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Le récit de Sir Gawain et le Chevalier Vert

Depuis des siècles, le public est fasciné par les récits du roi Arthur et de ses chevaliers. Ces histoires mêlent des vertus chevaleresques à des intrigues mystérieuses, des passions interdites, des créatures surnaturelles et des quêtes autant spirituelles que matérielles.
On y retrouve notamment :
- les codes de la chevalerie et de l’honneur ;
- des éléments fantastiques et symboliques ;
- la recherche du sens, souvent incarnée par la quête du Graal ou par l’épreuve intérieure des héros.
Si Arthur, Lancelot et Guenièvre sont des noms familiers, Sir Gawain — protagoniste central du poème médiéval — l’est moins du grand public. Le film de 2020 réalisé par David Lowery met en vedette Dev Patel dans le rôle de Sir Gawain, qui, malgré le titre, n’est pas le Chevalier Vert lui‑même.
Le poème qui inspire ce récit porte le titre de Sir Gawain and the Green Knight. Datant d’environ 1400, il est considéré par les spécialistes comme l’une des œuvres majeures de la littérature anglaise et comme un sommet de la poésie en moyen anglais. Au-delà de sa valeur littéraire, c’est avant tout une grande aventure morale et initiatique.
Vous ne l’avez pas lu ? L’original en moyen anglais est difficile d’accès, aussi voici un primer sur l’intrigue de base — attention, la suite contiendra des révélations importantes sur l’histoire.
Qui est le chevalier au centre du récit ?

Pour comprendre Sir Gawain et le Chevalier Vert, il convient de s’attarder sur le personnage incarné par Dev Patel. Sur grand écran, il a parfois été réduit à un rôle comique ou délabré — on pense à certaines incarnations où il apparaît ivre ou grotesque — mais les textes médiévaux le présentent d’une toute autre manière.
Dans les légendes arthuriennes du Moyen Âge, Gawain occupe une place de premier plan. Il apparaît plus fréquemment que des figures aujourd’hui plus célèbres comme Lancelot ou Galahad. Fils du roi Lot, souverain des Orcades, et de Morgause (parfois nommée Anna dans les premières versions), il est le neveu du roi Arthur, ce qui explique son rôle central auprès de la cour.
Plusieurs caractéristiques constantes se dégagent de ces récits historiques :
- il est l’un des compagnons les plus fidèles et les plus proches d’Arthur ;
- il incarne souvent un type d’homme « accessible », un chevalier auquel le lecteur peut s’identifier ;
- il réussit parfois des quêtes où d’autres chevaliers échouent, montrant persévérance et courage ;
- les récits qui le mettent en valeur soulignent des qualités chevaleresques — honneur, compassion, sagesse.
Il est important de noter que, bien que Gawain conserve ces traits dans les textes anciens, son image a parfois dévié dans les œuvres modernes, où il peut apparaître comme violent ou déchu. Cette tension entre la figure chevaleresque originelle et les réinterprétations contemporaines éclaire la richesse et la complexité du personnage au fil des siècles.
Un défi de décapitation pendant les fêtes

Poursuivant le fil de la légende, l’histoire de Sir Gawain et le Chevalier Vert s’ouvre juste après le Nouvel An, alors que Camelot fourmille encore d’animations et de réjouissances. Chants de Noël, tournois, joutes et banquets ponctuent la cour, et les récits abondent au milieu des festins.
Au cœur d’une de ces soirées, les portes s’ouvrent et une silhouette colossale fait son entrée. Ce n’est pas un chevalier ordinaire : tout en lui est vert — vêtements, barbe, et même le cheval — et son aspect plonge l’assemblée dans un silence stupéfait. Il porte dans une main une branche de houx et dans l’autre une hache, et exige de parler au seigneur de Camelot.
Le mystérieux personnage vient avec une proposition singulière, un jeu de Noël destiné à éprouver la vaillance des chevaliers : il remettrait sa hache à l’un d’eux pour qu’il porte un seul coup, à condition que, dans un an et un jour, le Chevalier Vert puisse rendre la pareille. Le défi combine bravoure, honneur et une échéance précise, et laisse l’assemblée sans réaction immédiate.
- Personnages présents : le roi Arthur, sa cour et les chevaliers de Camelot.
- Le pari : un seul coup maintenant ; la restitution du coup après « un an et un jour ».
- Enjeu moral : la promesse faite en public et l’obligation d’y tenir.
Aucun volontaire ne se manifeste d’abord. Quand Arthur s’avance, c’est Gawain qui se porte volontaire à sa place. Le roi l’encourage, Gawain prend la hache et, d’un seul coup, tranche la tête du Chevalier Vert.
Mais la scène se transforme en prodige : le Chevalier Vert ramasse sa tête décapitée, la remet sur sa nuque, remonte en selle et, tournant la tête vers la cour, rappelle à Gawain sa promesse — il doit se présenter au Chemin Vert dans un an et un jour. Le chevalier s’éloigne, et les festivités reprennent, teintées d’un rire nerveux qui trahit l’inquiétude collective.
Ce pacte étrange et spectaculaire constitue l’amorce d’une épreuve qui mettra à l’épreuve l’honneur et la loyauté du protagoniste, et lance ainsi la quête centrale de Sir Gawain et le Chevalier Vert.
En route vers la chapelle verte

