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Soixante ans après la disparition mystérieuse de Mehdi Ben Barka, figure emblématique de l’indépendance marocaine et opposant au roi Hassan II, l’ombre plane toujours sur ce dossier. Enlevé à Paris en 1965, son corps n’a jamais été retrouvé, et l’enquête française, la plus ancienne en cours depuis 1975, connaît une nouvelle dynamique avec une magistrate récemment nommée à la tête des investigations.
Bachir Ben Barka, son fils, a été entendu pendant deux heures par cette juge d’instruction dédiée à cette affaire complexe. Il souligne son engagement profond dans le dossier : « On sent cette juge vraiment impliquée. En un an, elle s’est imprégnée du dossier et elle veut mener des investigations ». Selon lui, contrairement aux idées reçues, l’enquête n’est pas au point mort et le temps facilite une relecture des pièces sous un angle nouveau. Depuis sa première audition en 1975, c’est seulement la troisième fois qu’il est entendu.
Un mystère entourant la mort et la localisation du corps
Le poids du mystère demeure intact depuis six décennies. Comment est mort Mehdi Ben Barka ? Où repose-t-il ? Parmi les scénarios évoqués figurent des hypothèses aussi dramatiques que variées : son corps aurait été coulé dans du béton près d’une autoroute, morcelé, dissous dans de l’acide, enterré dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye ou sous la mosquée d’Évry. Certaines rumeurs évoquent même le rapatriement de sa tête au Maroc, inhumée dans une prison secrète.
Face à ces nombreuses pistes, Bachir Ben Barka affirme rester prudent : « Il y a eu tellement de fausses pistes, j’attends que les faits soient vérifiés par la procédure judiciaire ». Cette prudence illustre l’importance qu’il accorde à la vérité judiciaire plutôt qu’aux spéculations.
Des complicités et un silence étouffant
Un premier procès, dès 1967, avait établi que l’enlèvement avait été orchestré par les services secrets marocains, avec la complicité de policiers et de criminels français. Pourtant, les zones d’ombre restent nombreuses. Bachir Ben Barka évoque l’implication probable des services israéliens, ainsi que la connaissance préalable de l’opération par les services français et américains.
Il dénonce également la lenteur et le cynisme perçus des autorités marocaines et françaises, accusées de « jouer la montre » pour éviter que les témoins puissent s’exprimer. Malgré plusieurs commissions rogatoires internationales restées sans réponse, et la déclassification partielle des archives, les avancées demeurent timides. Selon lui, « ils attendent que tous les témoins soient morts ».
Une enquête ralentie mais pas abandonnée
Sur les cinq mandats d’arrêt émis en 2007, la moitié seulement restent en vigueur, les autres suspects étant décédés. Parmi les personnes encore visées figurent notamment le général Hosni Benslimane, alors chef de la gendarmerie royale, et Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, considéré comme un membre du commando responsable.
Marie Dosé, avocate de Bachir Ben Barka, souligne : « Dans ce type de dossiers, le temps n’est pas un ennemi, il peut être un atout. Des témoins peuvent oser parler, des dossiers peuvent être déclassifiés ». En 2010, une perquisition au sein du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), devenu DGSE, a permis la saisie de plus de 400 archives secret-défense. Néanmoins, seules des pièces secondaires ont été mises à disposition, la majorité restant classifiée.
Bachir Ben Barka espère toujours la levée du « mur de la raison d’État » pour pouvoir enfin accéder à la vérité complète sur la disparition tragique de son père.
