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Si vous aviez vécu lors de l’adoption du 19e amendement en 1920, qui accordait aux femmes américaines le droit de vote, vous auriez rapidement constaté que ce changement constitutionnel tant attendu ne s’appliquait pas à toutes les femmes, notamment celles de couleur. Bien que les femmes noires aient participé activement au mouvement pour le suffrage aux côtés des femmes blanches, le racisme, omniprésent à l’époque, continuait d’exclure large partie de la population. Pourtant, le 19e amendement stipulait clairement : « Le droit des citoyens des États-Unis de voter ne sera ni refusé ni restreint par les États-Unis ou par un État en raison du sexe. »
Mais ce n’était pas seulement les femmes noires qui faisaient face à des discriminations. Les femmes asiatiques et amérindiennes étaient généralement exclues des urnes, car elles n’avaient pas obtenu la citoyenneté américaine avant plusieurs années après la ratification de cet amendement. Quant à certaines Latinas, elles rencontraient des obstacles liés aux barrières linguistiques.
Ce n’est qu’avec la promulgation du Voting Rights Act en 1965 que toutes les femmes citoyennes, quelle que soit leur origine, ont pu voter librement sans entrave. Depuis la fondation des États-Unis en 1776, il aura fallu 189 ans pour que toutes les femmes citoyennes puissent profiter du droit de vote. Cette lente progression s’explique par une multitude de facteurs, profondément ancrés dans les conceptions historiques sur les rôles de genre et de race dans la société.
Une forte opposition au droit de vote des femmes
Le point de départ du mouvement pour le suffrage féminin aux États-Unis est la Convention de Seneca Falls en 1848. Cinq femmes y avaient publié dans la presse locale un appel à une « convention pour discuter de la condition sociale, civile et religieuse de la femme », selon le Smithsonian. Avant la réunion, plusieurs d’entre elles rédigèrent la Déclaration des sentiments, qui s’inspirait étroitement de la Déclaration d’Indépendance. Le texte innovait en ajoutant le mot « femmes » à l’affirmation : « Nous tenons pour évidentes ces vérités : que tous les hommes et femmes sont créés égaux. » Parmi les 16 revendications formulées figurait le droit de vote.
Durant plusieurs décennies, les suffragettes s’organisèrent en associations locales, d’État et nationales. En parallèle, les opposants au mouvement développèrent aussi leurs structures. En 1911, Josephine Dodge fonda la National Association Opposed to Women’s Suffrage. Les arguments principaux des adversaires étaient centrés sur une supposée incapacité des femmes à comprendre la politique, la présomption qu’elles étaient trop occupées par les tâches domestiques ou l’éducation des enfants pour s’investir en politique, ou encore leur propre désintérêt et rejet du vote en tant que droit ou responsabilité. Cette opposition politique et sociale constante a largement retardé l’accès des femmes au suffrage.
Le 19e amendement, une victoire surtout pour les femmes blanches
Les idées dévalorisantes à l’égard des femmes étaient tenues pour des évidences, issues de siècles de domination masculine. Comme l’explique Ruth Mace, professeure en anthropologie évolutive à l’University College de Londres, les sociétés patriarcales sont nées du besoin de contrôler les richesses matérielles dès l’apparition des sociétés agricoles. Les femmes étaient alors considérées comme appartenant au domaine des hommes. L’idée même d’une voix féminine dans un monde dominé par les hommes depuis des millénaires était radicale et difficilement acceptée, y compris par certaines femmes elles-mêmes.
Cela explique pourquoi l’idée du vote féminin a mis si longtemps à s’imposer. Lorsque le 19e amendement fut enfin ratifié, il bénéficiait surtout aux femmes blanches. Sur le papier, toutes les citoyennes américaines pouvaient voter, mais en pratique, ce sont les autorités locales qui contrôlaient l’accès aux urnes. En 1920, les lois Jim Crow maintenaient encore une oppression raciale sévère, particulièrement dans le Sud. Les hommes noirs avaient obtenu le droit de vote avec le 15e amendement en 1870, mais les responsables des bureaux de vote avaient déjà développé de multiples stratagèmes pour décourager les minorités, tactiques qui furent également utilisées contre les femmes de couleur. Malgré cela, les femmes noires poursuivirent sans relâche leur lutte pour leurs droits civiques.
Discriminations persistantes et luttes jusqu’en 1965
Différentes mesures étaient employées pour empêcher les femmes de couleur d’exercer leur droit de vote garanti par le 19e amendement. Des tests d’alphabétisation et des taxes électorales rendaient l’accès difficile. Des « clauses grands-pères » et l’intimidation voire la violence complétaient ces entraves. Les femmes asiatiques furent exclues jusqu’en 1952 en raison du Chinese Exclusion Act qui empêchait les immigrés asiatiques d’obtenir la citoyenneté américaine. Les Latinas devaient souvent réussir des tests d’anglais avant de pouvoir participer aux élections.
Le Voting Rights Act signé en 1965 mit fin à ces méthodes discriminatoires, notamment les taxes de vote et autres pratiques visant à priver de leurs droits les minorités. Ce texte permit aux femmes de tous horizons de voter effectivement. Cependant, la barrière de la langue restait un obstacle pour certains électeurs. Une extension de la loi votée en 1975 imposa donc la mise à disposition des documents électoraux dans la langue des minorités concernées, en plus de l’anglais. En 2025, plus d’un siècle après la ratification du 19e amendement et soixante ans après la loi sur les droits de vote, 67 % des 16 millions de femmes noires éligibles aux États-Unis étaient inscrites sur les listes électorales, selon Higher Heights for America Pac.