Poursuivant l’épisode central de la légende, un an s’écoule et, le 1er novembre — la Toussaint — Sir Gawain est toujours à Camelot. Il se prépare à partir : il fait ses adieux, ses compagnons chevaliers se rassemblent pour le saluer et exprimer un léger deuil face au destin qui l’attend. Malgré la gravité de l’entreprise, il revêt son armure, selle son fidèle destrier Gringalet et prend la route à la recherche de la chapelle verte et du rendez‑vous mortel qui l’attend.
Le récit, cependant, omet volontairement de nombreux détails de ce voyage. L’auteur évoque «périls et souffrances», mais ne décrit pas exhaustivement chaque épisode : on comprend seulement que Gawain parcourt les terres sans trouver la fameuse chapelle. Le texte laisse au lecteur une part d’imagination, dressant la trame d’un périple éprouvant plus que la liste complète des rencontres.
- Au fil de sa route, il croise et affronte des créatures et adversaires redoutables :
- dragons, loups et hommes sauvages ;
- torrents de combats contre des sangliers, des ours et des taureaux ;
- et même une bande de géants rencontrée en chemin.
Mais tout cela n’est que l’aspect extérieur de l’épreuve : bien pire que les combats est la conscience du destin qui l’attend, et les éléments eux‑mêmes — le froid, la pluie et la glace — deviennent des ennemis implacables. Durant ce qui lui semble être ses dernières semaines, Gawain affronte la solitude et le dénuement, seul avec son cheval, à méditer sur l’inéluctabilité de son sort. Cette tension entre exploits guerriers et épreuve intérieure donne à l’épisode une profondeur qui enrichit le mythe de Sir Gawain et le Chevalier Vert.
Un miracle de Noël

Poursuivant son périple, Sir Gawain, après près de deux mois de chevauchée, se retrouve seul, transi et tourmenté la veille de Noël. Dans sa détresse, il adresse une prière pour être conduit vers un abri où il pourrait assister à la messe de Noël et invoquer les êtres qu’il chérit le plus.
Sa prière semble trouvée une réponse immédiate : il aperçoit un fossé qui encercle une colline couronnée d’un château imposant. Accueilli par un portier, il est conduit devant le seigneur des lieux, qui incarne toutes les vertus de l’hospitalité chevaleresque — bonté, bienveillance et honneur envers l’étranger fatigué.
Le seigneur lui offre des vêtements secs et un festin somptueux. En retour, Gawain raconte des récits de la cour d’Arthur, et la décision est prise qu’il restera pour célébrer Noël. Parmi les éléments marquants de cet accueil :
- un refuge chaleureux et sûr après de longues journées de route ;
- de nouveaux vêtements qui lui redonnent dignité et confort ;
- un festin et des échanges sur la chevalerie et les exploits de la Table ronde.
Après le repas, il fait la connaissance des dames du château : l’une est jeune et d’une beauté qui rivalise avec celle de Guenièvre, l’autre est âgée, ridée et d’allure frêle. Les fêtes de Noël s’installent, et bien que l’hospitalité l’invite à prolonger son séjour, Gawain reste déterminé à poursuivre sa quête.
Pour la première fois depuis le début de son voyage vers la Chapelle Verte, il rencontre quelqu’un qui sait où elle se trouve — à seulement quelques kilomètres — ce qui renouvelle immédiatement l’urgence de son départ.
L’épreuve du chevalier

Les jours s’égrènent et bientôt il ne reste plus que trois jours avant que Sir Gawain et le Chevalier Vert ne se retrouvent à la Chapelle Verte pour tenir l’engagement mortel. Pressé, Gawain souhaite en finir au plus vite, mais son hôte le rassure : la chapelle n’est qu’une courte chevauchée. On lui offre de passer ces trois jours au château pour se reposer, reprendre des forces après un long voyage et se préparer aux épreuves à venir.
Pour tuer le temps et pimenter un peu le séjour, l’hôte propose un petit pari amical. Les modalités sont simples et acceptées de bonne foi :
- l’hôte partira chasser avec ses hommes pendant la journée ;
- la dame du château tiendra compagnie à Gawain durant cette journée ;
- tout ce que l’hôte et ses hommes rapporteront de la chasse reviendra à Gawain, à la seule condition que celui-ci remette à son tour à l’hôte tout ce qu’il recevra pendant son séjour au château.
Ils scellent l’accord autour d’un verre de vin, d’un esprit mutuel de courtoisie, puis se retirent pour la nuit. Cette entente, à la fois simple et lourde de conséquences, prépare la scène des choix moraux que Gawain devra bientôt affronter.
L’échange

