En 2025, les États-Unis ont procédé à l’expulsion de Kilmar Abrego-Garcia, un Salvadorien de 29 ans, soulevant des questions sur la dynamique du pouvoir entre les branches exécutive et judiciaire américaines. Entré illégalement sur le sol américain en 2012, il avait admis cette intrusion selon un rapport du département de police du comté de Prince George’s. Malgré une ordonnance du juge de district Paula Xinis ordonnant son retour aux États-Unis, l’administration Trump a ignoré cette décision. Les avocats d’Abrego-Garcia réclament désormais que l’administration soit déclarée en outrage au tribunal, et le sénateur du Maryland Chris Van Hollen est même allé lui rendre visite.
Cette situation illustre un conflit récurrent entre les différents pouvoirs du gouvernement américain, qui remonte à la fondation du pays il y a environ 250 ans. Pourtant, la défiance ouverte aux ordonnances judiciaires demeure un phénomène exceptionnel. Par exemple, en 1974, le président Richard Nixon s’était opposé à la divulgation de bandes compromettantes durant le scandale du Watergate en invoquant le « privilège exécutif », avant de finalement s’incliner. Durant la guerre civile américaine, Abraham Lincoln avait détenu des saboteurs présumés sans procédure régulière, mais ces cas ne correspondaient pas à un refus direct d’obéir à une décision de justice.
En dehors du cas récent d’Abrego-Garcia, seuls deux présidents américains dans l’histoire ont défié directement des ordonnances judiciaires. Le premier fut Thomas Jefferson, qui ignora une décision de justice liée à la loi sur l’embargo de 1807. Le second, Andrew Jackson, refusa d’appliquer une injonction concernant le déplacement forcé des Cherokees en Géorgie en 1832.
Thomas Jefferson et la contestation d’une décision judiciaire liée à l’Embargo de 1807

Trente et un ans après l’indépendance américaine en 1776, le président Thomas Jefferson, acteur majeur de la Révolution américaine, prit une décision controversée. Pendant les guerres napoléoniennes (1801-1815), les navires britanniques saisissaient les navires marchands américains, bien souvent étrangers au conflit. Ces actions semblaient motivées par des représailles envers la France ou par la crainte d’un soutien secret des États-Unis à cette dernière.
Pour riposter, Jefferson incita le Congrès à adopter la loi sur l’Embargo de 1807, interdisant complètement toutes exportations américaines vers le monde entier, sans exception, tout en limitant les importations britanniques. Cette mesure, envisagée comme une sanction économique contre la Grande-Bretagne, porta néanmoins préjudice à l’économie et à la population américaine. Les denrées périssables se gâtaient faute de débouchés, et les marins de la côte Est se retrouvèrent sans activité.
Ce n’est cependant qu’après l’adoption de cette loi qu’une opposition judiciaire intervint. Le juge William Johnson, nommé à la Cour suprême, considéra que Jefferson avait outrepassé ses prérogatives présidentielles. Jefferson ignora cette décision et chargea le procureur général de répondre dans les médias. Il ordonna en parallèle aux fonctionnaires des douanes de maintenir l’embargo. Malgré la contestation judiciaire, la loi resta en vigueur jusqu’à la fin du mandat de Jefferson en 1809.
Andrew Jackson face à l’ordre judiciaire lors du déplacement forcé des Cherokees

La deuxième situation de défiance présidentielle remonte à un contexte plus ancien, celui de 1791, avec le traité de paix et d’amitié signé entre les États-Unis et la nation Cherokee. Ce traité établissait une paix durable et reconnaissait la souveraineté des Cherokees sur leurs terres, même si celles-ci se situaient à l’intérieur des États américains. Il stipulait aussi que les traités spécifiques seraient considérés comme la « Loi suprême du pays ».
Au cours des années 1820-1830, le gouvernement de l’État de Géorgie chercha à annexer les territoires cherokees. En 1827, les Cherokees adoptèrent leur propre constitution pour affirmer leur souveraineté, ce à quoi la Géorgie répondit par une annexion de ces terres. En 1830, le Congrès légiféra par l’Indian Treaties and Removal Act, offrant en apparence un échange de terres à l’ouest, mais donnant en réalité aux présidents, comme Andrew Jackson, le pouvoir de passer outre les traités antérieurs comme celui de 1791.
La Cour suprême, dans l’affaire Worcester contre Géorgie en 1832, rappela que les peuples autochtones constituaient des « communautés politiques distinctes et indépendantes, conservant leurs droits naturels originels ». Toutefois, en 1838, Jackson ordonna aux troupes fédérales de procéder à l’expulsion forcée des Cherokees, en violation de cette décision judiciaire. Cette tragédie, connue sous le nom de « Piste des Larmes », provoqua la mort de plus de 4 000 membres de la nation Cherokee lors de la marche forcée vers l’ouest.
