La notion de « toile du destin » n’est pas une idée récente. Depuis toujours, elle offre une métaphore puissante aux peuples à travers les âges pour exprimer leur frustration face aux enchevêtrements complexes des classes sociales, de la richesse, de la culture et de la religion, autant de pressions contraignantes qui façonnent des choix parfois indésirables. Cette toile symbolise également le réseau d’interactions naturelles sur lequel dépendaient les chasseurs et les agriculteurs pour leur survie.

Ce point de départ est essentiel pour comprendre le « Web de Wyrd » païen nordique, berceau étymologique du terme moderne « weird » (« étrange » en anglais). Selon des sources spécialisées sur les Vikings, ce Web de Wyrd illustre un principe selon lequel les choix effectués en un lieu entraînent des conséquences ailleurs. Les sociétés nordiques, semblables aux adeptes contemporains de croyances païennes, croyaient aux « omens », ces présages considérés comme des répercussions palpables sur la toile tendue de cause à effet qu’est le Wyrd. Certains observateurs avertis peuvent y voir une analogie avec l’« intrication quantique non locale », un phénomène en physique quantique où deux particules liées peuvent influencer leur état simultanément malgré la distance.
Le Web de Wyrd a inspiré les « Weird Sisters » évoquées par Shakespeare au début de « Macbeth », ces prophétesses annonçant le destin inéluctable du roi. Cette conception du destin était également présente chez les anciens Grecs et Romains, avec leurs Trois Parques grecques (Clotho, Lachesis et Atropos) et leurs Moires romaines (Nona, Decima, Morta). Dans la mythologie nordique, elles prennent la forme des Norns : Wyrd, Verdandi et Skuld. Ces similitudes ont conduit certains chercheurs à considérer une origine commune des récits autour du destin.
Les Norns : les trois sœurs du Destin

Ce Web, parfois appelé « la Toile de Skuld », occupait une place centrale dans la société nordique issue de la Scandinavie actuelle (Norvège, Suède, Danemark). Les Norns, ces trois sœurs du destin – Wyrd, Verdandi et Skuld – tissaient, selon la mythologie nordique, le fil de la vie d’un individu avant même sa naissance. Certains événements étaient inévitables, et le destin, aveugle et insensible, s’imposait à tous, nobles ou paysans. Ces entités anciennes, distinctes des dieux, contrôlaient la trame de l’existence selon leur volonté. Mieux encore, l’épopée anglo-saxonne « Beowulf », rédigée vers l’an 1000, fait référence à Wyrd, souvent traduit par « destin » ou « fatalité ». Ainsi, Beowulf évoque son « Wyrd » en affrontant le monstre Grendel, affirmant que « souvent le destin épargne un homme non condamné lorsque son courage est à la hauteur », illustrant ainsi l’idée que « la fortune sourit aux audacieux ».
La croyance au Wyrd s’est diffusée en Angleterre via les Vikings, ces guerriers et commerçants marins actifs durant l’Âge Viking (environ 800-1050 après J.-C.). Ils ont voyagé à travers l’Angleterre anglo-saxonne, l’Écosse, la France, l’Islande, le Groenland, le continent nord-américain et bien au-delà. Leur influence fut telle que le nom des dieux nordiques Tyr, Odin, Thor et Freya subsiste aujourd’hui dans les jours de la semaine : mardi (Tuesday), mercredi (Wednesday), jeudi (Thursday) et vendredi (Friday). La langue vieil-norrois s’est même greffée sur l’anglais ancien.
Un symbole runique entremêlé

Le Web de Wyrd fut aussi représenté sous la forme d’un symbole runique tissé, évoquant les runes qu’Odin découvrit alors qu’il était suspendu la tête en bas à l’arbre-monde Yggdrasil. Ce dernier illustre l’interconnexion de toute vie. Au cœur de cette conception, les neuf royaumes (Midgard pour les humains, Asgard et Vanaheim pour les dieux, Jotunheim pour les géants, etc.) prennent racine dans Yggdrasil. La figure du Web de Wyrd, constituée de neuf lignes, six points et de multiples triangles imbriqués — le nombre neuf ayant une forte symbolique dans la culture nordique — figure la manière dont les phases de la vie sont à la fois liées et indissociables. Visuellement, il évoque soit un maillage de branches, soit un tissu tissé subtilement.
Il n’est par ailleurs pas anodin que les Norns soient représentées en femmes tissant. Une épouse pouvait, par exemple, réaliser une tapisserie évoquant la victoire espérée lors de la prochaine bataille de son mari. Le terme « Wyrd » est lui-même un nom féminin issu du verbe vieil-norrois « weorþan », signifiant « advenir ». Le poème « Völundarkvik », issu de l’Edda poétique du XIIIe siècle, offre un témoignage clair de cette image des Norns en train de filer le destin au bord de l’eau.
