
Janvier 1990 demeure un mois sombre dans l’histoire du Caucase soviétique. Depuis deux ans déjà, la région était secouée par la première guerre du Haut-Karabakh et les pogroms anti-arméniens ravageaient certaines villes. Dans ce contexte d’intense montée des tensions ethniques entre Azerbaïdjanais et Arméniens, un mouvement pro-indépendance prenait de l’ampleur en Azerbaïdjan.
Au début de 1990, sous prétexte d’empêcher un nettoyage ethnique, les troupes soviétiques envahirent Bakou, réprimant violemment ce mouvement d’émancipation. Cette répression sanglante ne fit alors qu’attiser la volonté d’indépendance des Azerbaïdjanais. En décembre 1991, l’Azerbaïdjan devenait un État souverain, mais le 20 janvier 1990 resta gravé dans les mémoires sous le nom de Qara Yanvar, ou Janvier Noir, aussi appelé « jour des martyrs ».
Cette période reste aujourd’hui encore marquée par des visions partielles, souvent centrées soit sur les pogroms anti-arméniens, soit sur l’occupation soviétique. Pourtant, ces événements sont profondément liés, tout comme le destin des populations concernées. Voici le récit tragique de Janvier Noir.

Le 13 janvier 1990, un pogrom ciblant la communauté arménienne éclate à Bakou. La ville comptait alors environ 250 000 Arméniens. En l’espace d’une semaine, presque tous ont été expulsés du pays.
Les circonstances exactes de ce déclenchement restent controversées. Certains affirment que les dirigeants du Front populaire désapprouvaient les appels à l’expulsion, tandis que d’autres rapportent qu’un discours enflammé avait incité à la violence lors d’un grand rassemblement précédant les attaques.
Pour l’historien Jesse Paul Lehrke, ces pogroms présentent tous les signes d’une préméditation, notamment car des listes de noms et d’adresses arméniennes circulaient, et les violences ont éclaté simultanément en périphérie et dans la ville.
Au fil de la semaine, de nombreux Arméniens ont été blessés et torturés. Le bilan humain reste incertain, avec des estimations variant de 90 à 300 morts. Ni les militaires soviétiques, pourtant présents en nombre, ni les milices locales n’intervinrent pour protéger les victimes. Ces troupes se contentèrent de garder les infrastructures du Parti communiste et des institutions gouvernementales.

Le 15 janvier, Mikhaïl Gorbatchev proclame l’état d’urgence en Azerbaïdjan. Curieusement, cette mesure ne s’applique officiellement qu’à Nakhitchevan et au Haut-Karabakh, tandis que Bakou en est exclue. Les pogroms commencent alors à diminuer et les militants du Front populaire dressent des barrages pour anticiper une intervention militaire soviétique.
Ce climat de violence coexiste avec une mobilisation croissante en faveur de l’indépendance. L’angoisse des autorités soviétiques face à ce mouvement s’intensifie, notamment suite à une déclaration de la République socialiste soviétique d’Arménie réclamant l’unification du Haut-Karabakh avec l’Arménie.
Le 19 janvier, Iousouf Samedoglu, un leader du Front populaire, entend diffuser un message télévisé appelant à la paix. Mais une explosion détruit le centre télévisé, coupant toute transmission. Si certains attribuent l’attentat à des extrémistes azerbaïdjanais, la majorité des indices laisse penser que la responsabilité revient au KGB ou à l’armée soviétique.

Dans le silence des médias, les troupes soviétiques prennent par surprise la population de Bakou. Le 19 janvier, Moscou décrète finalement l’état d’urgence sur la ville et déploie blindés et soldats.
Au matin du 20 janvier, ces forces s’en prennent aux civils désarmés. Plusieurs témoignages rapportent des tirs sur des autobus civils et des ambulances clairement identifiées. Dans certains cas avérés, des chars ont roulé délibérément sur des manifestants. Des soldats ont également tiré aléatoirement sur des habitations, évoquant la présence de tireurs embusqués restés introuvables.
Au total, environ 25 000 soldats soviétiques occupent Bakou. La répression aveugle fait entre 100 et 300 victimes, marquant profondément la mémoire collective. Ces événements sont souvent considérés comme l’annonciateur des tragédies similaires, notamment celles survenues en Lituanie un an plus tard.
