Aux États-Unis, la symbolique et le respect attachés au drapeau sont régis par une série de lois très strictes. Le Code américain, titre 4, chapitre 1, § 8, précise que le drapeau ne doit jamais toucher le sol, ne peut être porté à l’horizontale, cousu sur des coussins, utilisé pour couvrir des plafonds ou porté comme vêtement, entre autres règles. L’American Legion ajoute que le drapeau doit être exposé à proximité des écoles, des bâtiments administratifs publics et des postes de police, suspendu à droite des autres drapeaux, et qu’il doit être hissé rapidement et descendu avec cérémonie. La compilation de toutes ces réglementations atteint 45 pages. Pourtant, il est courant de voir des drapeaux américains affichés à l’envers sans que les personnes qui le font soient sanctionnées. Pourquoi cela ?
En réalité, malgré ces prescriptions, il n’est pas illégal d’exposer un drapeau à l’envers. Le titre 4 du Code américain stipule : « Le drapeau ne devrait jamais être affiché avec l’Union vers le bas, sauf comme signal de détresse grave dans des situations de danger extrême pour la vie ou les biens. » Cette disposition remonte à 1974, une période marquée par de profonds bouleversements sociaux à la fin de la guerre du Vietnam. Dans l’affaire historique Spence contre Washington, la Cour suprême a statué que présenter un drapeau à l’envers constitue une forme d’expression protégée par le Premier Amendement. C’est pourquoi les manifestants contemporains ont recours à ce geste pour protester. Toutefois, la définition de ce qu’implique un « danger extrême pour la vie ou les biens » reste sujette à interprétation.
Une liberté accordée à la fin de la guerre du Vietnam

La guerre du Vietnam, qui s’est étendue de 1955 à 1975, a profondément ébranlé la confiance du peuple américain envers son gouvernement. Dès le milieu des années 1960, des protestations en masse s’organisent, dénonçant la perte de vies américaines, les souffrances infligées au peuple vietnamien, le concept même de la guerre ou encore l’impérialisme américain. Par ailleurs, les États-Unis étaient également engagés dans d’autres conflits, notamment l’invasion du Cambodge en 1970 et la guerre de Corée en 1950.
C’est dans ce climat tendu que s’est déroulée l’affaire Spence contre Washington. Elle a suivi la tragédie du massacre de quatre manifestants à l’université Kent State en 1970, tués par la Garde nationale de l’Ohio. En réaction à ces événements et à l’invasion du Cambodge, des milliers d’étudiants ont manifesté. Harold Omand Spence fit alors flotter un drapeau américain à l’envers devant son dortoir, sur lequel il avait collé des signes de paix réalisés avec du ruban adhésif noir. La Cour suprême le qualifia d’« inadroit » et « trop zélé », sans y déceler une quelconque intention malveillante. Selon la Cour, son action exprimait une forme d’expression politique largement partagée et acceptée dans le pays.
La Cour a cependant estimé que modifier physiquement le drapeau, ici en y apposant un symbole, n’était pas autorisé, mais suspendre le drapeau à l’envers comme un geste symbolique était protégé par la liberté d’expression.
Des exemples historiques de drapeaux inversés

Le critère d’« extrême danger pour la vie ou les biens » reste toutefois subjectif, mais avec le temps, un consensus populaire s’est établi. Le retournement du drapeau est devenu un signe évident en cas de troubles civils ou politiques d’une gravité suffisante. Il sert aussi à manifester une opposition aux guerres ou aux conflits impliquant les États-Unis. En cas de catastrophe naturelle majeure, comme un ouragan détruisant les infrastructures et isolant les populations, un drapeau américain retourné peut aussi être utilisé comme appel à l’aide. En revanche, ce geste ne doit pas être banalisé pour des motifs mineurs.
Historiquement, avant l’arrêt Spence v. Washington de 1974, la mobilisation pour les droits civiques dans les années 1960 a vu l’usage de drapeaux américains retournés. Les protestations contre la guerre du Vietnam durant les années 1960 et 1970 s’inscrivent également dans cette tradition symbolique.
Plus récemment, des manifestants ont brandi des drapeaux à l’envers après les attentats du 11 septembre 2001, notamment pendant la seconde guerre en Irak (2003-2011), où les forces américaines ont renversé Saddam Hussein. Durant le second mandat du président Donald Trump, certains soulèvements ont de nouveau utilisé ce symbole pour exprimer leur mécontentement face aux décisions gouvernementales.
