Sommaire
La richesse et le statut n’offrent aucune protection contre la critique ; ils ne font que réduire le volume des murmures. Depuis que les premiers groupes humains ont décidé qu’ils avaient besoin d’un dirigeant, idéalement coiffé d’un chapeau somptueux, l’expérience de la monarchie a toujours été, au mieux, ambiguë. Conférer à une personne le message qu’elle est exceptionnellement choisie par Dieu, et lui donner le pouvoir de vie et de mort sur tout un peuple, ne favorise guère la stabilité émotionnelle, surtout lorsque ladite personne vient d’une lignée que l’on qualifiera pudiquement d’étroite.
Certaines reines ont été cruelles, certains rois ont dérivé vers la folie, mais un nombre bien plus important de membres royaux se sont distingués par leur excentricité. En dépit du fait que grandir dans un palais, souvent avec un fort taux de consanguinité, ne prépare pas idéalement à faire face aux défis de la vie, certaines des plus anciennes familles royales ont donné naissance à des esprits parmi les plus singuliers de l’histoire.
La Prusse évoque souvent une rigueur militaire et un formalisme strict. Ce royaume issu de la côte baltique, devenu membre dominant de l’Empire allemand, n’est pas particulièrement associé à la légèreté, encore moins à des comportements sexuels débridés. Pourtant, comme partout ailleurs, les élites prussiennes vivaient leurs passions en secret. Et la princesse Charlotte, sœur du célèbre Kaiser Guillaume II, semblait tout savoir de leurs escapades.
Loin du rôle traditionnellement attendu d’une princesse, Charlotte détestait être enceinte mais adorait les potins. En 1891, elle invita plusieurs membres influents et séduisants de la haute société prussienne dans un pavillon de chasse près de Berlin, où se tenaient des orgies arrosées. Après l’une de ces soirées, plusieurs participants reçurent par courrier des lettres de chantage explicites, certaines accompagnées d’illustrations, menaçant de révéler ces événements en échange d’argent.
Les indices convergent vers Charlotte comme instigatrice de ce chantage : elle avait organisé les rassemblements; les lettres, rédigées vraisemblablement à la main par une femme, étaient truffées de remarques acerbes sur d’autres invitées. Par ailleurs, à la même période, le journal intime de Charlotte parvint à son frère, qui, horrifié par son contenu, lui coupa les vivres et envoya son mari dans la lointaine Breslau, loin de l’effervescence libertine de Berlin.
À première vue, l’histoire d’Irène d’Athènes peut séduire. Orpheline sans ressources, elle attira le regard de l’empereur byzantin Constantin V, qui la fit épouser à son héritier, Léon. Après la mort prématurée de Léon IV, Irène gouverna l’empire au nom de leur fils Constantin VI, âgé de neuf ans. Lorsque ce dernier mourut lui aussi jeune, elle s’imposa comme impératrice à part entière – refusant le titre d’« impératrice » au profit de celui d’« empereur », portant couronne et autorité comme un souverain masculin.
Durant son règne, elle envisagea d’unir son destin à celui de Charlemagne et modifia la position de l’Église sur le culte des images, au point d’être sanctifiée dans l’Église grecque sous le nom de sainte Irène. Pourtant, une lecture plus attentive révèle une toute autre facette, bien plus sombre.
Irène aimait le pouvoir plus que son empire, plus que même son propre fils Constantin VI. Sa gouvernance fut marquée par des manœuvres implacables visant à éliminer ceux qu’elle jugeait menaçants, en tête de liste : son propre fils. Constantin fut humilié par des actes de cruauté tels que l’arrachement de la langue, la marque infamante par tatouages infligée aux soldats vaincus, et même accusé de bigamie, un stratagème d’Irène pour affaiblir son autorité.
En 797, Irène renversa son fils du trône et le fit aveugler dans la même chambre où il était né. Cette méthode byzantine, conçue pour éliminer un prétendant au trône sans verser le sang, échoua puisque Constantin décéda des suites de cette mutilation. Irène régna ensuite, cinq années nerveuses et fragiles, avant d’être destituée par son propre ministre des finances. Elle mourut en exil, sur l’île de Lesbos.
