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Même si les détails restent flous pour certains, beaucoup ont retenu le récit mythique du débarquement des Pilgrims à Plymouth Rock, raconté dès l’école primaire aux États-Unis. On imagine ces hommes en noir, coiffés de chapeaux avec boucles, austères et souvent confondus avec les Puritains. Leur navire, le Mayflower, aurait accosté sur une pierre légendaire du nom de Plymouth Rock. On se souvient des difficultés du premier hiver, des pertes humaines, et de l’aide providentielle des Amérindiens pour survivre dans ce nouveau territoire hostile, aidant pourtant les colons à s’approprier peu à peu leurs terres. Enfin, la célébration idéalisée de Thanksgiving, où l’on partageait un repas convivial avec dinde et légumes locaux.

Cette version simplifiée de l’histoire ne s’éloigne pas complètement de la réalité. En 1620, un groupe d’Anglais voulant fuir les persécutions religieuses, se qualifiant eux-mêmes de « Saints », accompagné d’autres passagers dits « Étrangers », embarqua à bord du Mayflower pour traverser l’Atlantique. Cependant, ils échouèrent au nord de leur territoire initialement autorisé, dans la région du Cap Cod, bien au-delà de la baie de Chesapeake et du fleuve Hudson. Ils auraient alors posé le pied sur une pierre qui existe toujours aujourd’hui, Plymouth Rock.
Les fondements puritains d’un mythe moderne

Selon le récit commun, ces Pilgrims auraient fui l’Angleterre pour échapper aux persécutions religieuses, cherchant à établir une nouvelle nation chrétienne. Cette idée est en partie vraie, mais la réalité est bien plus nuancée. En 1608, ce groupe d’Anglais séparatistes, qui allait finalement s’installer en Massachusetts, avait déjà rompu avec l’Église d’Angleterre et émigré aux Pays-Bas, un pays tolérant d’un point de vue religieux. Ces séparatistes étaient des Puritains, un mouvement protestant rigoureux souvent perçu aujourd’hui comme austère et strict. Contrairement à l’Église d’Angleterre, créée par Henri VIII en 1534, ils pratiquaient une forme de culte sans hiérarchie stricte où chaque membre pouvait s’exprimer librement.
Cependant, le mode de vie libéral et la société ouverte des Pays-Bas ne convenaient pas à ces Puritains, qui se virent cantonnés à des emplois peu rémunérés. En moins d’une dizaine d’années, ils décidèrent de partir pour le Nouveau Monde.
Une traversée océanique vers un rocher bien modeste

En 1620, trente-sept Puritains séparatistes rejoignirent à Londres un navire cargo, le Mayflower, pour partir vers l’Amérique accompagnés de 65 passagers non croyants. Ils ne s’appelaient pas encore « Pilgrims » ; ce terme ne fut popularisé qu’après par William Bradford, gouverneur de la colonie, dans ses écrits. Contrairement à une idée reçue, leur but n’était pas de bâtir une « ville sur la colline » représentant un idéal chrétien, ni d’être les premiers colons de la région – Jamestown, en Virginie, avait déjà été fondée en 1607.
Leur arrivée en 1620 à Cape Cod, dans l’actuel Massachusetts, n’eut rien d’une découverte triomphante. Plymouth Rock, la pierre sur laquelle ils auraient posé le pied, est en réalité une simple dalle de granite, loin de l’image romantique d’un rocher majestueux. Elle ressemble à n’importe quel rocher que l’on pourrait croiser sur un sentier de randonnée de difficulté moyenne en Nouvelle-Angleterre.
Une pierre victime de légende et d’exagération

Ce rocher, témoignant d’enjeux historiques majeurs, déçoit souvent les visiteurs venus en quête du sanctuaire symbolique de la fondation américaine. Âge estimé : environ 600 millions d’années, formé par les glaces durant la dernière période glaciaire et abandonné sur la côte américaine, Plymouth Rock est toutefois davantage une icône forgée par le récit national qu’un véritable monument naturel imposant.
Présentement, la pierre est exposée dans un bâtiment construit dans le style de l’architecture romaine antique, au cœur du Pilgrim Memorial State Park, en bord de mer. Si l’on remarque qu’elle semble cassée en deux et recollée, c’est parce que c’est effectivement le cas. En 1774, des colons tentèrent de la déplacer en ville à l’aide d’une équipe de bœufs. La pierre se brisa alors en deux : la partie supérieure fut transportée pour être montrée lors des réunions municipales et attiser un esprit séparatiste favorable à l’indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Ce n’est là qu’un des épisodes qui contribua à la construction du mythe de Plymouth Rock, officialisé seulement une trentaine d’années plus tôt par Thomas Faunce, fils de l’un des premiers colons, sur la base des souvenirs de son père.
Une histoire de vandalismes et de dégradations

Le rocher a subi au fil des siècles de nombreuses dégradations. Jusqu’au début du XIXe siècle, les visiteurs pouvaient emporter des fragments en souvenir, réduisant peu à peu sa taille. En 1834, lors d’un déplacement vers le musée Pilgrim Hall, la pierre se fractura à nouveau. Des curieux profitèrent de la situation pour détacher des morceaux, obligeant à installer une barrière pour protéger ce vestige historique. De plus, une portion pesant environ 180 kg fut découverte plus loin, utilisée comme simple marche d’entrée. Cette portion fut réunie au reste du rocher en 1880, avec la date « 1620 » gravée sur son flanc.
Plus récemment, en février 2020, Plymouth Rock fut victime d’actes de vandalisme, marqué par des graffitis rouges, un événement marquant à l’occasion du 400e anniversaire de l’arrivée des Pilgrims sur le continent. La pierre, ainsi que d’autres monuments de la ville, ont depuis été restaurés.
