASA se déclara profondément « choqué » à l’idée de devoir retarder le lancement aussi longtemps.

Cette nuit-là, la météo claire et froide fit apparaître de la glace sur l’ensemble de la rampe de lancement. Malgré cela, la décision fut prise de procéder au décollage. Selon le Rapport de la Commission Rogers, l’équipage fut informé de la présence de glace lors du briefing météo, mais ne fut jamais averti des conséquences potentielles du froid sur l’intégrité des joints toriques. Ainsi, la mission fut validée malgré les avertissements scientifiques sévères.

Selon le rapport de la Commission Rogers, le lancement de la navette Challenger a été annulé à plusieurs reprises pour diverses raisons. Si l’un de ces retards n’avait pas eu lieu, le décollage aurait probablement eu lieu dans des conditions climatiques plus favorables. Initialement prévu le 22 janvier, le lancement a été repoussé au 23 en raison de répercussions sur le calendrier causées par le report d’une autre mission, STS-61-C. Puis, le comité chargé des modifications du programme a décalé le départ au 25 janvier, suivi d’un nouveau report au 26, toujours en lien avec le retard de STS-61-C.

La veille du lancement, un dernier report fut décidé en raison d’une prévision météorologique annonçant vent et pluie, qui se révéla par la suite incorrecte. Gene Thomas, directeur du lancement de la mission Challenger, se souvient : « Nous avons décidé de ne pas lancer le dimanche, alors que ce jour-là était en réalité magnifique. Nous avons manqué une occasion de décoller. »

Le matin du 27 janvier, alors que l’équipage était déjà sanglé et prêt au départ, un nouveau problème surgit : une vis restait bloquée au niveau de la portière de la navette. Un outil électrique fut apporté, mais la batterie était déchargée. Selon le site dédié à l’actualité spatiale NASA Space Flight, neuf autres batteries furent acheminées jusqu’à la rampe de lancement, mais, pour une raison inconnue, toutes étaient déchargées. Le décollage fut alors une fois de plus repoussé, jusqu’au matin glacial du 28 janvier.

Space Shuttle Challenger

Un bref éclat d’espoir illusoire

Explosion du Challenger

Le 28 janvier, à 11h39, la navette Challenger s’est élancée depuis le Kennedy Space Center pour un vol qui allait rapidement tourner au désastre. Les images d’archives révèlent qu’une fumée noire s’est échappée de l’un des joints toriques du propulseur à poudre droit à peine une seconde après le décollage.

En 40 secondes, la navette franchit le mur du son. Puis, à environ 59 secondes, une flamme commence à s’échapper du propulseur droit. L’équipage n’était vraisemblablement pas au courant de cette anomalie, comme en témoignent leurs exclamations de joie à 60 secondes, seulement un quart de seconde avant que la flamme n’entre en contact avec le réservoir externe de carburant.

Selon les analyses approfondies, même si les astronautes avaient perçu le danger, aucune action n’aurait pu éviter la catastrophe imminente.

Juste avant la 73e seconde, la dernière phrase prononcée par Mike Smith fut un simple « Uh-oh ». Immédiatement, le réservoir externe s’est embrasé en une boule de feu colossale, déchirant la navette. Quelques secondes plus tard, un objet a été aperçu descendant lentement en parachute.

Dans la confusion et le choc qui suivent, plusieurs chaînes de télévision ont focalisé leur attention sur cet objet. Il s’agissait en réalité seulement du capuchon nasal d’un des propulseurs à poudre.

Équipage du Challenger

Il est important de comprendre que les membres de l’équipage du Challenger n’auraient jamais pu s’échapper du module en cas d’urgence. L’attention portée à la chute du nez du module avec son parachute est en réalité secondaire, car aucune voie d’évacuation n’était envisageable pour l’équipage durant le vol.

Selon le rapport de la Commission Rogers, les premiers vols d’essai de la navette Columbia avaient été équipés de sièges éjectables comparables à ceux d’un SR-71 Blackbird, mais seulement pour un équipage réduit à deux personnes. Ce dispositif n’a jamais été prévu pour les missions opérationnelles, dans l’hypothèse qu’un contrôle rigoureux des risques excluait le besoin d’un système d’éjection.

Dès 1971, lors de la phase de conception, la NASA avait toutefois étudié diverses options pour une évacuation intégrale de l’équipage. Les possibilités envisagées incluaient :

  • des sièges éjectables classiques,
  • des sièges encapsulés,
  • et même un compartiment d’équipage détachable en entier.

Le principal frein à l’intégration de ces systèmes résidait dans leur coût : 10 millions de dollars pour des sièges ouverts, 7 millions pour des sièges encapsulés, et un colossal ajout de 292 millions pour la capsule complète d’éjection.

Après la tragédie du Challenger, la nécessité d’un système d’évacuation fut à nouveau étudiée. Plusieurs conceptions furent envisagées, mais comme auparavant, elles furent rejetées en raison des difficultés techniques majeures impliquées dans leur mise en œuvre.