Prince Dipendra du Népal
Le prince héritier Dipendra du Népal disposait de tout ce qu’une personne pourrait raisonnablement espérer : richesse, privilèges, et la promesse de devenir un jour roi d’un pays himalayen magnifique. Il devait cependant relever un défi de taille, car son père Birendra avait habilement conduit le pays vers une monarchie constitutionnelle, tandis que sa mère Aishwarya s’opposait farouchement à son mariage avec une simple descendante d’un maharajah indien. Ces obstacles, bien que sérieux, paraissaient surmontables.
Mais le destin en a décidé autrement. Selon les rapports officiels, le 1er juin 2001, lors d’une tragédie connue sous le nom de « massacre royal népalais », Dipendra, sous l’influence de l’alcool et de stupéfiants, aurait abattu huit membres de sa famille avant de retourner l’arme contre lui-même.
Ce jour-là, au cours d’une réunion familiale privée, Dipendra aurait consommé du whisky, de la marijuana ainsi qu’une substance mystérieuse, avant de composer des appels presque incohérents à sa petite amie. Ensuite, habillé en treillis et armé, il aurait traversé le palais de Katmandou, tirant successivement dans la salle de billard et le jardin, causant la mort de ses parents, de ses frères et sœurs ainsi que d’autres proches.
Cependant, cette version officielle suscite de nombreux doutes parmi les Népalais. Certains pointent notamment le fait que Birendra, son épouse et leurs trois enfants soient morts, tandis que le frère de Birendra, Gyanendra, sa femme et leurs trois enfants ont survécu. Gyanendra a ensuite accédé au trône dans des circonstances troublantes, notamment durant la période où Dipendra, comateux, fut techniquement roi. Ce règne a pris fin en 2008, avec l’abdication de Gyanendra.
Le prince héritier Rudolf d’Autriche-Hongrie
À la fin de son règne, la dynastie des Habsbourg en Autriche-Hongrie fut marquée par une succession de tragédies scandaleuses qui ébranlèrent profondément la maison impériale. Parmi ces événements, l’un des plus choquants et politiquement désastreux fut le meurtre-suicide du prince héritier Rudolf et de sa maîtresse de 17 ans, Maria Vetsera, dans un pavillon de chasse autrichien en 1889.
Rudolf, passionné d’ornithologie et devenu libéral selon les normes peu libérales de l’époque de la Belle Époque austro-hongroise, se sentait étouffé, contraint d’attendre la mort de son père, l’empereur Franz Josef, réputé pour son conservatisme rigide. Ce dernier vécut jusqu’en 1916, prolongeant ainsi cette attente. Rudolf, ainsi que la majorité de sa famille, ne portait guère d’estime à son épouse Stéphanie de Cobourg, perçue comme peu séduisante et sans le prestige espéré. Pour se distraire des pressions et des conflits familiaux, Rudolf se réfugia dans des liaisons amoureuses, dont la plus fatale fut sa relation avec Maria Vetsera.
Les circonstances exactes ayant conduit à ce pacte fatal restent incertaines, mais il est établi qu’ils convinrent de se suicider ensemble. Selon la version la plus plausible, Rudolf aurait d’abord tué Maria puis se serait donné la mort. Pourtant, certaines théories, à l’époque comme aujourd’hui, suggèrent que Maria aurait pu empoisonner Rudolf, ou que l’affaire serait liée à un avortement raté, parmi d’autres hypothèses. La mort de Rudolf, unique fils héritier du couple impérial et père d’une fille, modifia radicalement la succession au trône. Le nouvel héritier désigné devint alors François-Ferdinand, dont l’assassinat en 1914 déclencha la Première Guerre mondiale.
