
Facilement visible depuis l’espace, le vaste désert du Sahara qui s’étend en Afrique du Nord est l’une des caractéristiques géographiques les plus marquantes de notre planète. S’étendant sur environ 4 800 kilomètres d’est en ouest et 1 600 kilomètres du nord au sud, il couvre une superficie d’environ 8,5 millions de kilomètres carrés, répartis sur une dizaine de pays (selon la reconnaissance ou non de la République sahraouie). Il s’agit du troisième plus grand désert au monde, après les déserts froids de l’Antarctique et de la région polaire nord. Un quart de son territoire est constitué d’immenses dunes de sable caractéristiques. Le Sahara est souvent la première image qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque un désert.
Cependant, l’Afrique du Nord n’a pas toujours été cette étendue aride et ne le sera pas éternellement. Des modifications à long terme dans la rotation de la Terre annoncent que, dans plusieurs millénaires, le Sahara connaîtra à nouveau une période plus humide. Parallèlement, les changements climatiques d’origine humaine impliquent que le désert, à l’instar de la planète entière, subira des transformations à court terme.
Les grands bouleversements climatiques dus au basculement de la Terre sur son axe

La Terre, que l’on considère comme une sphère tournant sur elle-même tout en gravitant autour du soleil, réalise chaque rotation en une journée. Cette rotation expose tour à tour différentes régions à la lumière solaire. L’axe terrestre, incliné de manière significative, fait que selon la position de la Terre sur son orbite annuelle, l’hémisphère nord ou sud s’approche temporairement davantage du soleil. C’est à l’origine du cycle des saisons que nous connaissons.
Cependant, cet axe n’est pas immobile. Il décrit un lent mouvement en orbite, similaire au mouvement circulaire du manche d’une toupie — un phénomène connu sous le nom de « précession des équinoxes ». Ce phénomène, provoqué en partie par l’attraction gravitationnelle des autres planètes du système solaire, s’étend sur un cycle de plus de 25 000 ans, ce qui dépasse largement la durée d’une vie humaine. Ainsi, au fil des millénaires, l’étoile polaire change, tout comme le schéma des saisons et du climat car l’orientation de l’axe terrestre par rapport au soleil varie.
Cette précession influence notamment les régimes de précipitations. Selon la position de la Terre dans ce cycle, les pluies peuvent se déplacer sur des zones différentes de celles que nous connaissons. Un effet remarquable est le déplacement probable de la mousson africaine, qui pourrait apporter plus d’humidité là où s’étend aujourd’hui le désert du Sahara. Cette modification cyclique est suffisamment régulière pour que les scientifiques identifient ses traces dans les archives géologiques, ce qui leur permet d’affiner leurs modèles sur l’évolution climatique passée et future.
Jusqu’à il y a environ 5 000 ans, l’Afrique du Nord a connu une période humide, phénomène parfois appelé « période humide nord-africaine ». Ce nom, bien que peu évocateur, décrit un changement climatique majeur qui a transformé la région bien avant notre ère moderne. Les scientifiques ont élaboré un modèle climatique planétaire basé sur la précession terrestre – l’inclinaison et la position de l’axe de la Terre – qui influence la distribution des précipitations.
Pour vérifier la précision de ce modèle, les chercheurs ont étudié des carottes marines, des prélèvements réalisés dans des sédiments accumulés sur de longues périodes. Ces couches sédimentaires, comparables aux cernes des arbres, révèlent des indices précieux comme des restes végétaux, permettant de reconstituer avec finesse le climat passé.
L’examen de ces carottes a confirmé la nature cyclique des périodes humides, validant ainsi la capacité prédictive du modèle. Il ressort que ces phases d’humidité n’étaient pas continues : certaines ont été « sautées », notamment lors des périodes glaciaires où l’impact direct des glaces modifiait le climat. Toutefois, même ces phases moins pluvieuses restaient plus humides que les périodes qui précédaient ou suivaient ces cycles.
Au total, les chercheurs ont pu identifier avec confiance 230 épisodes distincts de périodes humides. Fait surprenant, ces phases coïncidaient avec un éloignement de l’axe terrestre ayant pour effet d’augmenter la chaleur en Afrique du Nord. Cette chaleur provoquait un abaissement de la pression atmosphérique, attirant ainsi l’air humide provenant des océans et déclenchant des moussons saisonnières.
Ces pluies monsoniques saisonnières étaient suffisamment abondantes pour entretenir plusieurs lacs d’eau douce dans la région, marquant le dernier grand cycle humide majeur avant la désertification progressive du Sahara actuel.
