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Histoire

L’époque de la Prohibition aux États-Unis a plongé les années 1920 et le début des années 1930 dans un véritable chaos. L’interdiction de l’alcool a donné naissance à un commerce clandestin florissant, distribuant des boissons alcoolisées aux foules assoiffées tout en enrichissant des figures peu recommandables. Si cet épisode a permis à certains distillateurs clandestins d’affiner leur savoir-faire, il a surtout alimenté des dizaines d’histoires devenues cultes au cinéma et dans la culture populaire.
Parmi les nombreux héritages de cette période mouvementée, on compte l’essor des gangs et des mafieux. La culture occidentale moderne a tendance à romantiser ces chefs du crime, les élevant au rang d’icônes. Aucun n’a été plus célèbre qu’Al Capone, surnommé « Scarface » — un sobriquet qu’il détestait pourtant profondément.
Si Al Capone a été immortalisé par plusieurs films marquants, la réalité de ses actes aurait sans doute refroidi les admirateurs contemporains. Derrière son charisme devant les caméras et les journalistes, il est largement reconnu comme responsable de nombreux meurtres, motivés uniquement par le pouvoir et l’argent. Se mettre Capone à dos signifiait souvent une fin tragique. Le massacre de la Saint-Valentin reste l’exemple le plus emblématique de cette brutalité.
Cette fusillade exécutée de manière méthodique visait à éliminer un rival historique de Capone, Bugs Moran. Le massacre, considéré comme une opération orchestrée par Capone lui-même, témoigne de la violence extrême qui régnait alors à Chicago durant la Prohibition, reflétant les luttes intestines pour le contrôle du trafic d’alcool illégal.
Al Capone avait pour habitude de faire disparaître ses rivaux

Al Capone n’a jamais été réputé pour ménager ses adversaires. Selon History, le clan Capone aurait été responsable jusqu’à 64 meurtres en une seule année. Cette violence extrême contribua grandement à sa fortune, estimée à environ 100 millions de dollars dans les années 1920.
Interférer avec les affaires de la bande de Capone, notamment dans le trafic d’alcool à Chicago pendant la prohibition, revenait à signer son arrêt de mort. Paradoxalement, cette politique sans pitié fut aussi la raison pour laquelle son rival, le chef de gang George « Bugs » Moran, a pu prendre de l’ampleur.
Selon Britannica, Moran était l’homme de confiance de Dion O’Bannion, un gangster notoire et ennemi de longue date de Capone. Le contrôle d’O’Bannion sur le commerce d’alcool au nord de Chicago déplaisait fortement à Capone, qui envoya quelques-uns de ses hommes abattre O’Bannion dans sa boutique de fleurs – une façade surprenante pour un chef de gang.
À la suite de cet assassinat, Moran hérita du contrôle du gang d’O’Bannion et poursuivit ses activités criminelles. Cette montée en puissance de Moran ne fut pas non plus du goût de Capone, qui y vit une nouvelle menace à éliminer.
Une ruse sanglante d’une efficacité redoutable

