La nouvelle tant attendue est finalement parvenue un peu après 1 heure du matin le 9 mai 1945, via Radio Moscou. L’annonceur Yuri Levitan a informé les auditeurs que l’Allemagne nazie s’était rendue deux jours plus tôt (le dirigeant soviétique Joseph Staline avait retardé la diffusion de l’information jusqu’à ce qu’il soit certain que la capitulation avait été ratifiée). Les habitants de Moscou ont immédiatement éclaté en célébrations, qu’ils soient habillés ou en pyjama, et la vodka s’est mise à couler. Encore et encore. C’était une célébration sans pareille à travers toute la Russie.

Les Soviétiques avaient énormément souffert aux mains des nazis. Parmi ces épreuves figurait le siège de Leningrad, l’une des batailles les plus importantes de la Seconde Guerre mondiale, qui se solda par la mort d’au moins 800 000 civils. Au total, l’Union soviétique perdit 27 millions de personnes, dont 19 millions de civils. L’explosion de joie et la consommation de vodka après l’annonce de la reddition nazie s’est prolongée jusqu’au lendemain, et moins de 24 heures après le début de la fête, tout le pays avait consommé chaque goutte disponible de cet alcool. Cette prouesse impressionnante semble être une réalisation que seuls les Russes pouvaient accomplir. Après tout, ils entretiennent (et entretiennent encore) une longue relation avec la vodka.
La longue histoire de la vodka en Russie
La Russie et la vodka sont devenues presque synonymes. Cette citation du Musée de l’Histoire de la Vodka à Moscou résume bien les choses : « Il n’y a pratiquement personne dans le monde multilingue qui nous entoure qui, si la Russie lui est mentionnée, ne pense pas immédiatement à la vodka. » Ce musée n’est d’ailleurs pas le seul consacré à cet alcool en Russie. Un établissement beaucoup plus grand existe à Saint-Pétersbourg, le Musée de la Boisson Nationale Russe. Bien que la vodka soit probablement née en Pologne, dès le XIIIe siècle, les Russes l’avaient adoptée comme leur boisson nationale, et le gouvernement transforma rapidement sa production en une source importante de revenus. Le tsar Ivan III, en 1472, institua le premier monopole d’État sur la production de vodka.

Le dernier tsar, Nicolas II, interdit la vente de vodka en 1914, ce qui provoqua une perte de revenus pour l’État, une colère généralisée, et incita les Russes à utiliser des céréales vitales pour leur survie afin de fabriquer de l’alcool de contrebande. Au fil des années, le contrôle étatique sur la production et la prohibition de la vodka alternèrent. Lorsque Joseph Staline accéda au pouvoir dans les années 1920, il remit la production entre les mains du gouvernement. La vodka représenta bientôt 20 % des revenus de l’État.
La production de vodka maintenue pendant la Seconde Guerre mondiale
Dans les années 1930, durant plusieurs famines dévastatrices, Joseph Staline, l’un des dirigeants les plus impitoyables de l’histoire, insista pour augmenter la production de vodka en utilisant les céréales et pommes de terre dont la population avait pourtant grand besoin pour survivre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la production de vodka se poursuivit, avec une ration quotidienne accordée aux soldats soviétiques. Peut-être que le dernier dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, aurait dû s’inspirer de la stratégie de Staline, car lorsqu’il limita en 1985 la disponibilité de la vodka, un groupe de soldats russes échangea son char contre deux caisses de vodka, selon le New York Times.

Ainsi, bien que la vodka fût disponible en Russie pendant la Seconde Guerre mondiale, la quantité était moindre que d’habitude. Néanmoins, épuiser les réserves nationales en moins de 24 heures demeure une prouesse saisissante. Quelques semaines plus tard, Staline organisa une célébration de la victoire au Kremlin, où lui et ses proches portèrent un toast à leur triomphe sur l’Allemagne nazie. Il semblait alors disposer de toute la vodka dont il avait besoin pour fêter l’événement.
