La Tragédie de ‘Death Avenue’
En 1906, les puissants bureaucrates de l’Upper East Side et de Lower Manhattan débattaient des mérites économiques d’un projet d’infrastructure au sein de l’État. Le sénateur Henry Saxe argua que le train de la 10e et 11e Avenue, surnommé « Le Boucher », était fidèle à son nom. Il exhorta ses collègues à agir, car cette question de vie ou de mort ne pouvait plus être différée. Selon Joseph Varga de l’Université de l’Indiana, presque 200 résidents de la West Side — principalement des enfants — avaient déjà perdu la vie à cause de ce train à vapeur qui traversait un quartier populaire et densément peuplé.
Un rapport de 1908 du Bureau de recherche municipale indiquait que 436 personnes avaient été tuées par ces trains depuis 1852. Pendant ce temps, les sénateurs hésitaient, évoquant le coût économique de la déviation du train et la valeur de son parcours pour l’industrie. Au cœur de ce débat, une tragédie survint : un garçon fut tué, son corps ayant été horriblement mutilé sur les voies de la 10e Avenue.
Ces tragédies, survenues pendant des décennies, avaient conféré le nom de « Death Avenue » à la 10e et 11e Avenue, à cause des centaines de morts survenues depuis la construction de la locomotive de pleine taille en 1846. Les trains, transportant des marchandises d’Albany vers le centre-ville, traversaient des quartiers d’immeubles souvent négligés. Le débat n’était pas sur le danger que représentait le train ; tout le monde était d’accord là-dessus. La vraie question était de savoir si la vie des plus démunis valait autant que le confort économique des riches commerçants.
Jusqu’en 1906, la réponse avait été non. Mais la mort de ce garçon, bien que tragique, força les sénateurs à réagir. Ils votèrent en faveur de la loi proposée par Henry Saxe, qui obligeait la ville à élaborer un nouveau plan d’ici 1908 ou à exproprier les voies du Central Hudson Railway Company. Il était désormais urgent d’agir.
Le train ne disparut pas et devint un symbole d’un conflit politique acerbe entre les intérêts commerciaux et les droits des populations. Ce combat exposait les tensions entre l’industrie capitaliste et une classe ouvrière de plus en plus défavorisée, des luttes pour la réforme progressiste au début du XXe siècle.
La révolution industrielle, loin d’être une ère d’opulence, entraînait pour beaucoup des ciels enfumés et des journées épuisantes dans des usines. L’urbanisation des décennies suivant la guerre civile engendra un afflux de travailleurs dans les villes, laissant les infrastructures largement inadaptées pour répondre à cette croissance.
Le train de Death Avenue, construit en 1846 pour transporter des marchandises, traversait la 10e et 11e Avenue, sans aucune barrière de protection. Chaque jour, de nombreuses personnes traversaient ces voies pour rejoindre leurs maisons, leurs écoles et leurs lieux de travail.
Dès ses débuts, le train suscita des problèmes. En 1866, un sénateur de l’État de New York qualifiait le train de « fléau » ayant trop duré. En 1892, le New York World le décrivait comme « un monstre menaçant les gens jour et nuit ». En réponse à cette inquiétude, la ville imposa l’obligation d’un « Cowboy de la West Side », un homme à cheval vêtu de manière voyante pour prévenir les piétons de l’approche du train. Ces cowboys, souvent considérés comme des héros, étaient en réalité souvent moqués par les enfants et peu efficaces pour réduire les accidents.
En 1907, la lutte pour Death Avenue atteignit son paroxysme. Le 25 septembre 1908, Seth Low Hascamp, un garçon de 7 ans jouant dans la rue, fut tué par le train. Cet incident raviva les tensions entre les autorités et les résidents. Même le coroner fit preuve d’un parti pris, désignant l’enfant comme responsable de sa mort tragique. Cela provoqua l’indignation des habitants de West Side. Le 24 octobre 1908, plus de 500 amis et camarades de classe de Seth organisèrent une marche de protestation.
Malgré la persistance du train, les gouvernements locaux travaillaient lentement sur une solution. La bataille entre partisans et opposants au train continua sur plusieurs fronts. Finalement, en 1929, un accord fut atteint et le High Line remplaça le train de la 11e Avenue, redirigé à travers des entrepôts au lieu des rues animées. Le dernier train circula sur ces voies en 1941, et seule une plaque commémorative au coin de la 10e Avenue et de la 29e Rue rappelle désormais cette sombre période.