Maria I du Portugal mena une existence loin d’être facile, même à l’échelle des vies royales. En tant qu’héritière, elle ne pouvait épouser un étranger, ce qui la conduisit à s’unir à son oncle — une alliance qui, semble-t-il, reposait sur une véritable affection mutuelle. En 1755, alors qu’elle était encore jeune, Lisbonne fut dévastée par un séisme suivi d’un tsunami, anéantissant une grande partie de la capitale, y compris la résidence principale de la famille royale. Seule une escapade à la campagne permit à la famille de survivre, évitant le tragique sort de nombreux habitants.
Connue pour sa nature fondamentalement bienveillante, Maria I fut une souveraine douce, qui revint sur certaines mesures sévères imposées par son père. Elle jouit d’une réputation favorable tant au Portugal que dans la colonie la plus majeure de l’empire, le Brésil. Cependant, elle héritait également de troubles mentaux affectant la lignée maternelle. Ses premiers symptômes de mélancolie et d’intense piété, manifestés par une chambre remplie de statuettes de saints, passaient pour tolérables chez une reine catholique.
Mais après une série de chocs personnels — la perte de proches et les remous de la Révolution française — son état se dégrada rapidement. Incapable de distinguer symptômes et péchés, elle se persuadait qu’elle était damnée, subissant de violents changements d’humeur qui la forcèrent à confier le pouvoir à son fils.
Lorsque les armées napoléoniennes menacèrent Lisbonne, Maria I accompagna sa famille exilée au Brésil. Selon les récits, elle ne comprenait pas pourquoi elle était embarquée et criait sans relâche durant la traversée de l’Atlantique. Peut-être par compassion, elle ne revint jamais en Europe, s’éteignant avant le retour.
La reine Christine de Suède
Christine de Suède incarne parfaitement l’idée que l’« étrange » ne signifie pas forcément « négatif ». Couronnée à seulement six ans après la mort de son père lors de la bataille de Lützen pendant la Guerre de Trente Ans, elle devint la dirigeante nominale d’un royaume suédois bien plus étendu qu’aujourd’hui et profondément impliqué dans un conflit complexe.
Brillante dès son plus jeune âge, Christine maîtrisait au moins six langues. Dès qu’elle accéda pleinement au pouvoir, elle fonda le premier journal de Suède, échangea avec les philosophes de son temps et participa activement à la rédaction du Traité de Westphalie, qui mit fin à cette guerre dévastatrice ayant duré des générations.
Pourtant, après seulement dix ans de règne, elle abdiqua en faveur de son cousin. Adoptant une tenue masculine, elle s’installa à Rome où, anciennement luthérienne, elle se convertit au catholicisme, ce qui réjouit le pape. Refusée dans ses demandes de régner sur Naples, puis sur la Pologne, elle fit preuve d’une persévérance sans faille.
Malgré la perte de sa couronne, Christine demeura une figure intellectuelle emblématique, riche et opiniâtre. Elle consacra le reste de sa vie à l’apprentissage, l’écriture et le mécénat artistique, tout en défendant la tolérance envers des minorités souvent marginalisées, telles que les Juifs de Rome et les Protestants en France. Parmi ses œuvres, son autobiographie se distingue, qu’elle dédia à Dieu.
Princess Margaret du Royaume-Uni
Princess Margaret, sœur de feu la reine Elizabeth II, se distinguait nettement de sa célèbre sœur au comportement exemplaire. Contrairement à Elizabeth, Margaret fumait, buvait, fit un mariage malavisé, eut plusieurs aventures, et ne vécut pas aussi longtemps, s’éteignant relativement jeune à 71 ans.
Il est facile de s’attacher à l’image de cette princesse, réputée pour son esprit vif et son glamour saisissant : elle acheta même sa propre tiare pour son mariage au lieu d’emprunter celle de sa sœur.
Pourtant, Margaret était notoire pour son hédonisme. Très consciente de son statut princier, elle se livrait à des gestes insolites, comme frapper des écureuils avec un parapluie. Attirée par les plaisirs interdits, elle avait des habitudes singulières, telles que coller des allumettes à son verre pour ne pas avoir à le poser lorsqu’elle voulait allumer une cigarette.