Poursuivant le fil du récit, Sir Gawain se retrouve confronté à une série d’épreuves morales sous le toit de son hôte. La première matinée commence de façon fort inconfortable : la femme du seigneur pénètre dans sa chambre pendant qu’il dort. Gawain, avec une diplomatie mesurée, refuse ses avances sans l’offenser, puis passe la matinée à déjouer ses tentatives tout en ménageant son honneur.
Avant de partir, elle l’embrasse une fois. Le seigneur revient alors de la partie de chasse, offre à Gawain le butin récolté, et en retour Gawain lui donne un baiser — sans révéler d’où il vient, car cela ne faisait pas partie du pacte. Les deux hommes s’en amusent et la journée se termine dans la bonne humeur.
Le deuxième jour reproduit le même schéma : tentatives de séduction, refus maîtrisé et, finalement, un simple baiser échangé entre Gawain et son hôte après la chasse. Rien ne semble changer, mais la répétition installe une tension croissante autour des choix du chevalier.
- Jour 1 : la dame tente de séduire Gawain ; il résiste et reçoit un baiser.
- Jour 2 : même scénario ; Gawain s’en sort de nouveau avec un seul baiser.
- Jour 3 : la tentative prend une tournure différente et introduit un objet décisif.
Le troisième matin, la dame paraît d’abord mélancolique, évoquant le regret de ne plus revoir Gawain et proposant un gage d’affection. Il décline d’abord un anneau, estimant qu’il n’a rien à offrir en retour et que l’objet est trop précieux. Elle lui présente alors une ceinture tressée de soie verte, qu’elle décrit comme un talisman : porté, il protégerait de la mort.
Après un bref instant d’hésitation, Gawain accepte la ceinture. Lorsque le seigneur revient, Gawain ne la remet pas — violant ainsi la stricte entente de l’échange. Ce choix apparemment mineur introduit une tension morale qui pèsera fortement sur la suite de l’histoire de Sir Gawain et le Chevalier Vert.
Respecter sa promesse au Chevalier Vert

Poursuivant l’épreuve centrale de Sir Gawain et le Chevalier Vert, Gawain se prépare à tenir sa promesse. Le héros quitte le château au matin, emportant la ceinture protectrice, et se met en route avec un guide qui le conduit jusqu’aux abords de la chapelle verte.
Le guide l’avertit : l’homme qui l’attend n’est ni clément ni poli — plus grand, plus fort et plus puissant que tout autre, prêt à tuer sans hésitation. Abandonnant la fuite, Gawain choisit d’affronter son destin plutôt que de rompre l’engagement, conscient qu’il se rend peut‑être à la mort.
Au lieu dit, le Chevalier Vert l’attend, la hache à la main. Gawain ôte son heaume et s’agenouille ; le Chevalier porte alors trois coups. Les deux premiers paraissent sans effet, tandis que le troisième entaille légèrement sa nuque. Furieux et surpris — car il estime avoir tenu sa part du marché — Gawain réalise peu à peu le sens de ces gestes.
- Premier coup : une feinte — liée à l’honnêteté de Gawain au sujet des baisers reçus de l’épouse de son hôte.
- Deuxième coup : une nouvelle feinte — encore un commentaire sur la transparence dont Gawain a fait preuve.
- Troisième coup : une blessure réelle — sanction pour le mensonge concernant la ceinture qu’il a gardée.
Le Chevalier révèle ensuite son identité : il n’est pas seulement une force surnaturelle, mais bien l’hôte qui avait accueilli Gawain au château et avec qui il avait conclu un autre pacte. Ce retournement expose la tension entre la survie personnelle et l’honneur chevaleresque, moment clé pour comprendre la psychologie du héros et la morale de la légende.
Ce passage marque un tournant dans l’histoire de Sir Gawain et le Chevalier Vert, où l’épreuve morale devient aussi importante que l’épreuve physique, ouvrant la voie aux conséquences qui suivront.
Celui qui orchestrait le tout