Le massacre de la Saint-Valentin demeure l’un des meurtres de masse les plus perfides et minutieusement orchestrés des années 1920. C’était en 1929, le jour de la Saint-Valentin, dans le garage SMC Cartage Co., situé au 2122 North Clark Street à Chicago, lieu d’activité privilégié de Bugs Moran.
Ce jour-là, les hommes de Moran s’affairaient probablement à préparer une commande illégale d’alcool pour un client, lorsque soudainement une voiture s’arrêta et quatre hommes en sortirent, dont deux déguisés en policiers.
Selon les récits de Britannica, Moran, en se rendant au garage, aperçut cette voiture de police et, fin stratège du crime qu’il était, préféra fuir pour ne pas tomber dans ce qu’il croyait être une descente.
Les membres de son équipe, eux aussi, crurent à un raid, d’autant plus que les quatre faux policiers n’éprouvèrent aucune difficulté à rassembler les sept gangsters armés et à les faire se placer contre le mur. Selon Chicago Mag, aucun des hommes de Moran ne tenta de dégainer une arme. Ils étaient donc à la merci de leurs assaillants, qui ouvrirent le feu d’un seul coup.
Dans la rue, des témoins entendirent le martèlement rapide de deux mitraillettes Thompson et d’un fusil, déchiquetant la troupe de Moran. Si ce dernier réussit à échapper au carnage, le massacre de la Saint-Valentin signa la fin définitive de sa carrière de chef de gang.
Au milieu de l’amoncellement de corps, la police découvrit un seul survivant du massacre : le gangster Frank Gusenberg. Malgré ses blessures graves, avec quatorze balles encore logées dans son corps, il survécut quelques heures, sans pour autant révéler quoi que ce soit. Lorsqu’on l’interrogea sur l’identité de ses agresseurs, il se contenta de répondre : « Personne. Personne ne m’a tiré dessus. »
Ce mutisme peut paraître surprenant, mais il témoigne probablement du respect de l’omerta, ce code de silence absolu auquel les gangsters nobles de cette époque se conformaient strictement. Avant de rendre son dernier souffle, il déclara aux enquêteurs avec fermeté : « Je ne suis pas un flic. »
Toutefois, une autre version des faits rapportée à l’époque dans un journal suggère une autre vérité possible. Selon ce récit, Gusenberg aurait confié au sergent de police Thomas J. Loftus que les policiers eux-mêmes étaient responsables du carnage. Cette perspective a conduit certains à penser que la police corrompue de l’ère de la prohibition, plutôt que les hommes déguisés en agents, auraient été les véritables instigateurs du massacre de la Saint-Valentin.
Cependant, cette hypothèse reste largement spéculative et n’a jamais pu être confirmée. À ce jour, aucun élément concret n’a permis de prouver la participation directe des autorités à ce massacre sanglant, ce qui alimente encore les débats et théories autour de cet événement historique marquant.
Juste après le massacre de la Saint-Valentin, les enquêteurs ont immédiatement suspecté Jack McGurn, le célèbre tueur à gages et garde du corps d’Al Capone, surnommé « Machinegun » Jack. Selon Get Capone de Jonathan Eig, McGurn était réputé pour son rôle violent au sein du gang de Capone.
Lorsque la police a interrogé McGurn, il a rejeté toute implication, accusant même les autorités d’être mêlées à l’affaire. Il aurait déclaré : « Ne me faites pas rire ! Les frères Gusenberg m’auraient abattu s’ils m’avaient aperçu à un pâté de maisons. » Ces frères, Frank et Peter Gusenberg, étaient eux-mêmes ses ennemis, puisqu’ils avaient tenté de l’éliminer environ un an avant le massacre.
Cependant, les investigations n’ont jamais abouti. McGurn disposait d’un alibi solide : sa compagne, Louise Rolfe, assurait avoir passé toute la journée avec lui. Pour éviter tout interrogatoire approfondi, le couple s’est même marié rapidement, ce qui a permis à McGurn d’échapper aux poursuites.
Malgré l’incertitude de sa participation à ce carnage, il semble que certains lui aient tenu rigueur. Exactement sept ans et un jour plus tard, le 15 février 1936, Jack McGurn a été retrouvé criblé de balles dans une salle de bowling à Milwaukee. Selon la légende, une note énigmatique laissée par ses assassins disait : « Tu as perdu ton pognon et tes belles maisons, mais les choses pourraient être pires ; au moins, tu n’as pas perdu ton pantalon. »
La théorie du gang Purple