Elle dépensait sans compter et ne se gênait pas pour être impolie quand cela lui chantait. Curieusement, Picasso aurait voulu l’épouser. Cette personnalité capricieuse fascinait tout autant qu’elle pouvait devenir insupportable pour ceux qui partageaient son entourage.
King Vajiralongkorn de Thaïlande
En visitant la Thaïlande, il est indispensable de connaître une loi singulière : il est interdit sous peine d’emprisonnement de menacer ou de dénigrer le roi, la reine, l’héritier ou tout régent en fonction. Cette règle, appliquée uniquement sur le territoire thaïlandais, souligne la position exceptionnelle du roi Vajiralongkorn, qui est considéré par beaucoup comme un personnage profondément atypique.
Sur le plan politique, Vajiralongkorn a renforcé le contrôle sur toute forme de dissidence dans le royaume. Sa vie privée, marquée par une succession rapide d’épouses et de maîtresses, ainsi que la révocation de titres attribués à ses enfants, a laissé la question de la succession incertaine. En effet, aucun héritier clairement identifié ne se dégage, posant un défi important dans la société thaïlandaise où la royauté joue un rôle central.
Cependant, une facette plus attachante de ce monarque excentrique est son amour profond pour les chiens. Son père partageait cette passion et avait même écrit un livre à ce sujet, mais Vajiralongkorn a poussé ce goût à un niveau quasi-extrême. Par exemple, il s’est rendu en Allemagne à bord d’un jet privé accompagné de 30 caniches, un voyage dont l’empreinte écologique a de quoi surprendre. Parmi ses compagnons favoris, un caniche nommé Foo Foo a été promu au rang de Maréchal de l’air dans l’Armée de l’air thaïlandaise, et il apparaissait parfois lors de banquets officiels. Malheureusement, Foo Foo est décédé en 2015, sans avoir jamais été engagé dans un contexte militaire.
Enfin, en dehors de ces excentricités, le roi Vajiralongkorn soutient activement plusieurs œuvres caritatives visant à venir en aide aux animaux en détresse, témoignant d’un engagement sincère envers la protection animale.
Le tsar Pierre III de Russie a connu une règne éphémère, coincé entre deux femmes bien plus compétentes et admirées : sa tante, l’impératrice Élisabeth, et sa femme, Catherine la Grande. Cette dernière le destitua rapidement, face à l’évidence que Pierre était un souverain désastreux. Catherine disposait d’arguments convaincants pour légitimer son coup d’État.
Bien que les récits sur Pierre III proviennent majoritairement de Catherine ou de ses alliés politiques, il commit une erreur majeure indéniable pendant son court règne, qui le rendit impopulaire auprès de tous. À l’époque, le gouvernement d’Élisabeth participait à la guerre de Sept Ans aux côtés de l’Autriche et de la France. Tandis que ces puissances essuyaient des revers, la Russie battait la Prusse avec une telle vigueur que son roi envisagait le suicide. Élisabeth mourut avant la défaite finale, et dès son accession, Pierre III signa la paix avec la Prusse, trahissant ainsi ses alliés.
Cette décision répondait à deux motivations : l’admiration profonde que Pierre éprouvait pour la Prusse, et son ambition d’envahir le Danemark. Toutefois, cette politique provoqua un tollé au sein de l’élite russe, si bien qu’elle préféra le remplacer par sa femme allemande, Catherine, réputée intelligente et capable.
Catherine monta donc sur le trône, Pierre mourut en prison, et les armées russes n’attaquèrent jamais Copenhague. Ce renversement illustre à merveille les royautés bizarres, où intrigues politiques, erreurs personnelles et ambitions démesurées se mêlent pour façonner l’histoire.
Elagabalus devint empereur de Rome vers l’âge de 15 ans, un âge où beaucoup peinent à trouver leur place, et régna jusqu’à environ 19 ans. À cette période, loin des préoccupations habituelles des adolescents d’aujourd’hui, il devait gérer les rênes d’un empire immense, tâche pour laquelle il était loin d’être préparé.
