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La mythologie de Déméter
Les anciens Grecs avaient de solides raisons de maintenir de bonnes relations avec leurs dieux. Par exemple, si l’on offensait Artemis, on risquait de se retrouver transformé en cerf et déchiré par ses propres chiens fidèles. Les rituels et les offrandes étaient donc essentiels pour éviter de telles mésaventures.
Déméter, ancêtre des dieux de l’Olympe, était la sœur de Zeus, Héra, Hadès, Poséidon et Hestia. Cette déesse, profondément vénérée, était souvent perçue comme un atout précieux pour l’humanité, car sa colère pouvait provoquer une famine dévastatrice. Déméter était la déesse de l’agriculture, spécifiquement liée aux récoltes de grains et, par conséquent, à la production de pain.
Elle a offert aux humains la capacité de cultiver la terre, de produire, et ainsi, de bâtir des civilisations. Son messager, Triptolemos, un prince devenu demi-dieu, gagna sa faveur lorsqu’il lui offrit un abri pendant sa quête pour retrouver sa fille disparue. En récompense, Déméter lui confia un char tiré par des serpents, qu’il utilisa pour propager la connaissance de l’agriculture.
Lorsque Lynkos, roi des Scythes, tenta de le tuer, Déméter transforma Lynkos en lynx, prouvant ainsi que cette déesse exigeait le respect et la révérence qu’elle méritait.
Les débuts difficiles de Déméter
Déméter, dont le nom signifie « donneuse d’orge », fait partie de la première génération des Olympiens. Fille des Titans Rhéa, déesse de la maternité et du temps, et Cronos, dieu du temps, Déméter a eu un début de vie tumultueux. Peu après sa naissance, elle a été dévorée par son père, averti d’une prophétie selon laquelle l’un de ses enfants prendrait sa place au sommet du panthéon. C’est Zeus, caché par Rhéa jusqu’à ce qu’il soit en âge de réclamer son héritage, qui finit par le détrôner, aidé par Métis et un sortilège qui força Cronos à recracher ses enfants, avant de l’exiler profondément sous terre.
Après que ses frères et sœurs eurent été libérés, Zeus a épousé sa sœur Héra. Cependant, il a également trouvé le temps de concevoir une fille avec Déméter, en la personne de Perséphone, dont l’histoire est riche et complexe.
Perséphone est la plus célèbre des enfants de Déméter, mais elle n’est pas la seule. D’autres divinités agricoles, comme Ploutos et Eubouleus, ainsi qu’un cheval immortel nommé Areion, complètent la fratrie. Le Mont Olympe était un lieu étonnant, peuplé de récits et de personnages fascinants.
La histoire d’une mère et de sa fille
Déméter se distingue parmi les divinités grecques par son rôle relativement discret dans la mythologie. Elle n’apparaît pas dans des récits célèbres comme « L’Odyssée » et n’est pas présente dans les drames grecs qui nous sont parvenus. Cependant, elle est au centre d’une histoire primordiale liée à sa fille, Perséphone.
Selon Chris Mackle, professeur de classique à l’Université de La Trobe, cette histoire est narrée dans un hymne homérique du VIe siècle avant J.-C. Tout commence lorsque Hadès, dieu des enfers, aperçoit la fille adorée de Déméter en train de cueillir des fleurs. En tant que dieu grec, il ne peut que kidnapper la fille de sa sœur pour l’emmener dans son royaume.
Déméter, dévastée, abandonne ses responsabilités envers les humains et se lance à la recherche de sa fille. Pendant neuf jours, elle erre, interrogeant les autres dieux pour obtenir des nouvelles. Peu à peu, les cultures commencent à mourir, la famine s’installe, et elle déclare qu’elle ne permettra pas à la terre de porter ses fruits tant que Perséphone ne sera pas revenue. Selon l’hymne, elle finit par découvrir la vérité grâce à Hélios (le Soleil) et sombre dans une profonde dépression. Se déguisant en mortelle, elle voyage de ville en ville, maudissant ou récompensant ceux qu’elle croise.
Zeus, le roi des dieux, finit par intervenir, mais Perséphone a déjà fait un choix qui va bouleverser sa vie : elle a mangé une graine de grenade. Ce geste insignifiant mais déterminant donne à Hadès le pouvoir de l’obliger à passer un tiers de l’année avec lui, tandis qu’elle demeure deux tiers de l’année avec sa mère.
L’histoire de Déméter et de sa fille a des conséquences profondes
Le séjour de Perséphone dans le royaume des morts et son retour annuel auprès de sa mère façonnent le monde tel que les Grecs anciens le connaissaient, explique Chris Mackle, professeur de classiques à l’Université de La Trobe. Cela se manifeste dans le cycle des saisons : lorsque Perséphone quitte sa mère pour l’enfer, Déméter sombre dans le chagrin. La terre devient stérile et froide, les plantes se fanent et meurent, entraînant la fin du cycle de la vie.
