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L’un des mythes les plus puissants et durables de la Grèce antique est l’histoire du héros Jason et de son épouse et amante, Médée. Ce récit, loin d’être un simple conte, se révèle parmi les plus troublants du patrimoine occidental : une tragédie mêlant amour passionné, trahison et, plus macabre encore, le fil d’une mère qui tue ses propres enfants.
Ce mythe incarne également une identité européenne ancienne, opposant l’Orient à l’Occident à travers le héros grec Jason et la princesse asiatique Médée. À l’image des légendes autour de la guerre de Troie, il sacralise le périple ardu entre la Grèce et l’Asie Mineure, offrant même un nom mythique à un détroit bien réel situé près d’Istanbul aujourd’hui : l’Hellespont.
L’histoire de Jason et Médée a nourri de nombreuses œuvres majeures, depuis l’Antiquité – comme la tragédie controversée d’Euripide au Ve siècle avant J.-C. ou le poème d’aventure « L’Argonautique » du IIIe siècle avant notre ère – jusqu’à des créations modernes, telles que le film fantastique de 1963 « Jason et les Argonautes » ou le drame de 1969 « Médée », où l’icône lyrique Maria Callas incarne le rôle-titre.
La quête de la Toison d’or
Différentes versions de ce mythe circulaient déjà depuis des siècles avant d’être formalisées par des écrivains comme Euripide et Apollonios. Il s’agit d’une histoire classique : Jason, élevé par le centaure Chiron, est l’héritier légitime du trône d’Iolcos mais en est privé par son oncle, Pelias. Lorsqu’il revient réclamer son droit, Pelias lui propose un marché : s’il ramène la légendaire Toison d’or, le royaume lui sera rendu.
La Toison d’or, d’après « L’Argonautique » d’Apollonios, est la peau d’un bélier volant en or, envoyé par Zeus pour protéger deux ancêtres de Jason. Après avoir sauvé ces enfants, le bélier s’est envolé jusqu’en Colchide, une terre lointaine et riche, où son précieux trophée, accroché à un arbre sacré, était gardé par un dragon invincible.
Ce mythe possèderait une part de réalité : la Colchide correspond à une région réelle de Géorgie, réputée pour ses gisements d’or. Certains chercheurs pensent même que la « Toison » pourrait référer à une technique ancienne de récupération d’or, utilisant une peau de mouton pour filtrer les pépites dans les rivières.
Le voyage de l’Argo
Jason embarque à bord d’un navire nommé l’Argo, accompagné d’une équipe de héros baptisés les Argonautes : Héraclès, les jumeaux Castor et Pollux, le chanteur Orphée et d’autres figures légendaires de la mythologie grecque. La célèbre héroïne Atalante fut même envisagée, mais finalement laissée de côté, craignant les risques d’un équipage majoritairement masculin.
Ensemble, ils affrontent les eaux mystérieuses et peuplées de monstres de la mer Noire. Ils combattent notamment les harpies, ces créatures ailées et cruelles, avant de survivre à la dangereuse traversée des Symplégades, deux rochers mouvementés capables d’écraser quiconque ose passer entre eux.
Arrivés en Colchide, le roi soumet Jason à quatre épreuves impossibles : atteler des taureaux cracheurs de feu, labourer un champ en semant des dents de dragon, combattre les hommes qui en surgissent, puis déjouer la vigilance du dragon gardien de la Toison.
Une vengeance terrible
Le salut viendra de Médée, fille du roi et sorcière par excellence, qui tombe amoureuse du héros. Grâce à ses pouvoirs magiques, elle lui transmet un onguent protecteur, lui permettant de dompter les taureaux, puis lui indique comment provoquer l’affrontement entre les guerriers issus des dents de dragon. Enfin, elle endort le dragon avec une potion, permettant à Jason de s’emparer enfin de la Toison et de repartir avec Médée pour la Grèce, où ils se marient.
Mais le conte sombre rapidement : après la naissance de deux enfants, Jason se lasse de Médée et abandonne cette union pour épouser une autre femme. Dans une colère dévastatrice, Médée empoisonne leurs enfants. Les paroles que lui prête Euripide dans sa tragédie « Médée » résonnent encore aujourd’hui dans l’imaginaire occidental :
« Que nul ne pense que je suis une femme banale, une faible qui accepte tout passivement. Non, je suis d’un autre genre — dangereuse pour mes ennemis… Les vies comme la mienne atteignent la plus haute gloire. »