La récupération sombre

Récupération sous-marine après la catastrophe de Challenger

Selon le rapport de la commission Rogers, les opérations de récupération ont débuté moins d’une heure après la désintégration de la navette Challenger, mais il faudra attendre mars 1986 pour que l’on localise l’équipage. Au large des côtes de Floride, deux plongeurs découvrent la cabine des astronautes reposant au fond de l’océan, à environ 30 mètres de profondeur. Ce débris complexe, fait de métal tordu et de câbles, ne leur révèle sa nature qu’à la vue d’une combinaison spatiale flottante. Manquant d’air, ils signalent rapidement l’emplacement avant de remonter à la surface.

Le lendemain, un navire spécialisé arrive pour entamer la récupération des astronautes disparus. Comme le rapporte NBC News, la tâche se révèle particulièrement difficile. L’état des corps, affecté par le crash et le temps passé sous l’eau, impose parfois de procéder à des récupérations fragmentaires. Judy Resnik est retrouvée en premier, suivie de Christa McAuliffe. Face à la nature irrégulière et brisée de la cabine, les équipes décident de la remonter intégralement de l’océan pour poursuivre les recherches.

Alors que la cabine est hissée par une grue, une silhouette bleue surgit à la surface : il s’agit du corps de Gregory Jarvis, vêtu de sa combinaison de saut, qui s’était détaché lors de la manœuvre. Devant les yeux consternés de l’équipage, il replonge dans les profondeurs. Une recherche intensive est immédiatement lancée, mobilisant même l’astronaute Robert Crippen qui engage un bateau privé pour participer aux opérations. Pourtant, Jarvis ne sera retrouvé que cinq semaines plus tard, à deux cents mètres du site initial.

Roger Boisjoly, ingénieur du Challenger

Les ingénieurs qui tentèrent d’empêcher le lancement du Challenger se sont portés responsables de la tragédie. Lorsque l’ingénieur Morton Thiokol Roger Boisjoly échoua à convaincre la NASA d’annuler le décollage prévu le 28 janvier, il rentra chez lui profondément inquiet. À la question de sa femme sur son état d’esprit, il répondit avec une ironie amère : « Oh rien, chérie, c’était une bonne journée, nous avons juste eu une réunion pour envisager de lancer demain une mission qui tuerait les astronautes, mais à part ça, tout allait bien. »

Selon les rapports de NASA Space Flight, redoutant le pire, Boisjoly n’avait initialement pas l’intention de suivre le lancement à la télévision. Ce fut cependant son collègue Bob Ebeling qui le persuada de regarder. Lorsque la navette sembla décoller normalement, un souffle de soulagement envahit les ingénieurs, vite balayé par l’apparition d’une boule de feu dans le ciel. Tous les témoins comprirent immédiatement l’ampleur de la catastrophe.

Malgré ses alertes et mises en garde, Boisjoly se sentit profondément responsable de la mort des sept astronautes, un sentiment partagé par Ebeling. Dans les mois qui suivirent, le corps autrefois robuste de Boisjoly s’affaiblit visiblement, marqué par de sévères maux de tête, l’insomnie et une dépression troublante. Il témoigna devant la Commission Rogers et porta plainte contre la NASA ainsi que Morton Thiokol, sans toutefois obtenir gain de cause.

En raison de ses prises de position, Boisjoly fut malheureusement ostracisé par certains de ses pairs, ce qui accentua son désespoir. Toutefois, comme le relate sa femme à NPR, il trouva peu à peu une forme de réconfort en s’engageant à parler dans des écoles d’ingénieurs, partageant son expérience de la catastrophe du Challenger. Il poursuivit cette démarche jusqu’à son décès en janvier 2012.

Cabine du Challenger durant la désintégration

Selon un rapport d’un scientifique de la NASA, Joseph P. Kerwin, lorsque la navette Challenger s’est désintégrée, son équipage, protégé par la cabine, n’a probablement pas été tué ni sérieusement blessé immédiatement. Cela soulève une question poignante : les astronautes auraient-ils été conscients durant leur chute vers la Terre ? La réponse demeure incertaine.

Après la rupture de la navette, la cabine, construite pour résister, est devenue en chute libre. Le point crucial est de savoir à quelle vitesse celle-ci s’est dépressurisée. Si cette dépressurisation a été immédiate, l’équipage aurait rapidement perdu conscience, ignorant leur chute après quelques secondes seulement. Une fois à fond de l’océan, la cabine était méconnaissable, conséquence de l’impact violent. En raison des dégâts subis, il était impossible de déterminer s’il y avait eu une brèche avant le choc final.

Un élément glaçant suggère le sort des astronautes : parmi les quatre packs d’air personnels récupérés, trois avaient été activés avant l’impact. Toutefois, Kerwin a précisé que ces dispositifs pourraient avoir été déclenchés instinctivement lorsque la cabine s’est dépressurisée lors de la désintégration, sans pour autant prolonger la conscience des occupants, puisqu’ils fournissaient un air normal, sans oxygène enrichi.

Pour renforcer ce constat, Robert Overmeyer, ancien commandant de navette ayant participé à la récupération de la cabine, affirme sur NBC News que les astronautes du Challenger étaient vraisemblablement conscients durant leur chute. Quoi qu’il en soit, aucune chance de survie n’existait lorsque la cabine a percuté la surface de l’océan à une vitesse de 333 km/h (207 miles par heure).

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