La vie des paysans médiévaux était déjà un combat quotidien contre la pauvreté, le travail harassant et la menace constante de la peste bubonique. À cela s’ajoutait une privation majeure : l’accès interdit à une denrée très prisée et abondante, réservée aux élites. Selon une étude publiée en 1992 dans Agricultural History Review, on comptait jusqu’à 3 000 parcs à cerfs en Angleterre médiévale. La gestion de ces animaux, véritable élément de l’agriculture médiévale, restait un privilège des classes supérieures.
Parmi ces domaines royaux, il existait 70 grandes forêts où le cerf était strictement réservé au roi. Seuls les nobles de haut rang pouvaient obtenir l’autorisation de chasse, et la plupart des parcs les plus vastes appartenaient aux familles riches. La viande de cerf, ou venaison, était un mets très recherché, mais rarement mise en vente. Les propriétaires la conservaient jalousement pour leur usage exclusif, tandis que lorsqu’elle était commercialisée, son prix élevait encore plus son caractère élitiste. Cette rareté renforçait la valeur sociale de la venaison, car sa disponibilité à tous aurait dévalué ce symbole de distinction aristocratique.
Cependant, l’interdiction n’a jamais vraiment empêché la tentation. Une découverte archéologique réalisée en 2008 a révélé un puits en pierre datant des XVe et XVIe siècles, contenant plus de 100 ossements de daim, d’environ 13 animaux. L’étude des os indique qu’ils proviennent principalement de jeunes animaux abattus entre mai et juillet, hors de la période légale de chasse qui s’étendait de l’automne à février. Plus étonnant, ces os regroupaient surtout des membres inférieurs, des têtes et des bois, éléments peu générateurs de grosse quantité de viande.
Cette particularité a mené les chercheurs, notamment Melinda Holmes, à avancer qu’il s’agit du travail de braconniers, qui dépeçaient les animaux illégalement pour revendre la viande sur un marché noir florissant. Ces vestiges montrent comment les peaux étaient récupérées, les carcasses découpées et les preuves soigneusement dissimulées, laissant uniquement les parties les moins intéressantes dans ce puits. Ce commerce clandestin touchait toutes les classes sociales : la noblesse chassait pour le loisir, tandis que les paysans médiévaux fournissaient un réseau actif de venaison et de cuir de cerf illégaux.