Cependant, Perséphone incarne également l’espoir. Souvent représentée dans l’art comme une jeune fille tenant une torche et des épis de blé, elle symbolise le renouveau. Son retour à Déméter et sur la terre apporte la vie, coïncidant avec l’arrivée du printemps. L’hiver se manifeste lorsque Perséphone endosse son rôle de reine des enfers, mais en tant que déesse du printemps, elle et sa mère insufflent la vitalité au monde.
La présence de Perséphone dans le monde souterrain contribue également à en atténuer la peur. Cela donne aux gens le sentiment de faire partie d’un cycle, où l’un des éléments centraux demeure l’amour puissant d’une mère pour sa fille.
La quête de Déméter pour Perséphone
Les récits entourant Déméter se distinguent par une trame centrale : sa recherche désespérée de sa fille, Perséphone. Contrairement à d’autres divinités qui se plaisent souvent à perturber les vies des mortels, les histoires de Déméter se déroulent principalement durant cette période cruciale de son errance à travers les terres en quête de son enfant. Au cours de ses voyages, elle croisa de nombreuses personnes, et l’accueil qui lui fut réservé détermina souvent leur destin.
Cette quête ne se solda pas uniquement par une grande famine, touchant l’humanité tout entière. Déméter fit également preuve d’une sévérité particulière envers ceux qui lui avaient fait offense. Par exemple, Askalabos, qui rencontra la déesse affamée pendant qu’elle s’arrêtait pour se restaurer, eut le malheur de se moquer de son appétit vorace ; en punition, il fut transformé en gecko. De même, les Sérenes, bien que servantes de Perséphone, refusèrent d’aider Déméter dans sa recherche et furent métamorphosées en monstres comme conséquence de leur désobéissance.
Cependant, Déméter ne manquait pas d’être reconnaissante envers ceux qui l’accueillaient chaleureusement ou lui offraient leur assistance. Pour sa bienveillance, elle gratifia Phytalos en lui offrant le premier figuier. Au roi élusinien Kéléos, elle accorda les savoirs liés à l’agriculture. Trisaules et Damithales, qui lui firent refuge, furent bénis avec la culture d’une plante appelée « pulse ». Quant au prince Triptolemos, il fut élevé au rang de divinité de la semence et de la mouture.
Les symboles sacrés étranges de Déméter
Déméter, la déesse des moissons, avait des symboles sacrés plutôt singuliers. Son char n’était pas tiré par des chevaux ordinaires, mais plutôt par un ensemble de serpents ailés, appelés Drakones, qui servaient non seulement à tirer son véhicule, mais également de gardes personnels. Ces serpents, considérés comme l’un de ses animaux sacrés, symbolisaient la fertilité et la renaissance.
Tout comme la plupart des dieux grecs, Déméter possédait des attributs distinctifs. Dans l’art ancien, elle était souvent identifiable par les torches qu’elle tenait, en lien avec sa quête désespérée pour retrouver sa fille, Perséphone. Parfois, elle était représentée avec une épée ou une faucille, celle-ci n’étant pas une faucille ordinaire, remontant au commencement du monde marqué par Ouranos, le ciel, et Gaia, la Terre.
Lorsque Ouranos décida d’enfermer leurs aînés dans le sein de la Terre, Gaia encouragea ses fils Titans à se révolter. Ce révolte aboutit à l’acte tragique de Cronos qui, muni d’une faucille, castra son propre père. En retour, Ouranos maudit son fils en prédisant qu’il serait détrôné par sa propre progéniture, prophétie qui s’est réalisée. Tandis que cela se déroulait, Déméter découvrait la faucille, qu’elle utilisa pour récolter la première moisson de blé jamais cultivée.
Déméter et la création de la menthe
Déméter, déesse de l’agriculture, était dévastée lorsque Hadès a enlevé sa fille Perséphone. Bien qu’elle ait pu rechercher une aide pour récupérer sa fille des ténèbres de l’enfer, la dynamique entre les dieux grecs ne suit pas la maxime de « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Les relations, souvent tumultueuses, prennent des tournures inattendues.
Hadès avait eu plusieurs amantes avant Perséphone, et l’une d’elles était la nymphe Menthe. Selon le écrivain grec Oppian, Menthe, blessée par son remplacement, se lamentait de sa condition. Elle affirmait qu’elle était « bien plus noble de forme et plus excellente en beauté », manifestant ainsi son désir de renvoyer Perséphone et de reprendre ce qu’elle considérait comme son dû.
