Surnommée « l’église des 40 000 cadavres », la chapelle de Sedlec en République tchèque ne présente pas un décor ordinaire. Située à environ 80 kilomètres à l’est de Prague, elle renferme des chalices, des ornements muraux et même un lustre, tous fabriqués à partir des ossements de plus de 40 000 squelettes. Environ 30 000 d’entre eux appartenaient à des victimes de la peste noire au XIVe siècle, un nombre effroyable qui n’est pourtant qu’une infime partie du bilan global de cette pandémie.
En effet, on estime que la peste a causé la mort d’environ 25 millions de personnes en Europe, ce qui représentait plus d’un tiers de la population à l’époque. Le spécialiste Ole Jørgen Benedictow avance même qu’environ 60 % des Européens ont péri lors de cette crise. Cette épidémie causait une souffrance extrême : les malades développaient de douloureuses bubons — ganglions lymphatiques enflammés — souvent accompagnées de vomissements ou de toux sanglante, menant à la mort en quelques jours seulement.
Cette catastrophe sanitaire fut si terrible qu’elle reçut le surnom de « mort terrible » plutôt que « peste noire », une nuance étymologique intéressante, le terme latin « atra mors » pouvant signifier à la fois « noire » et « terrible ».
Progressivement, ce sinistre fléau s’est estompé, ouvrant la voie à la lente reconstruction des sociétés européennes. Mais comment la peste noire a-t-elle finalement pris fin ?
En réalité, les historiens ne peuvent pas déterminer avec certitude le moment exact ni le mécanisme précis qui ont mis un terme à la grande peste. Les dates varient selon les sources, certaines évoquant la période 1347-1351, tandis que d’autres, comme Benedictow, parlent de 1346-1353. De plus, même si le terme « peste noire » désigne cette période bien définie, le fléau a continué à sévir par vagues en Europe, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie pendant plusieurs siècles.
La dernière grande épidémie en Europe survint à Londres entre 1665 et 1666. Certains attribuent l’arrêt de la propagation à des progrès médicaux et à des mesures sanitaires telles que la quarantaine et l’isolement des malades. D’autres spécialistes envisagent une évolution génétique, tant du bacille responsable que des populations humaines, interrompant ainsi le cycle des contagions. Une certitude demeure : la peste noire a marqué l’histoire par sa longévité exceptionnelle et sa gravité dévastatrice.
La peste noire est aussi à l’origine d’une pratique devenue essentielle : la quarantaine. Dérivée du terme italien « quaranta » signifiant quarante, cette mesure imposait aux navires en provenance de zones infectées de rester au mouillage pendant quarante jours avant de pouvoir accoster. Cette pratique différait de l’isolement des malades, puisqu’elle concernait également les personnes apparemment saines exposées au risque de contagion.
Certaines villes adoptèrent des mesures radicales. En 1374, le vicomte Bernabo de Reggio en Italie ordonna que toute personne atteinte de la peste soit emmenée en dehors de la ville pour y mourir ou s’en remettre. En 1377, le conseil de Raguse (aujourd’hui Dubrovnik, Croatie) rendit la quarantaine obligatoire pendant 30 à 40 jours pour tous les arrivants venant d’une région touchée. Une des premières cliniques spécialisées fut également établie en périphérie des villes pour soigner les malades, témoignant d’une évolution dans la gestion sanitaire qui perdura jusqu’au XXe siècle.
La peste noire n’a jamais totalement disparu, mais elle a perdu de sa virulence. Son agent pathogène actuel, Yersinia pestis, est issu d’une évolution à partir d’une autre bactérie moins dangereuse appelée Yersinia pseudotuberculosis. Deux mutations majeures ont donné naissance aux formes les plus létales : la peste pneumonique, qui infecte les poumons et se transmet par la toux, et la peste bubonique, caractérisée par des ganglions enflammés.
Une analyse génétique menée en 2011 sur des restes humains londoniens suggère que les souches responsables de la pandémie médiévale se sont éteintes. Il semble que l’évolution humaine ait joué un rôle important, les populations touchées ayant développé une certaine immunité. Par exemple, certaines populations européennes et les Roms ont vu leur ADN s’adapter, contrairement à des régions comme l’Inde, touchée seulement au XIXe siècle, où ces défenses génétiques n’étaient pas présentes. Des recherches récentes laissent même penser que cette résistance génétique à la peste pourrait avoir renforcé la protection contre d’autres maladies, telles que le VIH.