Issu d’une famille de prêtres héréditaires en Syrie vouée à la dévotion d’un météorite, Elagabalus fut promu empereur grâce à l’influence de sa grand-mère, qui le présenta comme le fils illégitime de l’empereur Caracalla, ce qui suffisait à lui assurer le trône.
Arrivé à Rome, les récits, bien que rédigés après sa chute et son assassinat, dressent le portrait d’un souverain capricieux. Il chercha à orienter la religion romaine vers le culte de son dieu familial, Baal, tandis qu’il nommait à des postes clés des individus choisis non pour leur compétence, mais parfois pour leur simple apparence.
Elagabalus, ouvertement bisexuel, épousa une vestale, chose inouïe et scandaleuse pour l’époque, et organisa des banquets extravagants où se servaient des plats insolites comme des cerveaux de flamant rose. Sa conduite, mêlant libertinage et irrespect des traditions, provoqua le désarroi des Romains et conduisit à l’assassinat de plusieurs généraux influents, précipitant sa chute en 222.
Le roi George III du Royaume-Uni
Le pauvre George III aurait sans doute préféré être n’importe quoi plutôt que roi. Sa réputation repose surtout sur le fait qu’il a été roi durant la guerre d’Indépendance américaine, avant de sombrer dans la folie, une réalité qui voile pourtant les aspects plus ordinaires et étranges de ce troisième roi surnommé “le George allemand”.
Tendrement, être un bon roi lui tenait vraiment à cœur, malgré sa nature timide et peu sûre de lui. Il monta sur le trône en 1760, juste à temps pour théoriquement diriger la Grande-Bretagne alors qu’elle écrasait la France durant la guerre de Sept Ans. Soucieux de choisir rapidement une épouse, il demanda à un conseiller de dresser une liste de princesses protestantes allemandes de son âge. Même s’il était loin d’être un romantique, il fit un bon choix en épousant Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, qui inspira plus tard le personnage de la reine Charlotte dans la célèbre série “Bridgerton”.
Avec l’âge, sa personnalité singulière devint de plus en plus évidente et difficile à justifier par son inexpérience ou sa jeunesse. Il s’égarait dans de longues digressions sur des sujets qui l’intéressaient, mais qui étaient loin d’enflammer les salons d’élite. Il imposait aussi de manière directe aux agriculteurs d’augmenter leur production. Par ailleurs, Georges tenta de contrôler étroitement la vie de ses enfants, probablement par amour mal dirigé. Si les garçons réussirent à se libérer de cette emprise étouffante, les filles vécurent dans une atmosphère profondément claustrophobe, prisonnières des angoisses parentales.
Sa première crise mentale, courte mais marquante, survint en 1788, avant qu’il ne perde définitivement le contact avec la réalité en 1811. Après neuf longues années d’épisodes lucides sporadiques, il mourut en 1820.
Caroline d’Anspach incarnait à merveille ce que l’on attend d’une reine : beauté et intelligence remarquable. Elle savait habilement gérer son mari intellectuellement limité, George II, qui lui vouait une grande affection. Sa compréhension profonde de son époux la poussait même à choisir pour lui des maîtresses qu’elle jugeait peu susceptibles de créer des troubles inutiles. Au-delà des murs du palais, Caroline s’illustra comme une fervente promotrice de la vaccination contre la variole en Grande-Bretagne, faisant immuniser ses propres enfants. Elle se distingua également par son mécénat artistique, devenant une figure influente du siècle des Lumières. Son roi, souvent absent pour s’occuper de ses territoires allemands, lui confia même la gestion du gouvernement britannique.
Pourtant, cette reine éclairée nourrissait une profonde animosité envers son fils aîné, sentiment partagé par George II. Frederick, prince de Galles, ne correspondait guère au portrait idéalisé d’un héritier : préférant la compagnie de mauvaises fréquentations et les jeux d’argent, il grandit isolé à Hanovre tandis que ses parents s’installaient à Londres pour leur couronnement. Caroline et George firent venir d’abord ses sœurs avant de le réclamer lui, mais dès son arrivée, ils le reléguèrent presque à l’arrière-plan, lui refusant une allocation royale.