Bien que Déméter souhaite ardemment retrouver sa fille, elle ne toléra pas le mépris de Menthe. Deux versions font état de la suite des événements. Selon la première, Déméter aurait transformé la nymphe en poussière, et Hadès aurait fait croître la plante de menthe à partir des restes de Menthe. L’autre version suggère que Déméter a directement transformé Menthe en menthe. Il est intéressant de noter que les feuilles de cet aromate, aux propriétés odorantes, étaient vraisemblablement utilisées lors des funérailles antiques pour dissimuler l’odeur des corps.»
Déméter, son amour mortel et les constellations
Les Athéniens avaient plusieurs calendriers, le parapegma étant utilisé pour indiquer les périodes de plantation et de récolte, basé sur les cycles de la lune, du soleil et des constellations. Il n’est donc pas surprenant que Déméter soit associée à plusieurs constellations majeures.
La constellation de la Vierge réapparaît dans le ciel fin avril, symbolisant le retour de Perséphone avec l’arrivée du printemps. Elle commence ensuite à s’effacer à l’horizon fin août ou début septembre, annonçant le retour de Perséphone aux Enfers et la lente agonie de l’été.
Les Gémeaux sont également liés à Déméter. Selon le Pseudo-Hygin, ces deux figures sont des amants de la déesse. L’un d’eux est Triptolemos, le prince portant les grains d’Éleusis, et l’autre Iasion, l’amant printanier de Déméter. Parfois mortel et parfois fils de Zeus, Iasion et Déméter s’éprennent l’un de l’autre, mais lorsque Zeus le frappa d’un éclair pour son insolence, Déméter le transforma en constellations.
La constellation de Bouvier est souvent considérée comme représentant Philomélus, le fils d’Iasion et de Déméter, et l’inventeur de la charrue. Devenir une constellation n’est pas toujours un honneur, cependant. Ophiuchus est dit être un roi des Gètes qui tua l’un des serpents tirant le char de Triptolemos. En punition, Déméter le condamna à vivre dans les étoiles, où il tient éternellement un serpent.
Déméter, la Déesse Législatrice
Divers pays de l’Antiquité attribuaient à Déméter plusieurs titres distincts. Elle était souvent désignée comme la « Porteuse de Gerbes », en référence à sa prérogative de donner le blé, mais également connue sous les appellations de « Celui du Sillon », « Porteuse de Fruits » ou bien « La Jeune Pousse ». Dans des régions telles qu’Athènes, Phénéos et Mégare, elle était appelée Déméter Thesmophore, un terme qui se traduit par « Déméter, la Législatrice ». Ce titre souligne qu’en plus de fournir le don de l’agriculture à l’humanité, elle apportait aussi les lois nécessaires au bon fonctionnement de la société.
Au premier abord, cette combinaison peut sembler étrange, cependant, selon l’expert en religion grecque Allaire B. Stallsmith, dans son article « Le Nom de Déméter Thesmophore », cette association est tout à fait cohérente. Le terme « loi » recouvre plusieurs significations. En effet, Déméter a révélé les lois qui régissaient ses rites et rituels secrets, mais elle était également considérée comme la créatrice des lois naturelles qui régissent la croissance des plantes et le cycle de la vie.
De plus, des auteurs tels que Callicrate affirment qu’elle a également inspiré l’idée de lois civiles et d’ordonnances. Grâce à son don d’agriculture, les hommes ont pu s’établir dans des villes et des communautés. Afin de tirer pleinement parti de ces dons, il leur fallait apprendre à vivre en sociétés unies, à collaborer pour labourer les champs, semer les graines, récolter les produits et partager les fruits de leur travail. Déméter est ainsi reconnue pour avoir guidé l’humanité dans cette nouvelle ère de coopération et de progrès.
Le secret extrême des rituels de culte dédiés à Déméter
Déméter est l’une des déesses les plus célébrées et importantes du panthéon grec, mais un mystère entoure le culte qui lui était dédié. Selon l’Oxford Classical Dictionary, le cœur de sa vénération se situait dans la ville d’Éleusis, non loin d’Athènes. C’est là que se tenait un festival annuel, dont les événements publics sont bien documentés, mais les pratiques des rituels intérieurs demeurent totalement inconnues.
Malgré des milliers de participants au fil des ans, personne n’a jamais révélé ce qui se passait lors de ces rites secrets. Révéler ces informations était passible de peine de mort. Le historien romain Tite Live a même rapporté que les autorités appliquaient cette punition, faisant exécuter au moins deux étrangers qui avaient involontairement pénétré la cérémonie (d’après l’New York Times).
Kalliope Papangeli, chef archéologue à Éleusis, indique qu’à l’apogée des festivités, environ 3 000 personnes – femmes, hommes, esclaves, propriétaires terriens et enfants – étaient conviées comme initiés. Les seules conditions ? Ne pas être meurtrier et parler grec. L’énormité de ces participations rend d’autant plus impressionnant le fait qu’aucun participant n’ait jamais divulgué les secrets.