Pour poursuivre l’exploration de Sir Gawain et le Chevalier Vert, il faut revenir sur l’identité de celui qui orchestrait l’épreuve : le chevalier vert lui-même, connu sous le nom de Bernlak de Hautdesert.
Bernlak n’est pas seulement un antagoniste mystérieux ; il révèle, dans le récit, la nature magique de l’événement. Ce n’était pas un hasard ni une simple provocation, mais un stratagème ourdi en coulisses pour tester la vigueur morale des chevaliers de la Table ronde.
La vieille dame du château n’était pas une femme quelconque mais Morgan le Fay, la demi-sœur du roi Arthur et la tante de Gawain. Figure récurrente des récits arthuriens, elle se pose en contrepoint des valeurs courtoises de la cour et use de la magie pour parvenir à ses fins.
Ses motivations sont exposées clairement dans le conte :
- terroriser la reine Guenièvre en lui montrant le géant ramasser sa propre tête, espérant que la frayeur l’emporterait sur elle ;
- démontrer que les chevaliers de la Table ronde n’étaient peut‑être pas aussi vaillants qu’on le racontait.
Aux yeux du chevalier vert, Gawain avait en grande partie démenti les doutes de Morgan : il avait relevé le défi, affronté l’épreuve et, finalement, révélé ses limites humaines.
Bernlak invite Gawain à revenir au château, invitation que Gawain refuse avant de repartir pour Camelot. Sur la route, d’autres aventures lui arrivent — brièvement évoquées dans le texte — mais c’est son retour qui marque le véritable changement.
Hanté par la honte d’avoir préféré sa vie à une vérité sans fard, Gawain jure de porter en permanence la ceinture verte qui symbolise sa faiblesse. En signe de solidarité et d’admiration pour son courage malgré tout, les autres chevaliers promettent de porter, eux aussi, un ruban vert semblable.
Ce geste — mélange d’aveu et de rite collectif — prépare la suite du récit et illustre combien Sir Gawain et le Chevalier Vert interroge la notion de chevalerie et d’honneur.
Personne ne sait qui a écrit « Sir Gawain et le Chevalier Vert »

Selon la British Library, Sir Gawain et le Chevalier Vert — ainsi que les autres œuvres rassemblées dans le même manuscrit — comptent parmi les textes majeurs du Moyen Âge. Et pourtant, l’identité de leur auteur reste un mystère total. Les spécialistes s’accordent à situer la composition du poème à la fin du xivᵉ siècle, tandis que sa mise par écrit et ses enluminures datent du début du xvᵉ siècle.
L’analyse dialectale permet toutefois d’affiner la localisation : le poète paraît originaire des Midlands anglais. Cette précision linguistique est l’une des rares pistes concrètes que les chercheurs possèdent à propos de la provenance de l’œuvre.
On désigne anonymement l’auteur sous le nom de « Pearl Poet », tiré d’un autre récit contenu dans le même manuscrit. Ce texte, d’une grande complexité narrative, met en scène un père accablé par la perte de sa fille : il s’endort dans son deuil et fait la vision de sa fille, devenue jeune femme au paradis, dialoguant avec elle pour accepter sa douleur et sa foi.
Parmi les autres compositions attribuées au même poète figurent :
- Pearl — le récit qui a donné son nom au poète.
- Cleanness (Purity) — une réécriture des paraboles bibliques autour de la pureté spirituelle.
- Patience — qui réemploie le récit de Jonas pour illustrer la vertu de l’endurance.
Cette incertitude quant à l’auteur renforce le caractère énigmatique de Sir Gawain et le Chevalier Vert et alimente, encore aujourd’hui, les recherches et les débats autour de la légende arthurienne et de la poésie allitérative du Moyen Âge.
Le manuscrit original du Chevalier Vert
En poursuivant l’exploration de Sir Gawain et le Chevalier Vert, on découvre que le manuscrit original est exceptionnel à bien des égards. Il ne reste qu’un seul exemplaire de cette époque, ce qui rend la survie du texte presque miraculeuse. Le document est conservé dans une collection majeure, accessible sous conditions strictes et maintenue dans un environnement climatisé pour préserver ce fragile témoignage médiéval.
Bien que le poème soit attribué au « Pearl Poet », l’écriture matérielle du manuscrit résulte d’un travail collectif : un scribe a copié le texte et un enlumineur (limner) a réalisé les illustrations. Ces dernières sont souvent qualifiées de rudimentaires ou maladroites, mais leur simplicité contribue au charme et à l’authenticité du document.
La trajectoire du manuscrit à travers les siècles explique aussi sa rareté :
- Il réapparaît dans les archives au début du XVIIe siècle, au sein de la bibliothèque d’un notable du Yorkshire, Henry Saville.
- Il passe ensuite entre les mains de collectionneurs comme Sir Robert Cotton, connu pour avoir préservé d’autres textes médiévaux majeurs, dont Beowulf.
- Ce n’est qu’à l’époque victorienne que les chercheurs redécouvrent et étudient pleinement l’œuvre, attirant l’attention sur l’importance littéraire et historique de Sir Gawain et le Chevalier Vert.
Cette chaîne de conservation, en apparence fortuite, explique pourquoi le manuscrit demeure aujourd’hui une source précieuse pour comprendre la chevalerie, la poésie médiévale et la transmission des légendes arthuriennes.