Avec le temps, ce fossé familial s’élargit au point où Caroline tenta de contourner l’héritage de Frederick pour favoriser son frère cadet. En 1737, le couple royal alla jusqu’à intervenir dans la naissance du premier fils de Frederick, marquant une ingérence humiliante. Ce conflit familial resta irrésolu jusqu’à la mort de Caroline, intervenue la même année, brisant définitivement les espoirs de réconciliation.
King Frederick William I of Prussia
Frédéric Guillaume Ier de Prusse reste dans les mémoires comme un personnage à la fois excentrique et redoutablement efficace. En dépit de sa cruauté, notamment envers son fils, son règne fut marqué par des réformes administratives et financières qui renforcèrent la stabilité du royaume, notamment en repeuplant des régions dévastées par la peste.
Sa véritable obsession fut son armée. Il construisit une force militaire impressionnante grâce à un système de recrutement innovant. Cette armée comprenait un régiment spécial de grenadiers, tous d’une taille exceptionnelle, mesurant au moins 1,88 mètre. Plus les soldats étaient grands, mieux ils étaient rémunérés.
Frederick William n’hésitait pas à recruter ces géants potentiels de diverses manières : certains étaient achetés très jeunes auprès de leurs parents, d’autres transférés depuis d’autres armées, ou même enlevés. Loin d’être uniquement militaire, son expérimentation s’étendait à des pratiques pour augmenter la taille de ses soldats, comme les étirements sur des appareils spéciaux, ou encore en formant des couples composés d’hommes et de femmes très grands, espérant engendrer une descendance de géants.
Parmi les aspects les plus sombres de son règne, la relation avec son fils Frédéric, plus connu sous le nom de Frédéric le Grand, fut empreinte de violence et d’humiliations. L’héritier, homme cultivé et sensible, fut victime de sévices physiques et moraux, au point qu’une tentative d’évasion échoua et se solda par l’exécution du compagnon qui l’avait aidé. Malgré tout, Frédéric réussit à devenir un souverain remarquable, éclipsant la mémoire de son père par sa grandeur.
Elisabeth Charlotte du Palatinat, duchesse d’Orléans
Elisabeth Charlotte du Palatinat est une figure dont les excentricités séduisent plutôt qu’elles ne repoussent. À la cour superficielle et frivole de Versailles, Elisabeth Charlotte — surnommée Liselotte par ses proches, « Madame » par tous les autres — est restée fidèle à elle-même : directe, sans vanité et profondément allemande.
Originaire du Palatinat, un État princier allemand situé dans la région du Rhin, près de la frontière française, elle occupait une place prestigieuse. Le prince régnant de cet État avait en effet une influence notable grâce à son rôle dans l’élection de l’empereur du Saint-Empire romain germanique. Cette ascendance lui permit d’épouser Philippe, duc d’Orléans, frère de Louis XIV.
Philippe adorait les hommes et le jeu, ce qui en faisait un compagnon amusant en société, mais médiocre dans la vie conjugale. Malgré cela, le couple eut deux enfants, presque uniquement par détermination. Liselotte détestait les prétentions de la cour et se plaisait à en décrire avec esprit les travers dans de nombreuses lettres adressées à ses amis et sa famille restés en Allemagne. Consciente que ses correspondances étaient lues par des espions, elle provoquait ainsi la gêne des surveillants royaux en évoquant sans détour des incidents embarrassants, tels que des mésaventures liées aux pots de chambre.
Elle n’a jamais renié son identité allemande, préférant la cuisine germanique — bière incluse — lorsqu’elle le pouvait, et s’adonnant à une alimentation copieuse qui la fit prendre quelques rondeurs avec l’âge. Passionnée de chasse, d’équitation et d’humour potache, elle ne correspondait guère aux critères de raffinement de Versailles, ce qui lui valut pourtant l’estime du roi.