Entre environ 11 000 et 5 000 ans avant notre ère, l’Afrique du Nord a connu une période humide favorisant un climat bien plus fertile que celui que l’on observe aujourd’hui. Cette époque, qui s’inscrit pleinement dans l’histoire humaine, a laissé des traces captivantes. Des voyageurs et chercheurs ont découvert dans le Sahara des gravures rupestres réalisées par des peuples préhistoriques, témoignant d’un environnement à la végétation luxuriante. Ces images représentent notamment des animaux tels que les girafes, aujourd’hui absentes de cette région, ainsi que des scènes d’élevage bovin. Les sites choisis pour ces gravures, souvent des rochers situés à des points remarquables du paysage, suggèrent qu’ils pouvaient servir de lieux de rencontre et de repères importants.
Même durant l’histoire enregistrée, le climat de l’Afrique du Nord était plus humide et la terre, plus fertile. Deux des provinces agricoles les plus cruciales de l’Empire romain étaient alors l’« Africa » – qui désignait à l’époque l’Afrique du Nord et non le continent dans son ensemble – et l’Égypte. La fertilité de la vallée du Nil expliquait la production significative égyptienne, mais la région sèche autrefois appelée Africa, cœur de l’ennemi romain Carthage, fournissait une telle abondance alimentaire qu’elle devint le principal fournisseur de blé pour Rome. Cette zone produisait aussi des légumineuses, des olives, de l’huile ainsi que du poisson en saumure et des fruits conservés, denrées réservées aux plus aisés.
Ce rôle alimentaire de l’Afrique du Nord était fondamental pour maintenir l’ordre à Rome, en permettant aux citoyens d’accéder à une nourriture peu coûteuse, voire gratuite. Lorsque les Vandales prirent le contrôle de la région au début du Ve siècle, ils utilisèrent ce contrôle de la production céréalière et du port de Carthage comme un véritable levier militaire contre l’Empire romain affaibli. Cependant, avec le temps, les richesses agricoles de cette terre autrefois fertile ont disparu : aujourd’hui, la Tunisie est devenue importatrice nette de produits alimentaires.

Le Sahara, bien que souvent considéré comme un désert immuable, s’est en réalité étendu au cours de la majeure partie de l’histoire humaine enregistrée. Les premiers habitants préhistoriques de la région y faisaient paître du bétail, et les céréales cultivées en Afrique du Nord ont longtemps nourri Rome. Toutefois, plusieurs phénomènes naturels, tels que le cycle de la précession des équinoxes et la dérive des continents, ont contribué à étendre progressivement ce vaste désert.
La dérive continentale déplace lentement l’Afrique vers le nord, modifiant ainsi les schémas de précipitations. Les déserts se situent majoritairement dans les zones subtropicales, tandis que les tropiques sont généralement plus humides. Ce mouvement propulse davantage de terres dans cette « zone subtropicale sèche », favorisant l’expansion du désert. Au-delà des facteurs naturels, les transformations climatiques induites par l’activité humaine perturbent également ces cycles, même si l’essentiel de l’extension du Sahara reste pour l’heure lié à ces phénomènes naturels.
Depuis le début du 20e siècle, le Sahara a gagné environ 10 % de sa superficie. Le désert s’est avancé de plus de 500 kilomètres vers le nord à travers la Libye, asséchant un territoire qui n’était pas toujours dominé par les dunes désertiques dont il est aujourd’hui couvert. Au Mali, le désert progresse actuellement vers le sud à un rythme d’environ 48 kilomètres par an. Cette désertification n’est pas limitée au Sahara ; certains scientifiques prévoient que d’ici à 2100, des conditions semblables à celles du Sahara pourraient s’étendre jusqu’en Europe du Sud et en Asie Mineure, affectant notamment la Turquie, Chypre, la Grèce, l’Italie, ainsi que l’Espagne et le Portugal, qui risquent de connaître une forte aridification.
L’expansion du désert du Sahara pose de sérieux défis aux populations qui vivent à ses marges. En effet, la vie sur une prairie est bien différente – et plus facile – que dans un désert hostile. Parmi les victimes majeures de cette avancée désertique figure le lac Tchad, un bassin qui a accueilli des sociétés humaines depuis plus de 2 500 ans et qui constitue aujourd’hui une source vitale d’eau pour des millions de personnes.
