Avant l’ère du selfie, les portraits peints capturaient l’essence d’une personne et contribuaient à perpétuer son héritage. Dès l’Antiquité – chez les Égyptiens, les Grecs et les Romains – la portraiture jouait un rôle important, mais ce n’est qu’en 1505, sous le règne du roi Henri VIII, que la famille royale britannique a commencé à immortaliser ses membres sur toile, à partir de modèles vivants.
Le duc d’Édimbourg, Prince Philip, qui nous a quittés le 9 avril 2021, s’est prêté à son dernier portrait en 2017, avant de se retirer des services publics. Installé pendant une heure dans le grand corridor de Windsor Castle, lieu parsemé d’œuvres d’art et de bustes en marbre, il posait dans sa tenue formelle pour le peintre Ralph Heimans, artiste de longue date auprès de la royauté.
Le tableau révèle bien plus qu’une simple apparence. Pour souligner des aspects intimes de sa vie, Heimans a œuvré en étroite collaboration avec le duc afin d’intégrer, de manière subtile, des éléments marquant son histoire personnelle. Par exemple, le corridor peint conduit en réalité à une pièce essentielle : le lieu de naissance de la mère du prince, la princesse Alice de Battenberg, et de sa grand-mère, la princesse Victoria de Hesse. Ce chemin, présent également dans les appartements privés du duc et de la reine – espace qu’ils ont partagé pendant 73 ans et où le duc s’est éteint – symbolise, selon Heimans, la trajectoire même de sa vie.
Parmi les détails personnels, la présence de tableaux reproduits dans le portrait lui-même se distingue : l’un d’eux, positionné en face du duc, représente la reine Victoria et la famille royale danoise, avec notamment l’image de la mère de Prince Philip dans sa jeunesse. De plus, pour rendre hommage à ses origines danoises, le duc porte l’Ordre de l’Eléphant sur une ceinture bleue. Cet ordre, institué en 1460, arborait à l’origine des représentations de la Vierge Marie et de l’Enfant Jésus, accompagnées d’une chaîne ornée d’éléphants, avant d’évoluer en 1693 pour inclure une chaîne, un éléphant harnaché d’une tour, une ceinture bleue et une étoile positionnée sur la poitrine gauche.
La dimension historique et personnelle était au cœur de ce portrait, d’autant plus que l’œuvre fut en partie commanditée par un musée danois consacré à l’histoire nationale. Le duc avait lui-même choisi d’exposer à l’autel de la chapelle Saint-Georges plusieurs médailles et décorations reçues au cours de sa vie, parmi lesquelles figurent l’Ordre de l’Eléphant et l’Ordre du Rédempteur, symboles forts de ses origines. Par ailleurs, le drapeau, divisé en quatre quartiers, recouvrant son cercueil, reflète une double appartenance danoise et grecque – une section arborant les armoiries danoises, avec son carré jaune, trois lions bleus allongés et neuf cœurs rouges, et une autre reprenant le drapeau grec avec sa croix blanche et ses rayures bleues – tandis que les deux dernières sections évoquent d’autres facettes de sa vie, incluant le château d’Édimbourg ainsi que les rayures en noir et blanc associées à la famille Mountbatten.
En somme, ce portrait de Prince Philip se distingue par l’attention portée aux détails historiques et personnels, créant ainsi une œuvre visuelle riche et symbolique, véritable reflet de l’héritage du duc d’Édimbourg.