Malgré les difficultés qu’elle rencontra à la cour, son esprit vif et sa singularité, alliés au fait qu’elle survécut à nombre de ses rivales, ont fait d’elle une des rares figures véritablement attachantes de l’entourage du Roi Soleil.
Charles XIV Jean, roi de Suède et de Norvège
Peu de figures historiques ont connu une métamorphose aussi spectaculaire, accompagnée d’une capacité remarquable à saisir les opportunités pour s’élever au pouvoir, que Charles XIV Jean, dernier souverain de Suède et de Norvège. Né Jean-Baptiste Bernadotte au sein d’une famille d’avocats du sud-ouest de la France, il débute sa carrière en rejoignant l’armée française. Rapidement, il prend parti pour la Révolution, menant avec rigueur et succès des troupes dans les conflits tumultueux qui en découlent.
Sa relation avec Napoléon fut complexe ; néanmoins, son serment de fidélité à l’Empereur lui assure des postes dans les administrations d’occupation en Allemagne. Puis survient une proposition inattendue en 1810 : devenir roi de Suède. À l’époque, Charles XIII, souverain sans héritier et en mauvaise santé, laisse présager une accession imminente au trône. L’administration juste de Bernadotte en Allemagne, ainsi que son traitement humain des prisonniers suédois, séduisent grandement les autorités suédoises. De plus, un lien renforcé avec la France semblait stratégique face aux ambitions napoléoniennes en Europe.
Acceptant ce défi, l’ancien révolutionnaire gouverne avec calme et pragmatisme, guidant la Suède durant les dernières années des guerres napoléoniennes. Sous son règne, la Norvège est détachée du Danemark presque sans résistance. Bien qu’il n’ait jamais vraiment maîtrisé la langue suédoise, Charles XIV Jean a gouverné avec succès jusqu’à sa mort en 1844. Sa lignée constitue encore aujourd’hui la famille royale suédoise.
Une légende persistante raconte qu’il aurait porté un tatouage sur la poitrine arborant l’inscription « Mort aux rois », vestige de ses engagements révolutionnaires. Toutefois, cette anecdote semble largement infondée. En revanche, une lettre datant de 1797 révèle ses convictions profondes où il affirmait : « …je veux combattre tous les royalistes jusqu’à ma mort. »
Caroline de Brunswick, reine du Royaume-Uni
Les récits, même les plus bienveillants, à propos de Caroline de Brunswick semblent souvent être des critiques à peine voilées. Destinée à devenir l’épouse du futur George IV du Royaume-Uni, leur rencontre fut pour le moins désastreuse. La seule chose qui surpassait ses manières peu raffinées était son manque d’hygiène : d’après la légende, lors de leur première entrevue, le prince de Galles, stupéfait, aurait eu besoin d’un verre pour se remettre.
Après une unique nuit consommée ensemble, qui donna naissance à une fille — héritière acceptable bien que non désirée —, le prince informa Caroline qu’elle n’aurait plus à remplir ses « devoirs conjugaux ». Libre de ses mouvements, elle s’adonna à ses propres loisirs, collectionnant des pendules érotiques, dansant de manière suggestive et voyageant à travers l’Italie, parfois seins nus, tout en entretenant plusieurs relations extraconjugales.
Lorsque le roi George III décéda en 1820, George IV monta sur le trône et tenta de soudoyer Caroline pour qu’elle ne mette pas les pieds en Grande-Bretagne. Ignorant cette tentative, Caroline revint, mais le roi s’efforça de l’exclure de la dignité de reine, arguant de leur union toujours valide techniquement.
George IV tenta de faire adopter par le Parlement un projet de loi divorçant officiellement Caroline, mais abandonna face à l’opposition. Pendant ce temps, le public britannique, déjà mécontent du roi et du gouvernement, prit le parti de Caroline, multipliant caricatures et pamphlets satiriques à son avantage. Rien n’y fit : elle essaya d’entrer de force à la cérémonie du couronnement, échoua, et mourut trois semaines plus tard.