Si la surface du lac Tchad a toujours fluctué – sa version préhistorique gigantesque est connue sous le nom de Mega-Chad – le changement climatique combiné à la surexploitation par des populations riveraines en croissance rapide a considérablement réduit son étendue. Le lac n’occupe aujourd’hui qu’environ un dixième de la superficie qu’il couvrait dans les années 1960. Cette contraction menace gravement les moyens de subsistance et les ressources en eau des habitants, d’autant plus que les alternatives sont rares dans la région sahélienne, en pleine aridification au sud du Sahara.
L’histoire montre pourtant que l’humanité a déjà fait face à la désertification dans cette région. Les groupes qui peuplaient le Sahara durant ses périodes humides ont laissé des traces visibles. Certains ont migré, probablement en contribuant au développement de civilisations comme celle de l’Égypte antique le long du Nil, tandis que d’autres se sont dirigés vers le sud, transmettant leur héritage pastoral à travers le continent africain.
Aujourd’hui, alors que plus de 10 millions de personnes dans le bassin du lac Tchad nécessitent une aide humanitaire pour survivre, il est urgent d’envisager des solutions inspirées de ces mouvements du passé, adaptées aux enjeux actuels de la désertification et du changement climatique.
De nombreuses initiatives visent à ralentir, voire stopper, l’expansion du désert du Sahara afin de laisser aux sociétés locales le temps de s’adapter. L’attention se concentre particulièrement sur le Sahel, cette bande de terre semi-aride située juste au sud du Sahara, qui traverse le continent d’ouest en est, du Sénégal face à l’Atlantique à l’Érythrée et Djibouti sur la côte de la mer Rouge. Le terme « Sahel » signifie « rivage » en arabe, soulignant la représentation du Sahara comme une mer de sable.
Les transformations qui affectent cette région semi-sèche mettent à rude épreuve les ressources alimentaires et participent à l’instabilité politique dans des pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Face à cette dynamique, une alliance regroupant 11 pays concernés s’est formée pour ériger une « Grande Muraille Verte », un vaste projet destiné à contenir l’avancée du désert. D’autres pays ont rejoint cette coalition, portant le total à 22 nations engagées. Les causes de la désertification, telles que le surpâturage, aggravent la dégradation des sols. Ainsi, l’initiative vise à impliquer les populations locales pour développer des solutions plus durables face à la sécheresse croissante.
Si la plantation d’arbres constitue une part importante du projet, elle ne résume pas à elle seule l’ensemble de ses ambitions. Chaque pays participant adapte les objectifs communs à sa propre réalité, dans l’espoir de recréer une chaîne de paysages restaurés et vivants, s’étirant d’un océan à l’autre à travers le Sahel. Ce corridor écologique cherche à renforcer la résilience face au changement climatique et à améliorer la sécurité alimentaire des populations régionales.
Dans les années 1970 et 1980, le Sahel a connu l’une des pires sécheresses du XXe siècle, avec des précipitations en moyenne inférieures de 30 % à celles des années 1950. Les causes de cette sécheresse ont fait l’objet de nombreuses hypothèses, mêlant variations climatiques naturelles, impacts du changement climatique d’origine humaine, ainsi que les conséquences de la déforestation et de la surexploitation des terres dans la région. Cependant, ces dernières décennies, les pluies ont de nouveau augmenté dans cette zone de transition entre désert et savane.
Il est toutefois difficile d’évaluer si cette humidification temporaire du Sahel est une bonne nouvelle ou non. Les modèles climatiques, intrinsèquement complexes, indiquent que cette période plus humide pourrait n’être qu’une accalmie passagère. En effet, le réchauffement des océans modifie les régimes de précipitations et pourrait entraîner un nouvel assèchement du Sahel. Certains modèles prévoient que, d’ici 2150, la région pourrait connaître une sécheresse encore plus intense que celle observée à la fin du XXe siècle.
À court terme, le Sahel se réchauffe plus rapidement que beaucoup d’autres régions du globe et devrait atteindre un seuil symbolique de +2°C de réchauffement dès 2040 au plus tard. Ce bouleversement climatique modifie les saisons et les phénomènes météorologiques : le début et la durée de la saison des pluies pourraient s’étendre, mais aussi rendre les sécheresses et les inondations plus fréquentes et sévères. Dans un contexte où les populations locales vivent souvent dans une grande précarité, cette instabilité accrue risque d’exacerber des crises politiques et économiques déjà existantes dans la région.
