
En général, certaines habitudes susceptibles de nuire à notre corps suscitent pourtant un attrait indéniable. Pourquoi sinon s’embêter ? Fumer, consommer de l’alcool, manger du bacon ou éviter l’exercice physique sont autant de plaisirs qui donnent l’illusion d’appartenir à une classe oisive. Mais ces pratiques pourraient sembler démodées face à un phénomène récent : le « mukbang ». Ce terme coréen combine « mukja » (mangeons) et « bang song » (diffusion). Il désigne l’acte de consommer des quantités phénoménales de nourriture en une seule fois, tout en interagissant avec une audience virtuelle captivée par cette démonstration de gourmandise excessive.
Originaire de Corée du Sud depuis environ une décennie, ce phénomène virtuel connaît encore un immense succès en Asie, et s’est étendu à l’échelle mondiale, notamment aux États-Unis où plusieurs mukbangers réunissent des millions d’abonnés sur leurs chaînes. Manger entre 4 000 et 10 000 calories en une heure semble une épreuve aussi stimulante que périlleuse, mais la vraie motivation des protagonistes n’est pas la seule quête de plaisir : le mukbang procure surtout une renommée lucrative. En effet, certains gagnent entre plusieurs centaines de milliers et plusieurs millions de dollars par an en partageant leurs festins devant la caméra.
Cependant, ce type de consommation à outrance pour divertir un public amateur de « food porn » n’est pas sans risques, tant pour les mukbangers eux-mêmes que pour la société dans son ensemble.

Il est facile d’imaginer comment regarder une personne sympathique avaler d’énormes quantités de mets savoureux tout en conservant une silhouette fine pourrait inciter les internautes à multiplier les festins de crustacés, pizzas ou poulets frits. Pourtant, les professionnels de santé mettent en garde. Selon la gastro-entérologue Samantha Nazareth, face à l’obésité qui demeure un problème majeur de santé publique, l’exposition à de tels vidéos peut avoir un effet délétère sur les spectateurs, en particulier aux États-Unis. Ce type d’exemple rappelle tristement le défi du « tide-pod » où des adolescents ingéraient volontairement des capsules de lessive, un produit manifestement toxique et insipide.
La docteure affirme ainsi à Men’s Health : « Dans un pays confronté à une croissance de l’obésité, ce message n’est ni approprié ni à reproduire à la maison ».
Le danger le plus évident se trouve toutefois du côté des mukbangers eux-mêmes. Beaucoup expliquent qu’ils parviennent à ingérer d’énormes quantités sans grossir en compensant ensuite par une alimentation très légère et saine. Mais cette stratégie est loin d’être sans risques. Le chirurgien Andrew Bates, professeur adjoint à la Renaissance School of Medicine, souligne à Men’s Health que cette alternance extrême soumet le corps à une véritable montagne russe métabolique. « Le corps ne sait plus s’il est en mode festin ou famine », précise-t-il.
Par ailleurs, les effets à long terme de cette pratique n’ont pas encore été suffisamment étudiés. Dr. Bates insiste : « Nous manquons des observations sur plusieurs années nécessaires pour évaluer les conséquences véritablement durables ».