Selon la Société historique de Detroit, après le meurtre, la police a également mené une enquête sur un groupe de malfaiteurs liés à Al Capone : le tristement célèbre gang Purple, qui dirigeait son propre réseau de contrebande dans la ville voisine de Detroit.
Composé d’immigrants divers, le gang Purple s’était installé dans un quartier surnommé Little Jerusalem. Ils jouissaient d’une réputation effrayante dans la région, liés à de nombreuses activités criminelles telles que la prostitution, le vol et les enlèvements. Cette notoriété redoutable amena le rusé Capone à intégrer leur route de contrebande canadienne à son propre réseau, préférant la collaboration à la rivalité.
Au moment du massacre de la Saint-Valentin, une habitante locale rapporta que trois membres des Purple avaient loué une chambre très proche du garage de George Moran. Il est plausible qu’ils aient été chargés d’espionner Moran, même s’ils ne participèrent pas directement à la fusillade. Par ailleurs, certains policiers soupçonnaient que le gang de Moran avait lui-même provoqué les Purple après avoir imprudemment volé un de leurs camions de whisky.
Les Purple étaient déjà responsables d’au moins un autre massacre—le massacre de Milaflores en 1927—et l’on estime qu’ils ont tué au moins 500 personnes durant leur activité criminelle.
Fred « Killer » Burke, ancien membre du tristement célèbre Purple Gang et proche d’Al Capone, est presque certainement l’un des tueurs identifiés lors du massacre de la Saint-Valentin. Ce personnage au passé criminel dense était alors lié à plusieurs homicides, et sa disparition peu après le drame laisse entendre qu’il avait quelque chose à cacher.
Connu pour se déguiser en policier afin de commettre ses méfaits, Burke a été aperçu sur les lieux du massacre selon plusieurs témoins. Cependant, les autorités ne l’ont retrouvé qu’après plusieurs mois, suite à un incident où il a tiré sur un policier lors d’un accident de la route dans le Michigan. Il utilisait alors une fausse identité et tentait de se dissimuler.
Une perquisition chez lui a révélé deux fusils tommy dont les balles correspondaient à celles du massacre. Fuyant de nouveau, cette fois vers le Missouri, Burke a finalement été dénoncé par un habitant soupçonneux. Malgré ces preuves accablantes, il ne fut jamais condamné pour les meurtres de la Saint-Valentin, mais il fut incarcéré pour le meurtre d’un policier.
Byron Bolton et les Américains

En 1935, Byron Bolton, un gangster notoire, fut arrêté lors d’un raid du FBI. Selon les récits historiques, notamment dans American Mafia: Chicago de William Griffith, Bolton fit une confession surprenante en garde à vue : il aurait été l’un des guetteurs lors du massacre de la Saint-Valentin.
Certains doutent encore aujourd’hui de la véracité de son témoignage, car plusieurs suspects qu’il désigna avaient des alibis solides. Pourtant, le récit de Bolton s’avère cohérent et s’aligne avec d’autres preuves disponibles, comme l’expose Jonathan Eig dans Get Capone.
Selon Bolton, l’attaque aurait été perpétrée par les « Américains » d’Al Capone, un groupe de gangsters liés étroitement à la ville de St. Louis. Parmi les hommes nommés par Bolton figuraient Fred Burke, Bob Carey, Gus Winkler, Raymond Nugent et Fred Goetz. Notamment, Winkler fut assassiné par la mafia, apparemment pour avoir collaboré avec le FBI, tandis que la plupart des autres membres étaient déjà morts en 1934, un an avant la révélation de Bolton.
L’histoire fascinante de Bolton comporte des détails révélateurs. Il raconta notamment que l’opération avait été compromise car il avait lui-même confondu un des hommes présents au garage avec George Moran, la cible principale. Le groupe, précipité, ouvrit le feu trop tôt et manqua sa cible. Les épouses de Winkler et Goetz confirmèrent par ailleurs des versions similaires des événements. Ainsi, la confession de Byron Bolton demeure l’explication la plus plausible quant au déroulement du massacre.
On pourrait penser qu’un massacre aussi brutal et direct que le massacre de la Saint-Valentin aurait conduit rapidement à l’arrestation d’Al Capone. Pourtant, le célèbre chef de gang disposait d’un alibi inébranlable. Au moment des fusillades, selon Chicago Mag, Capone se trouvait dans le palais de justice du comté de Dade, en Floride. Il profitait d’un voyage qui l’avait conduit le long de la côte Est, où il devait rencontrer un procureur enquêtant sur l’assassinat d’un autre chef de la pègre à New York.
George « Bugs » Moran savait parfaitement qui était responsable de la mise à mort de ses hommes dans cette tentative avortée de l’éliminer définitivement. Lors d’une interview, ce boss déchu s’est exclamé à l’attention des journalistes : « Seul Capone tue de cette manière ! » (History). Lorsque Capone fut interrogé peu après sur le massacre, il répondit avec un sourire narquois : « Le seul homme qui tue comme ça, c’est Bugs Moran. » Une provocation évidente destinée à son rival désormais éliminé.
Il semblerait que Moran ait pu obtenir une forme de vengeance, peut-être en éliminant à son tour un des hommes de Capone – en particulier un tireur impliqué dans le massacre. Toutefois, aucune preuve formelle n’a jamais établi sa responsabilité dans cet acte. Pour tenter d’apprécier une lueur d’optimisme, Moran a tout de même survécu une décennie à Capone, ce qui relativise finalement leur rivalité sanglante.
Le bâton qui brisa le dos du chef de la mafia