Il y avait également d’autres raisons qui allaient au-delà de la menace d’exécution. Ces rituels, en lien avec Déméter et Perséphone, offraient aux gens l’espoir que l’au-delà n’était pas aussi terrible qu’on le pensait, un sujet si cher à chacun que personne ne voulait risquer d’y toucher.
Les Mystères Éleusiniens
Les Mystères Éleusiniens sont des festivités empreintes de mystère consacrées à Déméter et à sa fille bien-aimée, Perséphone. Selon Kalliope Papangeli, archéologue en chef à Éleusis, le rite le plus sacré débutait par la participation des initiés à une boisson appelée kykeon. Contrairement à certaines croyances, qualifiant cette boisson de psychédélique, il semblerait qu’il s’agissait simplement d’un mélange de menthe, d’orge et d’eau, une boisson semblable à celle que la reine métaniera offrit à Déméter lors de sa quête.
Au cours de la procession dans le sanctuaire et en descendant dans les cavernes en dessous, les participants étaient témoins d’une reconstitution de l’enlèvement de Perséphone par son oncle, Hadès. À la fin de cette cérémonie, Perséphone revenait à la surface avec les initiés, tous se dirigeant ensuite vers un espace immense connu sous le nom de Telesterion.
C’est à cet endroit que le mystère commence réellement. Les devinettes concernant le rituel intérieur sont souvent liées à trois mots : dromena, deiknumena et legomena, qui se traduisent par « Choses faites, choses montrées, choses dites. » L’interprétation de ces termes reste vague. Un autre indice se trouve dans un texte gnostique ultérieur mentionnant « l’oreille de blé récoltée en silence », laissant place à l’interrogation. Bien qu’ambigu, cela évoque certainement les dons ultimes de Déméter : le blé, les grains, le pain, et la vie.
Une agression brutale et la naissance d’un autre culte mystérieux
La grande déesse des moissons n’était pas au cœur d’un seul grand culte mystique, mais de deux. Lors de sa quête pour retrouver sa fille et la ramener chez elle, Pausanias raconte que la désemparée Déméter attira le regard lubricieux de son autre frère, Poséidon. Pour échapper à ses avances, Déméter se transforma en jument et rejoignit un troupeau de chevaux en Arcadie. Poséidon ne se laissa pas décourager — il se changea en étalon et assouvit ses désirs.
Cette union donna naissance à deux enfants : le cheval immortel Aréion et une fille nommée Despoine. Despoine devint sacrée pour les Arcadiens, tout comme la grotte où Déméter se serait réfugiée après cette agression.
Un autre culte mystérieux se développa autour de Despoine (ou Despoena). Bien que les détails restent flous, ce que nous savons est pour le moins étrange. Seuls les initiés du culte — qui honorait également Déméter, Perséphone, et Artémis — connaissaient les détails, mais Pausanias relata que le sanctuaire comprenait une statue d’une femme à tête de cheval, ainsi qu’un miroir qui ne reflétait que les ombres de ceux qui l’observaient, tout en montrant clairement le reflet des dieux. De plus, il y avait des sacrifices — de nombreux sacrifices — et les victimes étaient tuées en leur coupant un membre.
La Fin du Culte de Déméter
Il est impossible de surestimer l’importance de Déméter, de son culte et des Mystères Éleusiniens. Les premiers rituels de ces mystères ont eu lieu vers 1600 avant J.-C., et pendant longtemps, la seule route réelle du monde grec était celle qui reliait Athènes à Éleusis, soit 14 miles, où Déméter s’était reposée près d’un puits en cherchant sa fille. C’est également là qu’elle, sous une apparence déguisée, prit soin du jeune prince de la ville. Lorsque sa mère découvrit la vieille femme baptisant son fils dans le feu, elle fut compréhensiblement bouleversée, mais quand Déméter se révéla, il fut convenu de lui construire un temple, et le prince grandirait pour devenir le demi-dieu Triptolemos, porteur de grain.
Cette route, connue sous le nom de Chemin Sacré, retraçait le trajet suivi par Déméter lors de sa quête.
Les participants aux Mystères Éleusiniens étaient censés être transformés à jamais : comme l’écrivait Platon, « à cause de ces promesses sacrées et fidèles données dans les mystères… nous tenons fermement pour une vérité indiscutable que notre âme est incorruptible et immortelle. »
Il n’est donc pas surprenant que le christianisme ait eu de sérieux problèmes avec Déméter. Les rituels prirent officiellement fin en 392, lorsque l’empereur Théodose décréta que l’ensemble de ces activités étaient une affront à Christ et à la seule véritable religion chrétienne. Le temple de Déméter fut abandonné et complètement détruit par le roi goth Alaric en 396.