Ce qui affecte le Sahara influence l’ensemble de la planète. En raison de sa vaste étendue, de sa chaleur intense, de sa sécheresse et de ses vents chargés de poussière, le désert du Sahara joue un rôle majeur dans le climat mondial. Un exemple parlant est la tempête de poussière saharienne de 2020 : la poussière, poussée par les vents, a traversé l’océan Atlantique en quantité suffisante pour provoquer des irritations pulmonaires et embellir les couchers de soleil en Floride.
Mais cet événement extrême reste une illustration parmi d’autres : la poussière saharienne circule régulièrement dans l’atmosphère terrestre. Au-delà de ses effets sur la météo, cette poussière contribue à fertiliser les sols des forêts tropicales amazoniennes, participant ainsi à des cycles écologiques essentiels.
La poussière atmosphérique influence également la quantité et la répartition du rayonnement solaire entrant, ainsi que la formation des nuages, et donc la distribution des précipitations. Concernant les cyclones tropicaux, les effets sont complexes : certaines conditions favorisent leur apparition, tandis que d’autres tendent à les freiner.
Les fluctuations naturelles du Sahara impactent déjà la quantité de poussière nord-africaine en suspension, les périodes de végétation accrue réduisant le volume de poussière et ses effets sur le climat. Ces interactions montrent combien le Sahara est un acteur clé des mécanismes climatiques en Afrique du Nord et dans le monde entier.
Le Sahara offre aujourd’hui un aperçu saisissant de son passé verdoyant et de son avenir potentiel, grâce aux anomalies pluvieuses induites par le changement climatique. En septembre 2024, un cyclone extratropical à trajectoire inhabituelle a déversé de fortes pluies sur le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, remplissant temporairement des lits de lacs asséchés et faisant reverdir le paysage par une explosion de végétation optimiste, même dans des zones récemment dépourvues de vie végétale.
Cette même année, des précipitations plus abondantes que la normale ont affecté d’autres parties du désert, avec des augmentations particulièrement marquées de la végétation au Tchad, au Soudan et en Érythrée. Cette évolution semble annoncer une forme de renaissance pour le Sahara, qui pourrait voir renaître des poches d’humidité inattendues, remettant en question la perception classique de ce vaste désert comme une étendue aride définitive.
Toutefois, cette vision quasi biblique d’un désert soudainement irrigué et fertile a un revers important : elle remet en cause la prévisibilité, condition primordiale au développement humain. Des millions de personnes ont été exposées aux risques d’inondations, et ces pluies restent localisées, créant des contrastes marqués entre zones inondées et régions encore victimes de sécheresse. Si les oasis et d’autres poches verdoyantes peuvent émerger de ces épisodes pluvieux, il est encore trop tôt pour parler d’une véritable stabilisation.
Parmi ces pluies inhabituelles, une partie s’explique par le cycle naturel El Niño / La Niña, lié aux variations du vent et de la température de l’eau dans le Pacifique. Cependant, le changement climatique joue également un rôle majeur. À mesure que la planète se réchauffe, les latitudes habituelles des précipitations risquent de se déplacer vers le nord, déversant des précipitations sur des régions asséchées mais peu préparées. Une lueur d’espoir dans ce phénomène : les ondes tropicales pourraient désormais naître plus au nord sur la côte africaine, réduisant ainsi leur transformation en ouragans menaçant les Amériques.
Une chose est certaine : si la Terre subsiste telle que nous la connaissons, le Sahara redeviendra verdoyant. Lors de sa dernière période humide, cette immense étendue, surnommée la reine des déserts, abritait des hippopotames, des éléphants ainsi que des sociétés humaines. Malgré les dégâts que l’humanité moderne inflige à la planète, les cycles lents mais puissants de la nature ramèneront la pluie sur cette vaste région africaine. Reste à savoir s’il restera alors quelqu’un pour accueillir cette renaissance.
Sans l’impact des gaz à effet de serre, cette reconquête végétale du Sahara devrait survenir entre l’an 12 000 et 13 000 de notre ère. L’évolution actuelle des émissions de carbone rend difficile toute prévision précise, bien que les Saharas verdoyants aient déjà existé lors de périodes précédentes caractérisées par des niveaux élevés de CO₂ atmosphérique.
Les scientifiques estiment que la dernière transition vers un Sahara sec s’est réalisée rapidement à l’échelle climatique : environ 200 ans se sont écoulés entre la dernière période humide et la désertification actuelle. Ce laps de temps est long comparé à une vie humaine, mais extrêmement bref pour l’évolution biologique ou l’histoire des civilisations. Si l’humanité endure jusque-là, des générations futures pourraient assister au miracle naturel du désert renaissant, imprégné de vie, au fil de deux ou trois vies humaines successives.