Al Capone ne fut jamais condamné pour le massacre, malgré une arrogance notoire qui ne joua pas en sa faveur. En effet, comme l’explique Chicago Mag, le patron du crime se vantait ouvertement de son alibi inattaquable. Après tout, il était assis en compagnie d’un procureur, preuve formelle de sa présence ailleurs lors des faits. Que Capone ait ou non commis le crime importait peu aux yeux de la nation : ce massacre avait franchi une ligne rouge, poussant les forces de l’ordre à intensifier leur lutte. L’époque faste du crime organisé touchait alors à sa fin.
Peu après cet événement tragique, Herbert Hoover prit la présidence des États-Unis et alerta promptement le pays sur la menace croissante des réseaux mafieux. Pour rétablir l’ordre, il lui fallait frapper fort en s’attaquant à un gangster de premier plan. Son choix se porta naturellement sur Al Capone. Hoover pressa les autorités afin qu’elles rassemblent des preuves liant Capone au carnage, mais aucune ne fut concluante.
Face à l’absence de charges directes, Hoover buta sur l’impossibilité de condamner le chef mafieux pour complicité. Il trouva alors une autre voie : Capone fut finalement emprisonné en 1931 pour fraude fiscale. Officiellement, il ne fut jamais responsable du massacre de la Saint-Valentin.
Depuis, plusieurs théories circulent sur l’identité des auteurs du meurtre des hommes de George Moran ce jour-là, dont une seule implique Capone. Peut-être était-il réellement innocent. Mais cela n’avait guère d’importance : les victimes restaient décédées, et l’événement marqua profondément l’histoire du crime à Chicago.
Certaines voix contestent l’implication d’Al Capone dans le massacre de la Saint-Valentin. Dans son ouvrage Get Capone, Jonathan Eig avance une théorie alternative basée sur une lettre adressée au FBI en 1935, suggérant que ce carnage ne serait autre qu’une vengeance orchestrée par le gangster William White.
Surnommé « Three-Fingered Jack » en raison de sa main droite mutilée, White était un criminel endurci dont la réputation auprès de ses complices était bien connue. On pense qu’il a collaboré avec les frères Gusenberg lors d’un braquage, mais cette alliance a vite tourné au conflit quand ces derniers ont tiré sur le cousin de White, William Davern, lors d’une altercation dans un bar. Fait intriguant, le père de Davern était policier, ce qui pourrait expliquer l’usage des uniformes de police lors du massacre.
Selon cette lettre mystérieuse, bien que White devait théoriquement purger une peine de prison au moment des meurtres, il aurait soudoyé les autorités pour s’évader et exécuter sa vendetta (source ABC7). Cette version ne clarifie pas certaines preuves pointant vers les hommes de Capone, mais donne une explication plausible au fait que le chef de la mafia George Moran, cible présumée de l’attaque, s’en soit sorti indemne.
Vestiges d’un meurtre

Au fil des années, le massacre de la Saint-Valentin est devenu un élément marquant de la culture populaire. Dès 1932, Al Capone était déjà le sujet du film culte Scarface, et dans les années 1950, ce massacre sanglant était même intégré, de manière surprenante, comme une source d’humour noir dans la comédie Certains l’aiment chaud.
Paradoxalement, dans les années 50, le mur du garage contre lequel s’était déroulé le meurtre a connu une « seconde vie » très particulière en tant qu’attraction touristique. Des visiteurs fascinés par le macabre venaient régulièrement admirer le lieu, même après que le bâtiment eut été transformé en magasin de meubles.
Bien que le bâtiment ait finalement été démoli, les briques témoins de ce drame ont été précieusement conservées par George Patey. Ce dernier les a même emmenées faire le tour du monde, ou du moins du Canada, avant de les reconstituer pour bâtir un mur dans une boîte de nuit à thème gangster.
Dans les années 1990, Patey vendit ces briques, dont une grande partie fut acquise par un musée dédié à l’histoire du crime organisé à Las Vegas. Aujourd’hui encore, on peut y admirer ces briques marquées par les trous de balles — le sang a été reconstitué, mais les traces des tirs sont bien réelles.
Quant au lieu même du massacre à Chicago, il s’agit désormais d’un simple parking vide, qui continue néanmoins d’attirer des touristes fascinés par cette page sombre de l’histoire du crime.
