Pour de nombreux Irlandais, l’identité nationale est étroitement liée à quelques produits agricoles, dont la pomme de terre. Pourtant, cette culture a été au cœur d’un épisode tragique de l’histoire irlandaise.
En 1845, une maladie ravagea l’Irlande, non pas en frappant directement les humains, mais leurs récoltes. Un organisme, qui s’est propagé dans tout le pays, détruisit la moitié de la production de pommes de terre la première année, puis environ les trois quarts des récoltes des sept années suivantes. Cet épisode est resté connu sous le nom de Grande Famine de la pomme de terre, ou Grande Famine irlandaise. Ce n’est qu’en 2013, après de nombreuses années d’études, que les scientifiques ont identifié l’agent responsable : un microorganisme ressemblant à un champignon, le Phytophthora infestans.
La dépendance des Irlandais à la pomme de terre, leur principale source de nourriture, fit de cette crise un drame humain majeur : on estime qu’un million de personnes mourut avant la fin de la famine en 1852, tandis que plusieurs millions d’autres furent contraintes d’émigrer, principalement vers les États-Unis, en quête d’une vie meilleure.
Cette situation fut aggravée par le fait que l’Irlande exportait alors de grandes quantités de nourriture vers la Grande-Bretagne. Malgré la disponibilité de grains suffisants, leur mauvaise répartition empêcha une aide efficace, et les mesures britanniques pour venir en aide aux Irlandais furent tardives et insuffisantes.
Des échantillons d’ADN vieux de plus de 150 ans
La famine s’est prolongée en raison d’une monoculture intensive : les agriculteurs irlandais plantaient presque exclusivement la variété de pomme de terre appelée « Irish lumper ». Cette absence de diversité génétique facilita la propagation du Phytophthora infestans, qui transformait les tubercules infectés en bouillie moisie, contaminant rapidement les autres plants.
Bien qu’on connaisse la variété impliquée, il fallut près de 170 ans pour identifier avec précision la souche exacte du parasite responsable. Grâce à l’analyse génétique d’échantillons historiques de pommes de terre conservés en Irlande, au Royaume-Uni, en Amérique du Nord et en Europe, les chercheurs ont séquencé le gène du pathogène. Ces échantillons, vieux de plus d’un siècle, contenaient encore des traces d’ADN exploitables.
En seulement quelques semaines, la technologie moderne a permis de résoudre ce mystère qui avait résisté plus d’un siècle, démontrant ainsi la puissance des progrès scientifiques appliqués à l’histoire agricole.
Une souche disparue, mais aux conséquences durables
La souche identifiée, nommée HERB-1, provient probablement de la vallée de Toluca au Mexique, apparue au début du XVIe siècle. Elle fut responsable non seulement de la Grande Famine, mais également d’autres pénuries alimentaires survenues à différentes époques. Arrivée en Europe au XIXe siècle, elle se répandit rapidement en Irlande et provoqua le désastre.
La souche HERB-1 est aujourd’hui éteinte, supplantée par d’autres variants du Phytophthora infestans. Les améliorations agricoles du XXe siècle, incluant la diversification des variétés de pommes de terre cultivées, ont permis de mieux résister à ces parasites.
Au-delà de la crise humanitaire, la Grande Famine fut un tournant décisif dans l’histoire irlandaise, alimentant les revendications d’indépendance et provoquant une émigration massive. Certaines études suggèrent que la population irlandaise n’a toujours pas retrouvé ses chiffres d’avant la famine.
Et si vous pensez que ce genre de catastrophe est révolue, réfléchissez-y à deux fois : la menace d’une nouvelle pénurie de pommes de terre, ou même de frites, n’est jamais complètement écartée.