La dynastie Wittelsbach, originaire de Bavière, a toujours été un peu atypique. Lorsqu’une princesse exceptionnellement belle de cette lignée, Elisabeth, fut choisie pour épouser le jeune empereur d’Autriche et roi de Hongrie, son malheur semblait déjà inévitable avec le recul. Malgré l’amour sincère que lui portaient son mari et le peuple austro-hongrois, affectueusement surnommée Sissi, elle fut rarement heureuse et trouva une fin tragique bien avant son temps, assassinée sans raison apparente.
Sissi souffrait d’un trouble alimentaire, alors peu compris à son époque. Elle réussit néanmoins à conserver une taille en dessous de 50 cm jusque dans la mi-âge, malgré ses grossesses et la richesse de la cuisine autrichienne. Obsédée par la préservation de sa beauté, tant sur son visage que dans la mémoire publique, elle interdit toute photographie après l’âge de 30 ans. Intelligente et d’une nature agitée, elle s’ennuyait profondément à la rigide cour des Habsbourg, cherchant refuge chaque fois qu’elle le pouvait en Hongrie, un pays qu’elle affectionnait particulièrement. Sa perspicacité se manifeste également dans l’apprentissage du hongrois, réputé pour sa difficulté.
Après la mort tragique de son fils, le prince héritier Rudolf, dans un meurtre-suicide, Elisabeth perdit toute capacité à trouver le repos. Elle s’installa d’abord en Grèce, puis retourna à Vienne, mais poursuivit sans cesse ses déplacements anxieux, tentant d’échapper à une profonde dépression. En 1898, alors qu’elle visitait le lac Léman, un anarchiste l’attaqua à coups de poignard : sa cible initiale, un prince français, avait changé ses plans, mais l’impératrice fit office de substitut. Sissi fut tellement surprise qu’elle ne se rendit pas immédiatement compte de sa blessure, marchant sur une centaine de mètres jusqu’à un ferry en direction de la France avant de s’effondrer et mourir.
Le prince Félix Ioussoupov est une figure fascinante, dont l’excentricité marquait dès l’enfance. Tour à tour, il se prenait pour le sultan ottoman, paré des bijoux de sa mère, et affirmait entendre des fantômes. Héritier d’une immense fortune, sa vie d’adulte mêlait éclat et bizarrerie, avec une courte carrière dans le spectacle en travesti, avant d’épouser Irina Alexandrovna, nièce du tsar et une des femmes les plus en vue de la cour russe.
Il reste surtout célèbre pour son rôle clé dans l’assassinat de Grigori Raspoutine en 1916. C’est grâce à ses mémoires que nous connaissons l’anecdote célèbre de Raspoutine avalant du vin empoisonné au cyanure comme s’il s’agissait d’un simple breuvage, avant d’en réclamer davantage. Malgré cette résistance étonnante, Youssoupov et ses complices réussirent à éliminer le mystérieux « moine fou ». Condamné à une amende et exilé aux confins de la Russie, le prince et son épouse purent fuir la révolution l’année suivante, échappant ainsi aux bouleversements qui allaient secouer le pays.
Youssoupov n’a jamais nié avoir tué Raspoutine, bien qu’il ait probablement enjolivé certains détails de son récit. Son style flamboyant, souvent perçu comme codé queer, était public. En 1933, il s’opposa avec vigueur à Hollywood lorsqu’un film, Rasputin and the Empress, caricatura sa femme à travers un personnage victime d’un viol imputé à Raspoutine — alors que celui-ci n’a jamais rencontré la vraie Irina. Ce procès ainsi gagné valut au couple réparation financière et la modification de certaines scènes, à l’origine des fameux avertissements indiquant que les films sont des œuvres de fiction. Jusqu’à sa mort en 1967, Félix Youssoupov continua à se vanter d’avoir participé à la mort de Raspoutine, incarnant ainsi l’une des figures les plus singulières et captivantes de l’aristocratie russe du début du XXᵉ siècle.