Les premières difficultés de la Grande Dépression se sont fait sentir dans les zones rurales avant d’atteindre les villes. Alors que les citadins profitaient encore des folies des années 1920, les agriculteurs luttaient déjà contre des surplus de récoltes et la dégringolade des prix des produits agricoles. Avec le krach boursier de 1929, l’économie américaine s’est brutalement arrêtée, provoquant la perte de nombreuses fortunes et un chômage massif. Pour les fermiers, la menace de la faillite et la perte de leurs terres devenaient une réalité effrayante.
Toutefois, les ruraux disposaient d’un atout : leur autonomie. Habitués à l’autosuffisance, beaucoup parvenaient encore à nourrir leurs familles grâce à leur travail acharné et à une grande créativité. Ils offraient à leurs enfants des fruits et légumes issus de leurs terres, ainsi que du lait, du beurre, des œufs et de la viande provenant de leurs animaux.
Cette ingénieuse débrouillardise s’étendait aussi aux vêtements. Les achats en gros de farine et de fourrage arrivaient aux fermes dans de grands sacs en tissu. Les mères de famille habiles ont vite réalisé qu’elles pouvaient économiser en transformant ces sacs en vêtements pour leurs proches. Elles ont même élaboré des patrons complets pour fabriquer à partir de ces tissus récupérés robes, sous-vêtements, serviettes, rideaux, voire couvertures, comme le montre une collection du Musée national d’histoire américaine.
Bien que ce soit durant la Grande Dépression que les vêtements faits à partir de sacs en tissu aient atteint leur apogée, ce type de vêtement existait déjà depuis la fin du XIXe siècle. En 1892, le magazine Arthurs Home Magazine expliquait comment la patience et l’ingéniosité maternelles rendaient les enfants élégants, même vêtus de tissus issus de sacs de farine.
Les fabricants ont rapidement perçu que ces sacs devenaient un argument commercial auprès des épouses de fermiers. La compagnie Percy Kent Bag Company fut probablement la première à capitaliser sur cette tendance en proposant la collection Ken-Print, avec des sacs colorés et à motifs. En 1925, l’entreprise Gingham Girl Flour misait sur la qualité supérieure de ses sacs en tissu à carreaux rouges et blancs. Dans les années 1930, de nombreuses autres firmes emboîtaient le pas, transformant ainsi le magasin d’alimentation animale en véritable boutique de tissus.
Cette mode des robes en sac s’estompa dans les années 1950. Certains n’étaient pas enthousiasmés par cette habitude. Un vendeur de grains se plaignait que les clients demandaient désormais des sacs d’aliments pour animaux aux motifs fleuris, ce qui lui semblait « pas naturel ». Un autre se rappelait à quel point il devait remuer les piles de sacs pour trouver les motifs que sa mère préférait.
Toutefois, cette pratique n’a pas disparu d’un coup lorsque la décennie a changé. La Seconde Guerre mondiale a provoqué des pénuries de tissu et un rationnement des textiles à travers le pays, ce qui a prolongé l’usage créatif des sacs en tissu. Après-guerre, l’exode rural a réduit la demande de grands sacs de fourrage. Dans les années 1950, les fabricants remplacèrent peu à peu les sacs en tissu par des sacs en papier et la mode des robes confectionnées à partir de sacs de farine s’effaça définitivement.