Une tradition orale vieille de dizaines de milliers d’années

À environ 4 000 ans, l’épopée mésopotamienne de Gilgamesh est souvent citée comme la plus ancienne œuvre littéraire survivante. Pourtant, si l’on considère la continuité d’un récit transmis oralement, une tradition aborigène du sud-est de l’Australie devance largement cette datation. Ce faisant, elle redessine notre compréhension de l’histoire humaine en montrant que certains récits peuvent perdurer pendant des dizaines de millénaires.
Dans la culture aborigène, le concept généralement traduit par « Dreaming » ou « Dreamtime » décrit une période mythologique où des êtres ancestraux ont façonné le monde naturel. Pour une présentation synthétique de ce concept, voir la notice consacrée au Dreaming sur Encyclopedia Britannica. Chez les Gunditjmara, l’un des récits du Dreaming met en scène Budj Bim, un être créateur qui aurait été transfiguré lors d’une importante éruption en ce qui est aujourd’hui un volcan éteint.
La tradition orale des Gunditjmara conserve ce récit de Budj Bim, et des recherches récentes établissent un lien frappant entre le mythe et des événements géologiques bien datés. Des études menées par des chercheurs de l’université de Melbourne proposent que cette histoire pourrait remonter à l’époque de grandes éruptions volcaniques locales, ce qui en ferait l’un des plus anciens récits humains encore transmis.

La mise en relation du récit et de la chronologie géologique repose sur plusieurs éléments de preuve scientifique. Les points clés sont les suivants :
- Le repérage de sites d’habitation dans le sud-est de l’Australie datés de plus de 30 000 ans grâce à l’analyse du charbon et des minéraux de quartz, malgré l’absence d’artefacts céramiques ou de structures permanentes.
- L’emploi du datage argon-argon, méthode fondée sur la désintégration radioactive du potassium en argon, pour estimer l’âge des coulées et dépôts volcaniques.
- Les résultats publiés en 2020 par Erin Matchan et David Phillips, qui donnent pour l’éruption du Budj Bim un âge d’environ 36 900 ± 3 100 ans, et pour celle de Tower Hill environ 36 800 ± 3 800 ans (données résumées dans cet article de l’université de Melbourne : pursuit.unimelb.edu.au).
- La découverte, dès les années 1940, d’une hache en pierre ensevelie sous des cendres attribuées à l’éruption de Tower Hill, élément matériel corroborant la présence humaine au moment de l’événement (ScienceAlert).
Pour Matchan et Phillips, la convergence entre datations volcaniques, indices d’occupation humaine et la persistance du récit de Budj Bim plaide en faveur d’une origine vieille de plus de 30 000 ans pour cette histoire. Ces résultats invitent à repenser la longévité des traditions orales et leur rôle dans la transmission de connaissances géologiques et culturelles à travers les millénaires.
La section suivante examine plus en détail les méthodes de datation et les implications de ces découvertes pour l’étude des premières populations humaines en Australie.
